Bien des choses du facteur
Un livre pour saluer la "grande tournée" du poète Jules Mougin.
Mougin a aujourd’hui 93 ans et cet ensemble, s’il vient bien tard, arrive néanmoins à point nommé pour attirer l’attention sur un artiste aux multiples facettes.
"Je suis né le 10 mars 1912.
Mon père est mort.
Ma mère est morte."
Jeanne aussi est morte, le premier novembre 2003. Le livre lui est dédié. "Pour rendre lisible le deuil", Jules a vidé les murs de ses tableaux et de ses racines peintes. A la place, il a simplement recopié une citation de Marcel Moreau : "Belle de toi ne peut qu’être ma mort". C’est à l’un de ses proches, Claude Billon, facteur et poète lui aussi, que nous devons cette confidence, glanée au hasard des très belles pages qu’il consacre à celui avec qui il a échangé plus de 4000 lettres depuis 1978.
Mougin vit dans le Maine-et-Loire, là où habite également l’une de ses correspondantes, Ernestine Chasseboeuf, autre habituée des lettres lancées à la volée. Lui, il en a fait partir des milliers. C’est un peu de son trésor, une partie de son oeuvre, entamée il y a plus de 70 ans, qu’il aime ainsi disperser. Toutes les missives portent la mention "Merci facteur". Notant cela, le ciselant presque, à la plume sur l’enveloppe, il sait évidemment de quoi il parle. La Poste - ou plutôt Les Postes - il y est entré en 1926, débutant dans un petit bureau, au 80 de la rue Dupin, à Paris VI. "Matricule 1809, 250 francs par mois, plus trois sous par dépêche portée".
"J’étais postier. Je me trimballais dans les rues qui avoisinent le Bon Marché avec la petite sacoche des télégraphistes. J’entrais au Lutétia et je pénétrais au bordel de la rue Saint-Placide. Je recevais dix sous du maquereau, une engueulade du "boock" (son télégramme lui arrivait trop tard disait-il), une bouffée de fumée de la dame en déshabillé du grand hôtel.
J’étais jeune, j’étais numéroté. En ce temps là, au bureau de la rue Dupin, le "chef" nous parlait souvent de la Révolution et de la lutte des classes. "Lénine", commençait-il. Il faisait flotter sur nous, télés, l’ombre du drapeau rouge".
Coté édition, Jules Mougin a beaucoup publié - ses années fastes se situant entre 1950 et 1970 - souvent à tirages limités et toujours chez des éditeurs (Robert Morel , Jean Vodaine , P.A. Benoît) avec lesquels il entretenait des liens d’amitié. Ses textes (proses ou poèmes) ont beaucoup à voir avec la mémoire, le quotidien et les inébranlables obsessions (la guerre, la révolte, la mort) nées, dès l’enfance, de la boucherie de 14-18.
"Tout commence à partir de l’humiliation ! La colère et l’orage ! Petit à petit !"
Avec le temps, ses diverses publications sont devenues rares et recherchées. Si quelques titres, notamment Usines [2], ont été réédités, dans l’ensemble tout reste à faire.
Bien des choses du facteur, qui présente en couverture "la déesse des postes" enchâssée dans une des godasses du facteur Joseph Roulin , regroupe études, extraits, correspondances (lettres de ceux qui furent ses proches : Giono, Dubuffet, Chaissac), témoignages (Louis Calaferte, Henri Mitterand), superbe iconographie et biblio très complète.
Ce livre peut contribuer, pour peu que les curieux (et parmi eux : quelques éditeurs) aillent y voir de près, à lancer de nouvelles passerelles pour mieux découvrir une oeuvre foisonnante mais hélas encore trop méconnue.