Henry Bauchau, "L’Enfant bleu"
Une oeuvre quand elle est presque finie, on sent une chaleur, un début de rayon pour qu’on ne finisse pas. Moi on est une espèce de presque, de pas fini. Etre comme les autres, est-ce que c’est être fini ? On voudrait et le presque ne veut pas. On souffre pour finir les oeuvres, on aimerait mieux faire des oeuvres brûlées. Toi, Madame, tu es une presque ou une finie ?
(P. 314-315.)
Henry Bauchau, né en 1913, poète, dramaturge et romancier, est l’auteur d’une oeuvre importante, traduite dans toute l’Europe, aux Etats-Unis et en Extrême-Orient. Son entrée dans l’écriture est indissociable du travail analytique, puisque des premiers poèmes commencent à sourdre au cours de son analyse avec Blanche Reverchon Jouve, et qu’ensuite il est devenu lui-même psychanalyste. Blanche était la femme de Pierre Jean Jouve, écrivain dont Henry Bauchau a été proche. Un colloque international leur est consacré à tous deux les 18, 19 et 20 octobre 2004 à l’université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve) et à l’université de Bourgogne (Dijon) : « Pierre Jean Jouve, Henry Bauchau, écrivains de la marge ». Pour tout renseignement à l’université de Bourgogne : Jacques Poirier, à l’université catholique de Louvain : Myriam Watthée.
Avec son roman, L’Enfant bleu, qui vient de paraître chez Actes Sud, c’est la première fois que la cure est au centre du récit. Orion, un adolescent psychotique, rencontre dans un hôpital de jour celle qui sera pendant de nombreuses années sa « psy ». Initialement, ce roman avait pour titre Le Peuple du désastre. L’expression désigne dans le texte les gens « pas normaux », mais il englobe également son analyste, et tous « les autres », ceux qui, à la marge, subissent quotidiennement « le choc de l’univers encombré » (p. 185). L’histoire, qui va du « on », seul pronom que l’adolescent est capable d’utiliser pour se nommer, vers le « je », est bien plus que le récit d’une maladie, c’est aussi et surtout un chemin vers la création. A travers les « dictées d’angoisse » d’Orion, sa façon particulière de chahuter la langue, le lecteur accompagne le jeune homme dans son expérience artistique, expérience qui va le libérer, sans le sauver. Le roman est une réflexion sur l’art et l’écriture : « Ainsi va l’art, ainsi va l’écriture, toujours combattant la mort, toujours vaincus et reprenant d’âge en âge le combat » (p. 240-241.) C’est le combat que livrent le peuple du désastre, les « presque finis », les vaincus et les marginaux, parmi lesquels Bauchau se range sans doute lui-même, lui dont l’oeuvre, reconnue par l’université, est encore trop peu connue du grand public et souvent ignorée de la critique parisienne.
Il faut tout relire. Le recueil de poésie complète Heureux les déliants, Labor, 1995, Oedipe sur la route (Actes Sud, 1990), Antigone (Actes Sud, 1997), les journaux, un vrai régal de lecture, (Jour après jour, Actes Sud, 1992, Le Journal d’Antigone, Actes Sud, 1999, Passage de la Bonne-Graine, Actes Sud, 2002), le volume de théâtre complet (Actes Sud-Papiers, 2001), entre autres.
Tout est destin dans nos durées de courte paille.
Tout est question, même si Dieu répond en somme.
Mais dans la vraie durée, dans l’impensable espace
Quelle image fait face et répond à l’énigme ?
Qui pose la question du monde ? Et qui l’écoute ?
(Extrait de Géologies, 1958)
On voudrait répondre l’écrivain, dans son ambitieuse discrétion.