André Markowicz | Un entretien aléatoire (11)
CHANSON DES CHARIOTS DE GUERRE
Les chariots crissent crissent
Les chevaux s’ébrouent s’ébrouent
Chaque conscrit a son arc et ses flèches
qu’il emporte attachés à la ceinture
Pères et mères femmes et enfants
se pressent pour leur faire leurs adieux
Le défilé lève tant de poussière
que le pont de Yiangang a disparu
Trépignant s’accrochant à leurs habits
ils pleurent les empêchent de passer
L’écho des pleurs monte droit jusqu’au ciel
et va frapper la masse des nuages
Un homme est là sur le bord de la route
il interroge l’un de ces conscrits
Le conscrit ne lui fait qu’une réponse :
— ces levées de recrues ne sont pas rares
Certains ils ont quinze ans on les envoie
garder le fleuve aux frontières du Nord
Et même à quarante ans requis à l’Ouest
ils cultivent les champs des garnisons
Quand ils partent le chef de leur village
leur mettent le bandeau sur les cheveux
Ils reviennent ils ont les cheveux blancs
ils repartent veiller sur les frontières
Aux frontières là-bas le sang qui coule
il y en a plus que d’eau dans la mer
L’empereur belliqueux poursuit son rêve
d’étendre les limites du pays
Vous n’avez donc pas vu, monsieur,
les deux cents préfectures
qui sont à l’est des montagnes chez nous
Les milliers de villages de hameaux
envahis par les ronces les mûriers ?
Et nous avons pourtant des femmes fortes
elles manient la houe et la charrue
Mais des semis poussent sur les remblais
c’est le plus grand désordre dans les champs
Loin de chez eux les fantassins chinois
endurent l’amertume de la guerre
Si nous étions des chiens ou des poulets
nous serions mieux traités que nous le sommes
Quand bien même un ancien nous interroge
À qui donc un soldat peut-il se plaindre ?
Mais cet hiver monsieur vous savez bien
Les régiments s’en allaient tous à l’Ouest
Le collecteur d’impôts qui se présente
Les impôts les impôts comment payer
Mieux vaut ne pas du tout avoir de fils
Il est plus rassurant d’avoir des filles
On peut marier sa fille à un voisin
Votre avenir si vous avez des fils
chercher leur tombe dans les hautes herbes
Voyez-vous aux frontières du Tibet
Ces ossements blanchis sans sépulture
Les jeunes morts ulcérés d’injustice
les morts anciens qui ne font que pleurer
Le ciel est noir et la pluie nous transperce
elle porte leurs voix ils crient ils crient.
750.
Note :
Poursuivant mes aventures chinoises, j’ai établi ce texte, comme pour le poème de Wang Wei, à partir de différentes sources.
- Un mot à mot de Mark Alexander, sur son site internet : www.chinese-poems.com. Mark Alexander a publié ses traductions en volume : A little book of Du Fu, 2008-2010.
J’ai également étudié une série d’autres traductions, parmi lesquelles je citerai :
— Une mouette entre ciel et terre, poèmes traduits du chinois par Cheng Wing fun et Hervé Collet, Moundarren, 1995, p. 62-63.
— F. Ayscough, Tu Fu, the autobiography of a chinese poet, arranged from his poems and translated by Florence Ayscough, 2 vol., vol, 1. p. 101-102.
— Vikram Seth, Three chinese poets, Wang Wei, Li Bai and Du Fu, Harper Perennial, 1993., p. 48.
— David Young, Du Fu A Life in poetry, Alfred A. Knop, New York, 2010. p. 43.
Et les trois différentes versions de l’anthologie classiques des Trois cents poètes Tang.
— Three hundred poems of the Tang Dynasty, 618-906, a Translation with Notes and Commentary of the Study and Appreciation of the Chinese Poems. Translated by Witter Bynner, Book World Company, s.d. Taïpei, p. 169.
— 300 Tang Poems, translated by Innes Herman, The Far East Book Co., Ldt, Taipei, 1973, 2000.
— Three hundred Tang Poems, translated and edited by Peter Harris, Everyman’s Library, Pocket Poets, 2009, p. 55