Ensemble : l’atelier d’écriture | Cathie Barreau

Ce texte a été écrit pour et lu lors de cette troisième rencontre proposée par remue.net avec la collaboration de la Scène du Balcon le vendredi 15 février à 20 heures.
Il s’agissait de réagir à cette proposition :

Quelle zone d’échange l’atelier d’écriture constitue-t-il, comment se construit-elle, et comment se reconstruit-elle, dans quelles difficultés (non que la difficulté atteste d’une valeur morale, mais assurément ce coût personnel est à questionner, qui replace en son dérisoire la simple question alimentaire, argument de petit poids trop souvent usité) ? Quatre écrivains en présence nous diront ce qu’il en est de leur pratique d’atelier, en quoi leur écriture personnelle et l’atelier jouent, ensemble et contre. Quoi de leur écriture joue dans ce mouvement vers autrui. Qu’est-ce qui les amène à déplier de l’écrit (dans toute son envergure, pratique, intime, conceptuelle) avec d’autres ; qu’est-ce qui amène cet autre à venir écouter, faire, lire et dire, ensemble, ainsi. Qu’est-ce qui amène l’autre à revenir (ou à préférer ne pas) ; qu’est-ce qui les pousse, écrivains, à redéplier encore avec cet autre (ou d’encore autres) ; qu’est-ce qui là-dedans épuise, lessive, fatigue nous intéressera autant – quoi de leur écriture joue dans ce mouvement vers autrui, quoi éventuellement s’en nourrit, mais aussi quoi, parallèlement, s’en défend, s’en préserve.


Ce mot m’interroge et me fascine. Ensemble. Parce que j’aime tant être seule, vivre seule, écrire seule que je suis étonnée de cette joie à travailler en atelier. La première fois, c’était en 1988 à Paris quelque part vers Nation. Ils étaient de l’OuLiPo, ils étaient autour d’une table où le café fumait. Nous avons écrit chacun dans le silence grâce aux contraintes. J’avais depuis l’enfance passé du temps à écrire à mon bureau ou sur la table de la cuisine, seule. Ce jour-là, je les ai regardés, je les ai sentis près de moi, avec moi. Ils étaient comme moi mais différents. Nous étions ensemble le temps de cet atelier, et singuliers tout à la fois. Je me sentais libre et en relation. Nous agissions ensemble et chacun avec soi-même.

J’anime des ateliers d’écriture parce que je cherche quelque chose. J’écris parce que je cherche quelque chose. Et je trouve. Souvent je suis insatisfaite, épuisée. Parfois je me sens bien. L’atelier est un laboratoire pour chacun. Un laboratoire aux mille expériences collectives et individuelles. Et si je me sens bien c’est que nous sommes ensemble et singuliers. Et lorsque je m’épuise, si je m’ennuie, c’est que nous ne sommes pas ensemble, que nos identités profondes ne sont pas libres et uniques.

Que font-ils ici avec moi depuis vingt ans ? Ensemble, non pas à l’unisson mais à l’écoute. L’impression parfois qu’il s’agit de faire décoller un airbus dernière génération. L’impression que toute mon énergie, ma créativité, ma foi va là dans le groupe. Je les regarde un à un, je pose les livres sur la table, je reste silencieuse et tout peut commencer. Ainsi je parle, je lis un texte, plusieurs, et je dis comment cela me traverse, comment je traverse ces pages. Et c’est bien cela dont il s’agit : ma lecture singulière, mon rythme d’écriture, mon intime compréhension sont le point de départ, le point de recherche. Et ils vont leur chemin.
Je suis disponible à tout souffle, toute phrase, tout texte pour l’accueillir, l’observer, l’interroger. Et de marcher sur un fil toujours entre bienveillance et exigence vers l’ouvrage. Ensemble. A rester seule trop souvent à la place du maître, je m’épuise. Ensemble, que la parole circule, que le silence sourie, que l’écoute travaille.
Vers l’autonomie, vers la solitude retrouvée.
Il s’agit de se séparer, ensemble.

Cette étrange sensation que ces mots : ensemble, liberté, ouvrage, relation, singulier, commencer, ces mots je les ai lus dans un livre qui définit la politique, un livre d’Hannah Arendt. L’atelier d’écriture, fragile comme un espace public où l’intime fait œuvre. Quelque chose comme la rébellion…

Cathie Barreau


Cathie Barreau anime à La Roche-sur-Yon, avec Guénaël Boutouillet, La Maison Gueffier : Patrick Chatelier, autour du Général Instin, se demande ce qui s’y passe

Sur Remue.net, nous avions signalé la parution de Visite aux vivants et Trois Jardins et Journal secret

On peut lire de Cathie Barreau Chataignes sur feu de pages, et Lettres de Margeride
Sur Inventaire-invention, on peut lire Cellule

20 février 2008
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