Dans les nuits

« Passeur pluriel, tu sais faire sauter les verrous », Éric Ferrari.


Fasciné par sa découverte de l’art funéraire étrusque, Éric Ferrari a voulu s’attarder plus précisément sur ce qui, à proximité des tombes, relie le monde des vivants et des morts. Son besoin de sonder ces étranges « zones de transition » (que l’on percevait déjà dans son précédent livre, Les corvéables, les répondants, à propos des statuettes déposées dans les sépultures de l’Égypte ancienne) réside moins dans le recueillement que dans l’envie d’y déceler des signes de vie capables de perdurer et de traverser les époques, peu importe le nom de celui ou de celle qui est parti en laissant sur terre une place naturellement à prendre. C’est ce grand et silencieux et anonyme chassé-croisé qu’il essaie de comprendre. Il va ainsi de la « tombe des petits augures » à celle « de la chasse » en passant par celle « de la panthère » ou « de la narration » en questionnant le temps et les lieux hantés par des défunts qui, à leur manière, lui parlent.

« nous nous reconnaissons dans les corrections fertiles, la toilette mortuaire, l’offrande des caresses vierges et le grain de raisin mûr qui éclate entre les bouches embrassées »

S’initier à ce parcours qui nous ramène deux millénaires et demi en arrière ne peut se concevoir sans se pencher longuement sur les fresques où l’on voit les objets qui furent ceux de la vie quotidienne du disparu se mêler, à même la chambre mortuaire, à des reproductions de scènes de vie joyeuses (danses et banquets).

« nous honorons la mémoire de ceux qui sont restés et celle que nous forgeons sur cette terre trouvée, en dessinant au fond de nos tombeaux, des joueurs attentifs, les plaisirs du corps épilé, la cruauté féline, et l’énigmatique sourire d’être là »

Le monde sauvage, les animaux, les éléments, la relation à la terre et au soleil sont essentiels « dans les nuits » ici restituées, presque psalmodiées, par bribes, en « un parlé de gibiers pour nommer la descendance », dans ces régions souvent sèches « où quelques étincelles provoquent un maigre feu de solitude ».

« je suis parti // au-dessus du lit, tu trouveras dessiné un petit navire au mat cassé, des hirondelles // et le contour d’une ombre humaine »

Frottant les secrets des tombes étrusques, y posant ses vers coupés, ses mots tendus vers un horizon qu’il lui semble possible d’atteindre en se calant en premier lieu sous un tumulus, Éric Ferrari tente d’approcher des rivages inconnus. Il y rencontre fréquemment la figure d’Orphée, ce qui l’incite à introduire au fil de ses propres poèmes, des extraits du livret de l’Orfeo de Monteverdi dans le texte. Cela offre à son livre de singulières portes d’entrée. On ne peut s’empêcher de le penser, lors de certains passages, écrit à plusieurs voix : la sienne d’abord et surtout, associée à celles de ceux qui ne sont plus mais dont quelques réminiscences de vies très imagées font parfois vibrer d’inattendues et souterraines cordes vocales.


Éric Ferrari : Dans les nuits, éditions Clarisse.

21 décembre 2011
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