Parham Shahrjerdi | Je suis tous les cimetières du monde
Je suis tous les cimetières du monde
Et tombe en tombe
Tout tombe
Mes mains
Tombe
Ma tête
Tombe
Ma vie
Tombe
Et passé
Tombe
D’une tombe à l’autre
La tombe que donc je suis
*
Des années durant elle était sans voix
Avant de quitter le corps
Elle avait oublié la langue
Elle avait quitté cette langue
Autour d’elle
Tout le monde tombait dans les tombes
Et il faut croire que sa langue aussi
Tombait
Ses mots aussi
Tombait
Ses proverbes ses expressions ses blagues ses souvenirs son sourire ses muscles sa mâchoire
Elle avait tout perdu
et elle ne savait pas encore
Ne savait pas qu’elle avait tout perdu
Quelques fois
Elle tente — tente de parler
Elle parle quelquefois
Mais qu’est-ce qu’elle dit
Personne n’écrit dans sa langue
Personne ne parle sa langue
Un bruissement venu des tripes
Un sifflement des tombes enfouies
Le chaos dans sa bouche
Un vent
Une tempête
Autrefois articulé avec des mots
Aujourd’hui tous ses mots dans les tombes
Ses paroles ne ressemblent à rien
Aucune langue ne traduit ses bruissements
Aucune grammaire ne règle son chaos
Sa bouche est devenu un trou noir
Les mots disparaissent avant d’apparaître
Un bruit seulement un bruit
Le jour où
L’année un trois neuf sept huit à l’infini
Que veut dire ces chiffres — qui vit qui meurt qui tombe cette année
C’était donc cette année-là
Ses yeux encore ouverts
Sa langue encore en train de
Et la tombe grande ouverte
Pour tout engloutir
Tout d’un coup
Tout tombe
Jamais
Que c’est beau ce mot jamais
Jamais elle ne parlera
Désormais tout est jamais
Jamais et hargez [1]
Hargez et jamais
Elle est devenue jamais
Jamais hargez jamais hargez
Jamais hargez jamais hargez
Jamais hargez jamais hargez
Jamais hargez jamais hargez
Jamais hargez jamais hargez
Jamais hargez jamais hargez
Jamais hargez jamais hargez
Jamais hargez jamais hargez
Et maintenant
Un pas de plus — ou pas
Pas à pas ou pas.
[1] Hargez : en persan signifie jamais, une seule fois, plus jamais, aucune fois.