Une œuvre d’utilité publique
Harold Cobert, en résidence au lycée Jean-Monnet de Juvisy (91) de septembre 2022 à mai 2023.
Lire en miroir le témoignage de la professeure Nathalie Germinal.
Comment et pourquoi avoir choisi un lycée comme lieu de résidence ? Aviez-vous déjà une expérience face à des élèves ? Avec la professeure qui vous accompagne ?
Madame Germinal m’a proposé ce projet de résidence, et j’ai tout de suite accepté. La perspective de partager ma passion pour l’écriture et la littérature avec des élèves qui peuvent – à tort – se sentir exclus de l’univers du livre et de la lecture me semblait constituer une œuvre d’utilité publique. J’étais déjà intervenu à de nombreuses reprises dans des collèges et des lycées, notamment au sujet de certains de mes livres que des classes présentaient au baccalauréat, ou dans le cadre de rencontres autour d’un de mes romans qu’ils avaient lus et étudiés, comme cela avait été le cas avec Madame Germinal. En revanche, à l’exception de cours particuliers que j’ai pu donner par le passé, je n’avais jamais eu la longueur de temps qu’offre une année scolaire entière à raison d’une intervention par semaine. Et cette régularité a été formidable pour travailler en profondeur et tisser un lien de confiance avec les deux classes de seconde que j’ai eu la chance d’accompagner.
Comment se passe une séance en classe ? Quelles réactions des élèves ?
Ils écrivent ! En fonction des thèmes abordés, Madame Germinal et moi leur proposons un sujet précis avec des consignes tout aussi précises. Nous développons le thème et échangeons oralement à son propos, je leur donne quelques « trucs techniques », et ils se lancent le reste de la séance et, au besoin, ils continuent la séance suivante. À tout moment, ils peuvent nous solliciter, Madame Germinal ou moi, s’ils ont un doute, un blocage ou tout simplement pour un avis ou un encouragement. Ensuite, nous lisons leurs textes, échangeons tous ensemble et traçons des axes de retravail pour améliorer l’ensemble si nécessaire – des élèves ont produit des textes de grande qualité.
Au début de l’année, ils écrivaient une demi-page, une page pour les plus hardis. Aujourd’hui, certains commettent des textes de deux à trois pages ! Dans l’immense majorité des cas, leur rapport à l’écriture s’est débloqué. Il est même possible que certains d’entre eux éprouvent du plaisir à écrire.
Ce que cette expérience leur a apporté, et qu’ils ne voient pas forcément encore, c’est qu’ils ne considèrent plus la langue comme une ennemie ni l’acte d’écrire comme impossible. Les bénéfices ne sont pas immédiats, mais je suis certain qu’ils infuseront et irrigueront la suite de leur scolarité au niveau de leurs capacités créatives et rédactionnelles. Et, qui sait, peut-être que certains continueront d’écrire !
Que vous apporte la présence du ou de la professeure ? Votre regard sur son métier a-t-il changé ?
La présence du professeur m’aide à ne pas partir dans des délires d’écrivain ! Elle m’aide aussi à structurer les ateliers en synergie avec ce qui est étudié en français et en histoire, par la connaissance que Madame Germinal a de ses élèves, et surtout en termes de pédagogie – car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, on ne s’improvise pas professeur. Mon regard sur ce métier m’a confirmé à quel point leur rôle dans la formation des citoyens de demain est primordial, souvent dans des conditions et un environnement de travail difficiles. Leur engagement est plus que jamais admirable.
Ces circonstances influent-elles d’une façon ou d’une autre sur votre création en cours ?
Non, mon univers créatif est comme un walkman que je mets sur les oreilles et que je peux couper en retirant les écouteurs. En revanche, j’ai constaté avec beaucoup de joie que les histoires – écrites, lues, racontées – captent toujours l’attention et l’intérêt, peu importe l’âge ou le niveau socioculturel. La littérature, quel que soit son support, a encore de beaux jours devant elle.