Forêts noires
Roman de Romain Verger.
Ce qu’il découvre sur place, c’est un lieu fascinant. Entre le volcan et le village, l’immensité forestière impose sa présence. Elle capte, capture. Elle joue tel un aimant. Il sait qu’il ne pourra lui résister longtemps.
« La vision de Shintaro assis quotidiennement sur ses marches m’emplissait de mélancolie ; et lorsqu’il lui arrivait de tourner la tête, je ne pouvais soutenir son regard sans ressentir aussitôt l’appel pressant et délétère de la forêt. »
Quelques mois plus tard, c’est avec cet homme étrange, énigmatique, lui « dont l’œil portait la trace du paysage » qu’il décide d’entrer en contact direct avec la densité des arbres. Il pénètre dans l’inconnu. N’en sortira plus. Ce qu’il y découvre a plus à voir avec son monde intérieur (rêvé, réel ou imaginaire) qu’avec la forêt elle-même. Celle qu’il arpente à couvert, en compagnie du silencieux Shintaro, ouvre et fait remonter en surface des épisodes particuliers de son propre parcours. Tous, liés à la mort, servent de trame à des fragments de sauvagerie forestière où apparaît toujours un dénommé Vlad, personnage ténébreux, officiant en Sologne ou en forêt de Meaulnes, chasseur chevronné, traqueur de gibier habitué à téter le sang chaud directement au cou des bêtes et à se visser sur le crâne la coiffe du dernier cerf tué.
« La balle avait blessé le cerf au garrot d’où le sang coulait à flots. Alors Vlad s’agenouilla, y colla sa bouche et s’en soûla. Puis, lorsqu’il eut fini et qu’il se fut relevé, le menton et le cou barbouillés, vacillant sous la lune, je m’accroupis et bus à mon tour à même le trou. Le sang me brûlait la trachée. Chaque gorgée me consumait d’un plaisir arriéré, charriait un flot de visions incultes et de réminiscences : l’immense dos de Vlad tout flagellé de ronces et le torrent qui déferlait.
Plus il pénètre dans Aokigahara Jukai et plus les souvenirs et les rites initiatiques affluent. Romain Verger les décrit, les enroule avec ce tact et cette précision (pour dire la métamorphose du réel) qui traversaient déjà Grande Ourse, son précédent roman et que soutient ici une force narrative très maîtrisée. Peu à peu, les distances s’annihilent. Des scènes équivoques et archaïques s’invitent dans la nuit verte qui sévit au cœur de la forêt japonaise. La Mer d’arbres porte avec rudesse - et jusqu’au bout - le corps encore vivant de celui qui n’a pas su, n’a pas pu, résister à son pouvoir attractif en lui insufflant ses penchants maléfiques et oniriques.
Romain Verger : Forêts noires, Quidam éditeur.