Cycle et déchirure dans l’œuvre de Louis-Combet

Ce 22 novembre 2004, Stéphane Lavauzelle était reçu docteur « maxima cum laude » de l’université de Limoges, pour sa thèse Le cycle et la déchirure dans l’œuvre de Claude Louis-Combet, sous la direction du professeur Claude Filteau.

On l’aura deviné, il ne s’agit pas ici de carnet mondain ou d’invitation à se précipiter sur les 790 pages (3 tomes, 4 kg), mais à considérer la promesse contenue dans un tel travail, ses développements à venir et une connaissance plus précise encore de l’œuvre de L’Homme du texte.

Pour approcher la manière de Stéphane Lavauzelle, le lecteur intéressé aura au moins deux possibilités.

La première lire dans la revue NU(e) n° 27 Le Murmure des patiences au bord de Transphallie, pour "se retrouver en territoire de Haut Verbe", grâce à deux émissaires "envoyés du plus profond de la mémoire du Verbe qui se croiseraient dans les stases éperdument enlisantes et fascinantes des marais et des tourbes, suspendant chacun sa plume au-dessus des mares et des tourbes, comme y puisant un peu de cette encre nécessaire à la grâce ?"

Sont nommés : Claude Louis-Combet pour « Transphallie » du recueil De la terre comme du Temps (Lettres Vives 1982) et Jean-Loup Trassard pour « Des patiences au bord de l’eau » du recueil L’Ancolie (Gallimard, 1975)

Stéphane Lavauzelle conclut sa longue et riche étude, toute de sensations et de compréhension en profondeur (le mot s’impose) ainsi :

Chez Jean-Loup Trassard, le livre s’empare de l’espace, du lieu, suggère un livre que l’on ne saurait lire, mais vivre. Chez Claude Louis-Combet, c’est l’espace qui absorbe le porteur du Livre, le dissout, l’un et l’autre devenant les mêmes pages d’un même texte. C’est alors un livre toujours à relire que les herbes protègent, et, toujours étant relu, il perd, de même, toute épaisseur, n’étant plus que la page parmi d’autres d’un rituel de retour.
Face à ce livre s’absentant, je ne saurais résister plus longtemps à convoquer Michel Camus, qui, dans Hymne à Lilith, prête ces mots à sa figure nocturne : " Peut-être ne suis-je ouverte qu’à l’Ouvert sans nom et sans visage ? Peut-être ne suis-je que « qui suis-je ? » ". C’est à un tel questionnement que tout lecteur, en son parcours de tourbe, est invité à poser, à mettre en jeu, dans le même mouvement qu’il remet en jeu sa position de lecteur. De cela, Edmond Jabès se fait encore l’écho, le plus beau et le plus simple :
" En quittant le livre, on ne le quitte pas, on habite son absence."

Une seconde possibilité nous est donnée de bénéficier de la lecture de Stéphane Lavauzelle, empathique et se pliant toutefois aux rigueurs de l’exercice universitaire (le mot exercice est ici de reçu de manière positive, absolument) avec une première publication en 2002 dans les Annales Littéraires de l’Université de Franche-Comté avec un titre assez voisin de celui de la thèse : Cyclicité et déchirure dans l’œuvre de Claude Louis-Combet :

Cette publication (diffusion CiD), et aussi la thèse comportent en dernière de couverture :

« La vie se partage la nuit dans le déchirement. »

De ces mots douloureux de Miriam Silesu, l’oeuvre de Claude Louis-Combet, qui préfacera d’ailleurs la jeune fille en pleine Passion apocryphe, est un écho tout aussi sombre, tout autant marqué par la faille et la rupture. Les mots sont bien pauvres, paradoxalement, pour dire ce qui se joue dans cette oeuvre. La Nuit, la Femme, la déchirure et le cycle, certes, sont présents dans la mémoire des pages, mais bien plus encore s’y trouve et qui sommeille, toute la valeur de cette oeuvre étant dans cet au-delà, dans cet écart, que seule l’adhésion du coeur et des sens peut approcher dans sa pureté d’au-delà. Et ces pages, alors, tout autant qu’une étude, se voudraient aussi témoignage d’une rencontre sans équivalent avec un auteur qui, bien plus qu’un homme de lettres comme l’époque les fait et les défait, est un être remonté de la plus ancienne des nuits, et proposant au lecteur, par la main tendue de sa plume, d’en épouser, de nouveau, les soyeuses et vénéneuses profondeurs.

Dans l’ouvrage publié par les presses franc-comtoises, Stéphane Lavauzelle a pris pour corpus d’étude sept nouvelles témoignant de la complexité de l’écriture et des préoccupations de l’auteur :

Transphallie, Yggdrasil (qui forment le recueil De la terre comme du Temps déjà cité), La Fille de l’Empuse, Baubô, Iphis, La Vierge de Gand (Figures de Nuit, Flammarion, 1988) et Ouroboros junior (Rapt et ravissement, Deyrolle, 1996) - signalons une forte étude de Stéphanie Boulard, Emory University dans Roman 20-50 n° 37, juin 2004, qui ravira les lecteurs de Louis-Combet et de Pascal Quignard lu par Philippe Bonnefis (Son nom seul, Galilée, 2001)

Je me suis tout particulièrement réjoui du chapitre « Pour une écriture de « fin silence » » (repris et amplifié dans la thèse), des convergences exprimées avec la Biographie de Roger Laporte, avec Blanchot et l’écriture qui réapparaît dans de nouveaux récits comme « les morts ressuscitaient mourants ».
Il me semble que le texte que Claude Louis-Combet a bien voulu donner en prologue de la thèse et que l’on trouvera ci-après consonne singulièrement avec ces lignes d’Iphis p. 91-92) :

l’absence est, ici, aussi singulière que la présence. Et, dans son ignorance radicale qui seule lui rend accessible un tel savoir, l’enfant comprend soudain, sans pouvoir l’exprimer autrement que par son silence et la démesure de son regard, que l’une et l’autre sont identiques.

L’on ne s’étonnera guère de trouver au détour de la bibliographie : L’absence réelle de Jean-Louis Giovanonni et Raphaële Georges, éditions Unes.

Mais il est sans doute temps de découvrir le texte inédit, généreusement offert par Claude Louis-Combet pour ouvrir la thèse de Stéphane Lavauzelle !

J’ai toujours éprouvé une grande résistance à parler (à écrire) de moi. Aujourd’hui, à plus de soixante-dix ans, ma réserve ne faiblit pas. Et si je cherche à saisir le sens de cette relation à moi-même et aux autres, qui m’a toujours rendu difficiles la communication, l’échange, le dialogue - en considérant quelques expériences de mon passé, il me semble qu’un tel blocage de la parole, qui aurait pu, en des périodes plus particulièrement vulnérables de ma vie, m’enfermer dans le mutisme, met en jeu un sentiment puissant, presque écrasant,où s’amalgament l’absence, la faute, l’infériorité, la honte, le vertigineux désir d’inexistence. Sur le fond de cette épaisseur psychique, passablement asphyxiante et ruineuse, l’écriture a été le recours qui m’a permis d’exprimer, à travers les symboles et métaphores de la fiction, comme dans le rêve, les hantises latentes tellement refoulées qu’elles n’étaient plus que choses d’inconscient, sans image et sans voix. Au regard de cette dimension d’être, constituée par l’écriture, la biographie purement événementielle ne présente pas l’intérêt d’être rapportée. Dans les textes d’inspiration autobiographique que j’ai écrits, Infernaux Paluds et surtout Le Recours au mythe, les données tirées de l’expérience de la vie ne se réduisent jamais à de simples narrations. La mémoire est moins celle des événements - lesquels sont évoqués très approximativement - que celle du sens des événements. Et par exemple les lieux d’enfance et de jeunesse auxquels je me réfère constamment, la ville de Lyon et le village dauphinois de Vasselin, ne se présentent pas comme des décors pour l’action. Ce sont des paysages de l’âme et des sens, un espace pour la respiration du cœur et l’engrangement des émotions. Je suis inapte à la représentation objective des lieux, des choses et des êtres. Il me semble, c’est ainsi que je la sens, que ma démarche n’est pas très éloignée de celle de la peinture abstraite lyrique ou des compositions musicales monodiques du chant religieux. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’influences perceptibles car, en matière d’esthétique mon goût est éclectique, mais c’est bien l’expression d’une nécessité intérieure, en relation avec des formes fondamentales de ma sensibilité : plus l’écriture m’a, en quelque sorte, enfoncé en moi-même, plus je me suis dégagé de la description, de la narration, du dialogue. J’ai rompu mes attaches avec l’extériorité du monde et, les yeux clos et tous mes sens ramenés au-dedans, j’ai haussé la rêverie au rang d’une méthode d’écriture. Avec cette orientation, amorcée dès mon second livre, Miroir de Léda, j’ai le sentiment de m’appliquer non à produire de la littérature, mais à œuvrer dans le sens de la plus juste coïncidence de la langue, aussi transparente que je puis, avec l’être, aussi nocturne qu’il soit. En cela se tient la vie - non pas toute la vie - mais l’essentiel de la vie, en partage avec l’amour dont l’écriture est nourrie. Cette entreprise voudrait être hors du temps. Elle est loin de réaliser cette aspiration qui se place comme à la racine du désir. Même si, dans son contenu, l’écriture telle que je la pratique est plutôt intemporelle, en ce qu’elle exclut toute référence à l’actualité, dans son élaboration qui s’approche nécessairement du terme, elle me rappelle qu’elle ne fut jamais le tout du temps. Elle a rempli les heures, jour après jour, mais elle n’a pas comblé le vide ni allégé l’angoisse face à la finitude. L’édification de l’œuvre n’a aucune valeur de sagesse devant la mort. Le renoncement à l’écriture apporterait un grand soulagement s’il pouvait prendre le sens d’une expiation, assumée dans la ferveur. Sinon, il ne serait qu’un triste aveu d’impuissance...

Claude Louis-Combet

9 janvier 2005
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