Pierre de Cordova | Tapisserie/ Ciment (1/3)



Départ dans l’affection
avec A.R.

Sous l’anxiété cumulée des générations passées,
Le papier peint se décolle
On laisse les secrets aux murs pour qu’ils ne s’écroulent pas
À terre, la tapisserie est raide
comme une girafe morte, silencieuse
comme une pierre de lave
On fixe la nouvelle tapisserie
Chacun apporte son motif
Une scène de chasse, un toucan, le cor,
un palmier géant, quelques dattes fraîches en grappe
Le perroquet s’est tu
On ne part pas, on repart


Ciment

Penchée vers moi
elle joue avec l’inarticulé
qui préside à ma voix
Il faut bien que les mots
se cachent quelque part

Quand les choses ne rentrent pas
dans l’ordre de son établi
Il reste là
troué devant ses outils
avec certains de ses gestes
coincés dans ses mains
On dirait un singe


Plus elle me regarde
Plus elle me ressemble

Il meurt ainsi


Ma matière coule au dehors
et s’expose aux éclats
qui sont dans le vent


Sous les paumes grises de l’olivier,
le hamac n’est qu’un vent dessiné
dans des blocs d’azur

Je regarde
les traces
blanches
que les avions
laissent derrière eux


Tapisserie,
Je cherche l’anneau bleu
dans chaque cou vert
du faisan royal
Au bas du jardin, le Lot enchaîne des figures barbouillées dans le
bleu denim que je sais minérales.
L’anatomie d’un sapin,
c’est sa guirlande, elle est cuivre
Tapisserie,
Le chant du coq
et les plumes dans la cage
avec des signes de
sang sur la paille

Tapisserie,
L’agrafe
L’acoustique jouissance
dans le clic métallique

Je broie du bleu
cassé
J’éclate son jus
compact
Je délivre l’azur
épais
Mon premier
frottement
C’est involontaire
J’ai suivi la pente
au-dedans mon épiderme rougit


Lire la nuit c’est parler
seul avec son père


Pour la simple raison que nous n’aimions pas la mer, nous passâmes tous les étés dans l’Aubrac sous des pins sans parasol à écouter objectivement les informations du transistor. Plus je la regarde, plus elle me ressemble


J’appelle Tapisserie,
Le tracteur rouillé dans l’abri en taule
Tapisserie,
Le cinéma idiot de Jacques Demy
à cause duquel je suis resté hétérosexuel
Tapisserie,
une perception sans regard,
la tête levée sans arrière-pensée


Il faudrait porter des Ray-ban pour bien dire je t’aime
Il faudrait des conditions objectives pour bien dire je t’aime
Il faudrait s’entraîner pour bien dire je t’aime
Je crois qu’il faudrait des partenaires d’entrainement
(des sparring-partners) pour bien dire je t’aime

Les chansons de Serge Gainsbourg ont marqué les deux grands ratages de ma vie sensuelle, d’abord comme contournement de l’intime, ensuite comme déflagration corporelle
Je dois
à Andy
Warhol
le jaune pur
d’une banane
seule et j’
Attache pour Séville
Le complément du bleu


(Ce que je suis :
une tête new-yorkaise
sur deux épaules arabo-andalouses
Ce que je suis :
Enrico Macias qui chante
I’m waiting for the man)

8 avril 2023
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