Mariangela Gualtieri | Poèmes



Ce matin-là
d’un ordre donné à la campagne
toutes les toiles d’araignées
ont surgi dans les broussailles
mises en lumière
par les poussières de sagesse des rois.
Stratégie de la bave
filet de bouche qui coud
l’herbe avec l’herbe, le seuil avec le seuil
du taciturne.
Sa puissance menue.

Quel mattino
per un ordine dato alla campagna
tutte le ragnatele
sono apparse fra la sterpaglia
portate all’evidenza
con polveri di sapienza dei re.
Strategia della bava
filo di bocca che cuce
erba con erba, soglia con soglia
del taciturno.
Potenza sua minuta.

Tiré de Bestia di gioia
(Einaudi, 2010)


*


Bientôt la main sera une brindille
blanche parmi les racines. Bientôt nous serons
hors d’ici.

Presto la mano diventerà rametto
bianco fra le radici. Presto saremo
fuori di qui.

Tiré de Bestia di gioia
(Einaudi, 2010)


*


Les choses se tiennent parfaitement
elles obéissent à des mains laborieuses
les choses inertes sages silencieuses
dans les ombres assignées
dans le glanage.

Le cose stanno perfettamente
obbediscono a mani laboriose
le cose immote savie silenziose
nelle ombre assegnate
nelle spigolature.

Tiré de Bestia di gioia
(Einaudi, 2010)


*


On tremble, de joie et de mystère
à l’intérieur du potager, on fourre les mains dans la terre
agenouillés on adore, sans le savoir,
et l’eau est substance qui réveille
grandit et restaure. Tellement de lumière dans le potager -
tellement de nuit. Chaque étoile de cet hémisphère
passe sur le potager.

Si trema, per contentezza e per mistero
dentro l’orto, si infilano le mani nella terra
inginocchiati si adora, senza saperlo,
e l’acqua è sostanza che risveglia
cresce e ristora. Quanta luce nell’orto –
quanta notte. Ogni stella di questo emisfero
passa sull’orto.

Tiré de Le giovani parole
(Einaudi, 2015)


*


Grandit l’hiver en claquant les volets.
Il amène ses vents intraitables et
tremplins de gel d’où nous tombons
brisés déchirés un peu rossés
par ses bassesses et ses sales journées
sans sorties. Indocile hiver
gorgé de mots chuchotés.
Arsenal fécond. Grenier des voix.
Tu plais – à ceux qui écoutent.

Cresce l’inverno sbattendo le persiane.
Porta i suoi venti intrattabili e
trampolini di gelo da cui cadiamo giù
rotti strappati un poco bastonati
dalle sue bassezze e giornatacce
senza uscite. Facinoroso inverno
rigonfio di parole sussurrate.
Prolifico arsenale. Granaio delle voci.
A chi è in ascolto – tu piaci.

Tiré de Le giovani parole
(Einaudi, 2015)


*


Lavez vos morts. Ne manquez pas
ce trésor de jour quand tout
leur cher corps devient la carte
d’un terroir d’outremer. Doucement
lavez les morts raidis,
de vos mains touchez ce désert,
la coquille inhabitée froide et vide.
Ressentez-les diffus – béants –
plus vifs – que lorsqu’ils étaient en vie–
libérés. C’est alors que s’ouvre
l’huître coriace des morts.

Lavate i vostri morti. Non perdete
quel giorno del tesoro quando tutto
il caro corpo loro è una mappa
di terra d’oltremare. Piano piano
lavate gli irrigiditi morti,
con le mani toccate quel deserto,
il guscio inabitato freddo e vuoto.
Sentiteli diffusi – spalancati –
vivi piú – di quando furon vivi –
liberati. È allora che s’apre
l’ostrica dura dei morti.

Tiré de Le giovani parole
(Einaudi, 2015)


*


Moi j’espère j’espère que toutes les autres
vont bien. Que ce n’est pas un crève-cœur général.

Io spero spero che tutte le altre
stiano bene. Che non sia generale crepacuore.

Tiré de Le giovani parole
(Einaudi, 2015)


*


Jette maintenant dans l’éboulis
le mot le plus dur. Fais-en pâture
pour l’espèce. Embryon, macrospore
infection, mèche d’allumage.
Œuvre du sang.

Getta ora nella pietraia
la parola più dura. Fanne pastura
per la specie. Embrione, macrospora
infezione, miccia di accensione.
Opera del sangue.

Tiré de Le giovani parole
(Einaudi, 2015)


*


Si un vent maintenant
porte des ombres mauvaises
des mots de trouble
toi efface la sécheresse
donne-moi à manger
par ta voix
un pain de mots intenses
dans les mesures du silence
aujourd’hui qu’on est
inhabités.

Se un vento adesso
porta ombre cattive
parole di turbamento
tu cancella l’arsura
dammi da mangiare
dalla tua voce
un pane di parole intese
dentro le misure del silenzio
oggi che siamo
disabitati.

Tiré de Le giovani parole
(Einaudi, 2015)


*


La folie céleste

Avance lentement. Laisse que la main
écrive sa fragile dictée.
Aie confiance en ce rien
qui arrive – ce rien qui advient.
Ne prends pas la parole.
Laisse que ça soit elle. Deviens, toi,
la proie. Qu’elle te capture.

La celeste pazzia

Procedi piano. Lascia che la mano
esegua il fragile dettato.
Abbi fede in quel niente
che viene – quel niente che succede.
Non prendere la parola.
Lascia sia lei da sola. Diventa tu
la preda. Sia lei che ti cattura.

Tiré de Quando non morivo
(Einaudi, 2019)


*


Aujourd’hui les cyprès remuent
une vie étrange
et il ne vaut rien je crois
mon savoir s’il n’inclut
leur souffle énigmatique.
Stupeur arborescente
sous une pluie oblique.

Oggi i cipressi agitano
una strana vita
e mi pare niente
il mio sapere se non contempla
quel loro enigmatico respiro.
Arboreo stupore
sotto una pioggia obliqua.

Tiré de Quando non morivo
(Einaudi, 2019)


*


11 septembre 2023
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