Baby spot

Roman d’Isabel Alba.


Il s’appelle Tomás. Il a douze ans. N’a pas de père mais un beau-père plus ou moins violent, une mère qu’il trouve trop pleurnicharde et une petite sÅ“ur, Diana, (prénommée ainsi en hommage àla princesse morte) qu’il adore plus que tout. Il habite àMadrid, de l’autre – du mauvais – côté du périphérique, avec ceux qui, faute de mieux, glandent, galèrent, boivent, chapardent, cognent, traficotent. C’est dans cet espace de non-droit, situé au cÅ“ur d’un chantier abandonné suite àdes malversations immobilières, que l’on a retrouvé, pendu àun échafaudage, le corps de Lucas, le gamin le plus calme, le plus réservé et le plus solitaire de cette bande d’enfants esseulés dont il était peu àpeu devenu le souffre-douleur et àlaquelle appartenait aussi Tomás. Celui-ci en a gros sur la conscience. Il lui faut dérouler le fil des événements qui ont eu lieu ce jour-là.

C’était au mois d’aoà»t, dans une chaleur torride. Il était aux premières loges. A tout vu. Pourrait le dire de vive voix mais préfère, pour ne rien oublier, poser les faits tels qu’ils se sont déroulés en s’en remettant àl’écriture.

« Â Moi, je pense que sur le papier, si j’arrive àtout écrire sur des lignes bien droites, une chose après l’autre et sans faire de ratures, j’y verrais plus clair. Parce que quand j’essaie de me souvenir, ça me fait comme avec les images de certains films, pas moyen de les revoir dans sa tête comme on voudrait, mais elles reviennent sans arrêt quand on s’y attend le moins.  »

Ce qu’il a àdire n’est pas simple. Il lui faut convoquer tous les protagonistes de l’histoire. En commençant par le Zurdo, le caïd, le héros du coin, grand frère de son pote Martín. C’est àce type qui a déjàtâté de la prison, et qui roule des mécaniques dans le quartier, que tous les gamins de la zone aimeraient ressembler.

« Â En fait, le zurdo nous défendait toujours : un jour il a même tuer àcoups de pierres un chien qui avait mordu Martín àl’épaule.  »

Mais le zurdo, après la découverte du corps de Lucas, est appréhendé dans un bar, amené sur les lieux du drame et embarqué, menottes aux poignets. Antonio, le flic véreux qui sévit dans les parages, le soupçonne de meurtre.

« Â C’était plus le même, le Zurdo, il était mort de trouille, lui qui était un vrai courageux, lui qui n’avait même pas bronché quand il s’était fait faire son tatouage sur la joue gauche. Mais cette nuit-là, quand on l’a amené, il gémissait àchaque gifle que lui donnait Antonio, le policier, le mari de Rosa, la boulangère.  »

On apprendra, àla fin de la confession de Tomás, les circonstances exactes de la mort de Lucas. Des aveux terribles et glaçants qui n’interviendront qu’aux dernières pages de ce roman mené de main de maître par Isabel Alba. Son écriture est dense et lumineuse. La façon avec laquelle elle parvient àrendre évidents les mots, le vocabulaire et la voix déjàrude d’un gamin qui a grandi trop vite est d’une implacable précision. Il en va de même pour les portraits croisés et les personnalités tranchées de tous ceux qui sont au centre de cette histoire. Baby spot est un roman grave et incisif. Il est traversé par un réalisme finement ciselé. C’est, de plus, un monologue incandescent. Qui parle vrai et juste.


Isabel Alba : Baby spot, traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno, éditions La Contre Allée.

28 septembre 2016
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