Pierre Antoine Villemaine | émotions erratiques
une sonore, vaine et monotone ligne
À quoi sert cela - À un jeu. (S. M.)
À quoi sert cela - À un jeu. (S. M.)
égaré dans le monde
les émotions erratiques
voltigent
les pensées sans contour
d’une langue effarée
à toi-même étranger
vide
à peine vivant
tout près de défaillir
en cette attente de la vie
comme paralysée la parole hésite
et je vais murmurant
sans prendre forme et sans aucune règle
*
Je ferme les yeux — de longs et lents panoramiques révèlent une forêt aux couleurs passées, des milliers de hauts troncs d’arbres sombres défilent imperturbablement dans une faible lumière, de vagues cours d’eau surgissent, des buissons éclosent, viennent des essais de prairies d’un vert étrange presque éteint, des chemins sinueux, des arbres encore puis une ligne qui se tord, esquisse d’une route blanche... Météorologie intime, sinueuses et mobiles variations, toutes ces choses n’ont pas vraiment de contour, vaporeuses, elles n’ont pas vraiment de consistance, elles s’entrecroisent, se superposent, apparaissent et disparaissent...
*
A Dresde, ville où est exposée la Madonna di San Sisto de Raphaël si chère aux premiers romantiques, Schumann accueillit son ami Brahms avec ces mots : « C’est bon de vous avoir ici ; maintenant, nous pourrons nous taire ensemble ».
*
Je ne trouvais aucune explication à son comportement qui me semblait irrationnel, erratique, totalement fantaisiste. Je dus finalement renoncer à le comprendre et cela fut un des plus grands échecs de ma vie. Lorsque je l’avais rencontré il m’avait paru normal, sans aspérité, vêtu et pensant comme tout le monde. Ne se faisant jamais remarquer. Jamais un mot plus haut que l’autre, aimable avec les gens, toujours poli avec les femmes. On ne pouvait rien lui reprocher. Puis avec le temps, cette perfection – il était toujours d’accord avec moi - me devint suspecte, oui franchement suspecte, voire inquiétante. Ce n’était pas possible d’être aussi bon, respectueux, accueillant, disponible, toujours prêt à rendre service. Pour en avoir le cœur net, un jour d’hiver, le cinq décembre pour être précis, je décidais de mener une enquête et je deviens détective privé pour mon propre compte. J’achetais quelques déguisements au fameux marchand de farces et attrapes de la rue Quincampoix et je me mis à le suivre discrètement de jour comme de nuit. Cela dura quelques années. Sa vie n’eut bientôt plus aucun secret pour moi. Je ne découvrais rien de suspect et cela m’inquiétait de plus en plus. Aucune preuve, aucune indice, décidément c’était un malin. Il devait nécessairement avoir une double vie, une vie autrement plus intéressante. Il semblait réglé comme du papier à musique, jamais une fausse note. Comme le célèbre philosophe, il s’accordait régulièrement une petite promenade, toujours la même, c’était là sa seule fantaisie. Je cherchais l’erreur, la faille. Au bout de quelque temps je commençais à douter des bienfaits de cette enquête et je dus me rendre à l’évidence : cette absence de secret était à coup sûr le secret même de cette existence totalement insignifiante.
22 octobre 2022