« Eternité, du temps énamourée »

« L’éternité est amoureuse des œuvres du temps »
William Blake.



L’écrivain mexicain Carlos Fuentes vient de mourir à l’âge de 83 ans.
Hommage à son œuvre : sa présence sur remue.


 

En 1996, Carlos Fuentes avait accordé un entretien à Miguel Angel Quemain qui a paru dans El Nacional, Mexico. Cet entretien est repris dans Territoires du temps. Une anthologie d’entretiens, choix et introduction par Jorge F. Hernandez, traduit de l’espagnol (Mexique) par Céline Zins (Gallimard, collection Arcades, 2005).


Votre œuvre est une volonté d’originalité qui dialogue avec le passé, qui l’intègre et le transforme, et cependant, vous vous déclarez chevalier de l’anti-originalité…
Oui, parce que j’estime que l’originalité est une idée romantique. C’est l’une parmi quelques autres des idées romantiques que je déteste parce que je les crois mensongères, limitatives ; celle, précisément, qui consiste à croire à l’imagination à partir de rien, à la création ex nihilo. Je ne crois pas cela possible, on ne peut écrire sans une tradition. La condition pour créer, c’est de s’inscrire dans une tradition, et la condition pour s’inscrire dans une tradition, c’est de créer ; il y a là un mariage inséparable ; la tradition et la création sont des sœurs siamoises. L’autre idée romantique que je ne partage pas est celle d’unité, l’idée que la mission de la littérature, de la vision poétique, serait de restaurer l’unité. Je crois, au contraire, qu’il faut promouvoir la diversité, l’hétérogénéité, le centrifuge, comme condition du salut intellectuel et politique. L’idée romantique de la restauration de l’unité en tant que valeur suprême du travail poétique et philosophique conduit au totalitarisme, à une société totalement unifiée par une vision poétique, d’abord, politique, ensuite. Je suis contre ces deux dimensions du romantisme. […]

Si l’on en croit certains critiques, vous seriez l’auteur d’une œuvre irrégulière ; dans cette hypothèse, de quels livres vous passeriez-vous ?
D’aucun, même des pires. Je ne me passerais ni des bossus ni des boiteux, parce qu’ils font partie de ma société romanesque. Je ne peux en renier aucun pour la raison que vous disiez au début, à savoir que chaque roman a des correspondances avec un autre, est complété par un autre, les uns sont plus jolis que d’autres, d’autres sont plus laids, certains sont infirmes, que sais-je, mais aucun ne peut exister sans les autres, ça non.

16 mai 2012
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