Pré-résidence, 3
20 mai 2022
Depuis quelques jours, il est déconseillé d’acheter de l’huile, c’est le signe que quelque chose coince. Pourtant sur la page d’accueil des résidences de Remue, tout glisse, il y a même une carte.
Ce journal de pré-résidence comme mise en place d’un suspense, pré-écriture de quelque chose qui mènera à la résidence, qui mènera au texte. Bien sûr, il aurait suffi d’attendre la résidence, et le texte, sans rien en dire, mais ici le journal insiste sur ce qui n’est pas encore là, et ne pourrait pas être là sans certaines conditions initiales. Avant que l’on parle de fabrique du texte pour l’instant c’est le creux d’une vague que l’on sent monter, peut-être. Ecrire et écrire sur écrire, on s’en tient là, pas plus, car c’est ce qui fera objet d’étude, avant, sans doute, de parler de post-résidence, car il faudra en parler : toujours prévoir un coup d’avance, vu les échéances de ce type de bourse et si je peux enchaîner ensuite, pour que l’écriture occupe en 2023-24 autant de place qu’en 22-23, il faut m’y atteler. Sauf qu’en réalité, la post-résidence, c’est maintenant. Les dossiers qui permettent d’obtenir ce temps de création se pensent longtemps auparavant. Pour ce que je vis aujourd’hui, en réalité j’ai eu de la chance que ça ne tienne qu’en cinq mois. Entre l’idée, le lieu, la fabrication du dossier, la prise en charge par, et la motivation de, Claire Peronnet, puis l’attente, la réponse, ça s’est avéré plutôt court en regard du temps moyen qu’un tel cycle peut parfois prendre. J’ai eu la chance également que mon éditeur soit considéré comme réel éditeur-papier-à-compte-d’éditeur-avec-comité-de-lecture-qui-effectue-un-vrai-travail-d’édition-etc., ce qui n’est pas toujours le cas pour tout le monde. Et nous pouvons cheminer.
Et si je pioche dans mes en-cours possibles, je trouve l’écriture générée par réseaux de neurones. J’ai trouvé une bourse possible, qui serait en lien avec un-e étudiant-e chercheur-euse dans le domaine de l’IA, et qui permettrait à la fois d’écrire, de faire écrire une machine, et de programmer cette machine dans le cadre d’une thèse. Si je comprends les mécanismes avec lesquels les réseaux de neurones font texte, si je peux configurer un outil existant, je ne peux pas le créer de toutes pièces, le programmer, le façonner comme je voudrais. Ou alors cela me demanderait beaucoup de temps, une formation, me replonger dans de la programmation, avoir les outils adéquats aussi, ordinateur et logiciels, bref faire une mise à niveau importante, coûteuse, et ce ne serait pas entièrement de l’écriture. Une telle bourse serait vraiment une aubaine, d’ici dix-huit mois, pouvoir être chef d’orchestre, donner à programmer à quelqu’un qui sait, et ainsi façonner une machine à écrire. D’ailleurs ce serait le titre, pourquoi pas [1]. Profiter de ma double formation pour proposer une création originale co-écrite avec un programme sur lequel je pourrais intervenir un minimum, dans le cadre d’un sujet de recherche.
Cependant, aujourd’hui, il faut aussi ne pas penser à tout ça puisque nous sommes dans le présent qui précède. Plutôt retourner dans mes notes, dans les photos que j’ai déjà prises de ce que j’ai pu dépouiller, penser de loin en loin à des ateliers qui jouent entre sources et fiction, ou sources et description, c’est ça qui devrait m’occuper l’esprit, et le livre à écrire, ses phrases, sa structure, livre éloigné du numérique pour une fois ; enfin, il y a quand même des câbles, mais disons que quelque chose est moins présent, prenant, comme de faire un trajet à pied au lieu de le faire en voiture.
Quand je parle de ma résidence, j’entends de plus en plus souvent dire que les archives sont "trippantes".
[1] Ou reprendre l’idée de la Maison des Programmes de L’Homme heureux/détruire internet, où j’imagine une société secrète, La Maison des Programmes, dont le but est non seulement de sauvegarder la mémoire de l’humanité sous forme numérique, mais aussi d’en prolonger les créations artistiques et les découvertes scientifiques grâce à des programmes d’intelligence artificielle, et cela de manière à pouvoir survivre à l’humanité et poursuivre son œuvre en son absence. Dans le roman, dont la fiction se tisse autour et dans les câbles de fibre optique et les protocoles logiciels des réseaux informatiques, j’évoque les réseaux de neurones qui jouent aux échecs, au go, et cette Maison des Programmes qui se dissimule, tel un virus, dans les ordinateurs, les téléphones, et tous les appareils connectés (caméras de surveillance, objets connectés...) tramant secrètement un plan d’apprentissage et de création sur cinq siècles. Passons.