Yousef Elqedra | Je suis celui qui a traîné son corps...
Je suis celui qui a traîné son corps
parmi les flammes,
comme si je portais une forêt en feu sur le dos.
Je suis celui qui s’est dissous dans l’air
quand la maison a explosé de l’intérieur,
et je suis parti,
comme un oiseau sans direction.
As-tu renié mon sang ?
As-tu perdu la vue ?
N’as-tu pas vu mon visage se détacher du mur ?
N’as-tu pas vu ma main me chercher dans l’ombre,
sans jamais me trouver ?
Les corps se sont envolés
comme des feuilles dans le dernier vent.
J’ai vu une jambe suspendue à un fil électrique,
une main qui tentait de rassembler sa tête
avant de tomber.
Chaque fragment de nous portait sa propre nostalgie,
mais aucun ne savait retrouver l’autre.
Ce n’était pas la mort.
C’était une austérité dans le langage.
Le néant écrivait nos noms avec des lettres de chair.
Je n’étais pas un prophète,
j’étais un enfant, avec une miche de pain et une clé,
et je marchais.
Mais mon sang,
mon sang connaît toutes les directions,
et il crie dans les vieux murs :
Ici, j’étais.
Par ici, je suis passé.
Et ici, mon cœur s’est brisé
comme une vitre.
Ne me cherche pas maintenant.
Cherche mon ombre dans les champs brûlés,
mon carnet, dont une moitié est restée dans l’arbre,
et l’autre dans la tempête.
Cherche-moi dans la poussière suspendue sur la ville,
dans le sommeil léger de ma mère,
et dans la bouche de la terre
qui ne s’est pas encore scellée.
Traduit en français par Hermessi Boutheina.
Lire l’entretien de Yousef ElQedra avec Gwenaëlle Lenoir sur Mediapart, « Il faut inventer un nouveau langage pour dire Gaza ».
En logo, illustration par Yousef ElQedra.