Prendre suint - 6

[@Quelle est la forme géométrique d’une penne de pouillot, d’un regard ou des tiges ramollies par l’eau, venues s’agglomérer sur la paroi d’un vase guilloché ? La mathématique antique avait plus manigancé un monde de toutes pièces qu’elle n’avait donné des instruments prometteurs pour représenter le nôtre. Il n’y a jamais eu làqu’un projet spéculatif : l’homme comme mètre de la nature. Dans l’intention poétique àras du sol, la balle sur laquelle se pose le moucheron n’est pas ronde : elle est plate. Quand le poète anime le monde, il met sens dessus dessous la perception humaine, sans jamais pour autant la remettre en cause. Comme cela serait-il possible - puisqu’il parle, puisque ne se tait que ce qui peut parler ? Tout acte poétique est cryptique : expulsé au plus profond de l’ajour de notre vie.@]


PAR-DESSUS LES FLAMMES ET LES ANGUILLES


Le jour est le point d’orgue ouvrant
le poing de la nuit. Lampe torche
àla main, tu avances entre les baliveaux
dans un brandissement de lin.
Tu t’es levée privée de ma doctrine.
Rien n’empêche le désir de fouiller dans les coins
où deux ou trois boîtes de conserve se lancent
àla poursuite des derniers hérissons.
Comment être mort àsoi-même ?

Pour être mort ne faut-il pas
continuer d’être ? Que nos bottes de pluie
brisent la glace
très annelée, collée de boues et de brindilles
àla surface d’une flaque fendue dans la terre,
excitant des vers de vase,
recouvrant la peau suspendue
àla langue pâtissière ;
et dépêchent le ciel tout fripé

par ses hirondelles rondes
de nous tomber,
de ce côté-ci
du sol, sur la tête,
dans le vestiaire du gel !
Qui meurt sinon toi àl’instant où je meurs ?
Quel colosse ?
Et créer – qu’est-ce autre qu’abolir la moindre possibilité de concevoir quoi que ce soit de remarquable ?


MAI


Les raquettes frappent la balle
en regrettant la vie comme il faut.
Les peupliers de l’île frémissent dans un midi flagrant de noir
– seuls berceaux des nôtres. Dans la terre, le moindre hoquet d’iule étouffe les mots sortant de ta bouche : un monde
parle pour toi ;
mais dans le ciel pétrels et cormorans se hâtent vers les falaises,
vers les falaises où l’écho de ta voix fait de chaque fascination
un galet de plus pour l’indignité des lichens.

29 octobre 2023
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