Étienne Vaunac et Grégory Chatonsky Ptérodactyles & Logistics : The Extend

La création d’une maison d’édition est toujours un geste vertigineux. En créant les éditions Epousées par l’écorce , Jean-Michel Durafour propose une aventure poétique et plastique d’une grande intensité. Le premier livre fait dialoguer la poésie d’Étienne Vaunac, dense et énigmatique avec l’oeuvre de l’artiste numérique Grégory Chatonsky. L’ensemble est un déplacement radical et une plongé dans un univers insolite et renversant. N’est-ce pas ce que l’on demande d’un livre ? d’un éditeur ? Après la présentation de Jean-Michel Durafour, un extrait de Ptérodactyles d’Étienne Vaunac et Logistics : The Extend de Grégory Chatonsky.


Les éditions Epousées par l’écorce sont nées à l’automne 2022 du projet de proposer des ouvrages d’art enchevêtrant écriture poétique et art contemporain. Chaque livre est pensé et élaboré concrètement comme un montage entre une œuvre littéraire et une œuvre visuelle conçues séparément – en s’écartant des pratiques de l’ekphrasis et de l’illustration subordonnant l’une à l’autre – mais qui se retrouvent autour d’un enjeu traversant dont le livre, dans sa matérialité, est le site d’invention. Toute œuvre artistique est un trajet malmenant les postures d’identité et d’appartenance. La maison d’édition y trouve son nom, comme indiqué sur la page de présentation de son site, ainsi que dans un clin d’œil à Yves Bonnefoy. L’écorce de l’arbre est l’enveloppe protectrice du corps végétal. C’est l’épaisseur publiée, publique, tournée vers notre regard, de l’arbre entre la mobilité occulte de la sève brute dans l’aubier et le dehors venté et sec du pays où vivent les hommes.

On appelle liber – le « livre » dans son étymologie latine – la partie la plus intérieur de l’écorce où circule la sève élaborée. Ainsi, les livres sont les veines où le sens vif chemine. L’autre nom du liber est le phloème : le poème des arbres sur lesquels écrivent les poètes et tracent les artistes des images. Telle est la logique directrice qui préside donc à la publication du premier ouvrage de cette nouvelle entreprise tressant dans un volume à métamorphose le recueil poétique d’Étienne Vaunac, Ptérodactyles, et la série visuelle de l’artiste numérique Grégory Chatonsky, Logistics : The Extend. L’écriture de Vaunac investit la disparition critique des êtres sensibles de la présence au monde, dans une langue énigmatique nous rappelant l’étrangeté de notre monde familier, nous convoquant devant la perte de ce dont nous avons oublié ou n’avons peut-être même jamais su l’existence. Quand il n’y a plus de nom exact pour telle ou telle chose, elle s’est déjà absentée du monde, sa disparition effective, objective, n’est plus qu’une conséquence linéaire et inévitable. Et ce monde qui disparaît, il surgit dans sa disparition. C’est la première fois qu’ils disparaît. Il est donc aussi tout nouveau. Tout neuf : un certain usage de la langue préside à sa description. Si les poèmes du recueil annoncent la venue d’un monde qui se meurt, d’un monde dont la perte est l’événement qui le met au jour, dans les choses comme dans la langue, les images de Chatonsky nous plongent, par l’intermédiaire de l’intelligence artificielle, dans un monde post-humain, non humain de l’autre côté de la nature et de l’animalité, mais qui le rejoint dans la mesure où l’extinction des espèces et l’extinction ne sont pas distinctes, et où l’extinction est aussi tournée vers l’extension, puisque tout ce qui se termine est aussi l’avènement d’autre chose qui commence. (JMD)


« dans ta gorge trébuche

un ange

les talons tournés vers ta fatigue

pourvu que tu échappes à des trombes

tant que mes mots adhèrent à leurs ventouses de lignes humides

de pastèques froissées dans les restanques

jusqu’au bout de chaque lettre où ta voix vient buter

sur des généalogies de capricornes

il daube le landier adoube

ton chandail

ptôse que forme le guéret avec la démonstration de mon doigt »

« de la forêt

tu rapportes aujourd’hui

un écureuil empalé tout septembre

sur une branche d’acacia

par le vent ou une empuse

il est dur comme la pierre

comme la pierre il ment

son ombre est un théâtre »

17 février 2023
T T+