Ronde de nuit 07

Septième station. Chapelle

Cap au seuil [texte en cours d’écriture] x L’homme qui plantait des arbres [Jean Giono]

Le dehors est, paradoxalement, le sujet de l’écologie ; paradoxalement, car écologie signifie précisément logos de la maison. Le dehors c’est la maison, mais une maison qui n’est pas humaine. La maison de tout ce qui est. L’habitat.

L’habitat a ses habitants : le vivant et le non-vivant, autre chose peut-être, on ne sait pas ; dans le vivant, les grands « règnes » que sont les bactéries (et archées), les plantes, les champignons, les animaux ; parmi les animaux, tout ce qui n’est pas mammifère (que cet ensemble intègre ou non les vertébrés) ; parmi les mammifères, les hominidés dont l’homme.

Sur le modèle de l’arbre donc, avec ses divisions ou plutôt ses ramifications, le vivant. Avec le temps, certaines modifications (des erreurs de copies provoquées ou non) s’enracinent, c’est l’évolution. Celle-ci ne connaît aucune fin.

Le dehors est précisément tout, mais tout n’est jamais qu’une partie du réel. Il est l’univers. Il y a toute une autre partie du réel : le dedans.
On le dit tout net : une maison c’est un dedans, mais c’est aussi un dehors. Une maison c’est un dedans avec un dehors. Et encore, de manière provisoire (le temps défait tout). Une demeure. Un séjour. Une restance.

Cette prémisse, pour qui ne l’avait pas encore saisie des textes précédents, me paraît importante, à présent que nous devons affronter le problème de l’homme vs le reste du monde.

Les champs, les landes, les collines, les plages, les océans, les vallées dans les montagnes, les cimes éperdues frappées d’éclairs et les orgueilleuses murailles de roches sur lesquelles le vent des hauteurs vient s’éventrer depuis les premiers âges du monde : tout ça n’est pas un simple spectacle pour nos yeux. C’est une société d’être vivants. Nous ne connaissons que l’anatomie de ces belles choses vivantes, aussi humaines que nous, et si les mystères nous limitent de toutes parts c’est que nous n’avons jamais tenu compte des psychologies telluriques, végétales, fluviales et marines.

Voilà bien le genre de belle déclaration qui pourrait nous faire dériver de notre cap, nous faire douter de notre but : ainsi donc l’âme du monde palpite, et censément nous irrigue, et nous inspire, nous fortifie.
Or je crois précisément que l’écueil où viennent se fracasser les velléités écologistes primaires, celles qui se dédient à la protection de la nature et s’offrent au martyriat comme la première recrue terroriste venue est précisément ce manque de « résolution », au sens optique du terme, ce ratage de la mise au point.

Tout cet ensemble est, nous dit Giono, « une société d’êtres vivants » : la biocénotique (dont le climax est contemporain) ne dit pas autre chose. Cette société n’est pas un kolkhoze, ou un phalanstère (même à Contadour, on dit que Giono ne croyait guère), on en convient, mais justement, une organisation a priori beaucoup plus complexe.

L’homme en est-il pour autant exclu ? Non : ces choses sont « aussi humaines que nous ». Cela veut dire : elles ont des sensations, des sentiments, une mémoire, un imaginaire, la raison ? Je ne le crois pas ; c’est pratiquement l’influence inverse qui est ici en jeu.

Il ne faut plus isoler le personnage-homme, l’ensemencer des simples graines habituelles, mais le montrer tel qu’il est, c’est-à-dire traversé, imbibé, lourd et lumineux des effluves, des influences, du chant du monde.

L’être humain est lui-même intégré au sein de l’organisation du vivant, en un mot, il fait partie de la chaîne, c’est une brique, un élément, une part du monde. Il n’est guère nécessaire d’insister sur sa participation.

Je sais bien qu’on ne peut guère concevoir un roman sans l’homme, puisqu’il y en a dans le monde. Ce qu’il faudrait, c’est le mettre à sa place, ne pas le faire le centre de tout, être assez humble pour s’apercevoir qu’une montagne existe non seulement comme hauteur et largeur mais comme poids, effluves, gestes, puissance d’envoûtement, paroles et sympathies.

C’est bien cela : paroles et sympathies, ces formes élémentaires de l’humanité (Giono est trop antique pour ne pas le savoir) : c’est par elles que nous accédons aussi au monde, dont pourtant nous ne sommes pas séparés ; et pour cause : nous le nommons ! Ou, dit autrement, nous racontons des histoires. Et, cela, Giono ne le saurait pas ?

Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme, sans moyens techniques, on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction.

9 mai 2022
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