Granits - 3


GEORGE ELIOT


De la fenêtre ouverte on ne voit que le monde
– rien d’autre. Tu tires les volets, tu fends
l’être en deux de tes lèvres.
Voici qu’apparaît le quelque part (où cela ?)
dans l’ombre bleue des mammifères à sang
froid : et là -bas pour fêter la parole perdue en retrouvant
ma voix dans la jupe des lichens, les dégâts et les auges
en aluminium. « La vengeance n’a pas de pieds » ;
elle se répand avec la lumière dans l’inempéché.

Le soir
qui s’attarde au-dessus du bocal rempli de vers de terre laissé
tout le jour sur le perron en pierre de taille
trouvera bien difficile dans un espace si vaste, si ennuyeux,
de dire où déjà c’est la mort et où toujours
les feuilles.
De quelque tempête de neige qu’on regarde le monde,
l’amour attend patiemment que le temps
presse.


YVES BONNEFOY


Le nocturne à midi entrouvre la lucarne.
Le piano tape sur les noues du fond de la ruelle. Qui donc
joue chez soi par ce froid ?
Ferme ton livre et – oui – va pieds nus sur les dalles.
Mes pas marchent dans le poème sur lequel j’ai replié ces pages
pour venir écouter le monde à la fenêtre ;
mon ami, il n’y a pas du tout de poèmes... seulement des excursions
sur des plateaux de pierres
où l’on prend l’air, et le risque d’écrire les corbeaux dans les arbres.


LUIS MIZÓN


L’été fera mourir l’automne ; une autre année,
de marne et de lisier, nous aura pris par les sentiments.
N’attends plus pour poser à ces flammes la question de l’âtre :
elles brûlent mes mains dans le creux de la
résine. Quelle cheminée n’aurait vu que du feu
dans nos hurlements ?
Le sang crépite et se tient toujours en avant de mes mots,
jusqu’à ce que la neige le frappe de langue.
Les noctules grincent dans les combles.

27 mars 2024
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