Carol Sansour | À la saison des abricots
(1)
Entrée
Feux de circulation
Affiches
Mur de séparation
Palace Jacir
Boucherie Amal
Camp Al Azza
Pain
Secours et travaux des Nations unies
Office des ordures
Nouvelle rue
Pierres de construction
Bulldozer sable et cailloux
Graffiti
Voitures voitures voitures
Restaurants restaurants restaurants
Moines du monastère
Gardes de la Nativité
Police touristique
Violence
Sécurité
Palais présidentiel
Banque
Soleil
Citron
Foyer
(6)
Au commencement étaient les abricots
Le premier foyer
La terre crépite
Les insectes grésillent
À la saison des abricots
Histoires du début de l’été
amours platoniques
La ruelle : chiens fatigués
assommants voisins
À la saison des abricots
Les matins aux tons verts, jaunes
et miel
Le vendeur de glace ambulant
crie dans l’après-midi
L’odeur du sucre qui caramélise
Les enfants qui jouent dans la poussière
quand ma mère fait le café
le lait, le thé
Ma mère
Toujours ma mère
Les infidélités les plus grandes
et les pertes les plus sévères
et le plus long exil
À la saison des abricots
(12)
Il se pourrait bien que l’idée de nationalisme arabe soit précisément l’idée de l’État d’Israël
Artifice et projet
Il se pourrait bien que les crises auxquelles nous assistons soient l’occasion de reformuler qui nous sommes et ce qu’ici nous défendons
Mais à user de ces crises pour régler des comptes, vengeurs, tribaux, nationalistes
Il se pourrait bien que soit suffisamment justifié ce qui nous arrive et nous arrivera dans le monde arabe
(13)
Comme si depuis toujours
nous avions joué à « Ma princesse »
Je te maquillerais
te vêtirais de fleurs et de perles
et te prendrais en photo
On prendrait place sur la balançoire de notre haut balcon
toi tenant les jumelles
moi saoulée de la vue
On surveillerait le toit d’un amant imaginaire nommé « Son cul la lune »
Choisirait des anémones et des roses jaunes
Tu serais nus pieds
et dans l’herbe nous cacherions des secrets
On parlerait jusqu’à ce que le coq, lassé de nous, chante
et que le soleil se lève sur la mer Morte
La rosée aurait mouillé nos couvertures
On évaluerait l’ampleur du sujet au volume de coquilles de graines de citrouille sur la table de la cuisine et au taux d’écossage
Le travail : une once
La famille : deux onces
L’amour : un kilo + des barres de chocolat
Nous jouerions à « Ma princesse »
Et je te prendrais en photo
(17)
Nous avons tous conscience des possibilités
Ses fiancées vouent leur poitrine et leurs cuisses à la vie devrait-il apparaître
« Ma mère sera la plus belle des réfugiées si on nous oblige à fuir » leur a-t-il rappelé
Les écrans rétrécissent, l’absurdité grandit
À bas le tyran
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Coiffure démodée
Maman aux ongles flashy
Rimes assorties
Chaises qui négligent le gabarit du gardien
Météo probable forte pluie
Feux de signalisation brisés
Un entonnoir de cigarettes
Un livre fâché d’être interrompu à la même page
Jeunes hommes souffrant d’amour
Satiété
Vomi
Rougeur aux yeux
Une douleur qui mord la jambe
Convulsion musculaire arrière
Nœud de langue
Appel d’un service d’urgence endormi
Une vierge salope
Une fleur de terrain abandonné
Matières fécales dans les puits artésiens
Saccage d’un tambour
Pouvoir prostitué
Préjugés religieux
Recherche de chambre à coucher pour une fille de joie
Se baigner dans une mer sans vagues
Boire un shot de mauvais whisky au soixante-troisième étage
Sourire à la réception
Discuter avec un idiot
Tout ça du bavardage
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Ainsi la patrie à l’aurore de chaque matin
La révolution ne commencera jamais
(20)
J’ai vendu mon âme à vingt marchands
qui l’ont troquée contre un missile
fabriqué localement
Je l’ai vendue pour des images d’école bombardée
et de mères qui deviennent folles
J’ai vendu mon âme et n’ai vu que
copies rabâchées de rimes et d’adages
que même le diable aurait honte de chanter
Je l’ai vendue et j’ai maudit les ovations et les lamentations
pendant qu’ils achetaient un missile
qui pointera sur ma poitrine quand j’aurai proclamé
que Palestine n’est pas une cause
(21)
Les matins aux tons verts, jaunes
et miel
À la saison des abricots
L’odeur du sucre qui caramélise
Les enfants qui jouent dans la poussière
quand ma mère fait le café
le lait, le thé
Ma mère
À la saison des abricots
Toujours ma mère
Les poèmes À la saison des abricots ont été publiés par This week in Palestine.
Ils ont été traduits de l’arabe (Palestine) par Henri jules Julien et Mireille Mikhaïl, publiés en 2022 aux éditions Héros-limite.
Cycle intégral en arabe sur le site de Youssef Rakha.