Ivar Ch’Vavar : La Grande Tapisserie
Voici la première des trente-sept strophes de huit vers (huitain) qui composent La Grande Tapisserie d’Ivar Ch’Vavar :
En buste derrière les vitres d’un bus. En buste
Dans l’ovale du miroir, à leur table de toilette
De l’ancien temps (la rage me prend - le voilà
Peut-être le poème) elles sont grandes ou bien,
Menues, ou les deux à la fois ; lourdes légères,
Raides de langueur - affriolées par la mélan
Colie ou bien en buste encor derrière le verre
Austère d’une salle de classe -. La rage reste.
Un processus d’énonciation est en cours. Il ne concerne pas uniquement les humains. Ceux-ci se distinguent peu des choses du monde (l’homme n’est qu’un élément parmi d’autres, ne pas l’oublier quand on lit Ivan Ch’Vavar ; ce qui est la mesure de l’homme n’est pas l’homme, c’est le monde que tente d’énoncer le poème).
Les autres choses (que l’homme) sont : le jour, la nuit, le ciel, le vent, les oiseaux, les vers, les arbres, les mouches, la gelée ; un poêle, une nappe, un presbytère, une école, un café, un boucher, des anges, un boulanger, un bus, un cartable, une pipe ; un buste, des sourcils, une tête, des coudes, des avant-bras, une main (celle de Dieu), un cou, des sourcils.
Rien n’est mis à l’écart.
Tout fait monde.
L’inventaire, non exhaustif, donne à comprendre que ce monde, en voie d’énonciation par tremblements et différenciations, est lourd, épais, opaque (quoique traversé de lueurs aveuglantes), peu facile à rassembler, à constituer. Il colle aux semelles, aux mains, au sommeil, à l’esprit (si tant est que). Il ne se laissera pas déplacer, manipuler en tous sens comme un monde moderne (qui se vante de contenir sa propre négation), pas davantage oraliser ou verbaliser, et pas du tout rêver ou transcender. Il ne connaît d’autre présence que les choses vues, les odeurs, les sensations qui le traversent tout entier, de fond en comble. L’expérience qui en est faite, totale, se tient dans chaque respiration, chaque pas, chaque frémissement, chaque regard.
Espoir, désespoir, on n’en est pas là.
Rage, oui.
On aperçoit Mouchette.
[...] Dans nos chambres assis sur les lits, nos mains posées
Tristement sur nos cuisses, nos têtes baissées ; à peine
Osons-nous regarder nos ongles, garçons. Pas un son :
Pas un mouvement. - Non, que tout simplement l’on
Nous laisse là. Et pas un regard, surtout pas ! Écoutez,
Faites comme si nous n’avions jamais existé, voilà, oui
— Jetez sur nous la grande vieille tapisserie de l’oubli.
Des syllabes tombent d’une ligne à l’autre,
nos contemporaines.
La Grande Tapisserie d’Ivar Ch’Vavar inaugure une nouvelle revue trimestrielle, La Vie Secrète Des Mots. L‘abonnement pour l’année 2006 (quatre numéros et quatre suppléments) est de dix euros. On libelle le chèque à l’ordre de Pascal Lenoir, qui est le directeur de cette publication, et aussi poète, et on le poste vers le 11, ruelle de Champagne, 60680 Grandfresnoy, c’est très simple.
L’image qui accompagne cet article est la couverture du numéro 2 (novembre 2005) de la revue L’enfance, éditée par Ivar Ch’Vavar. Le dessin est de Mathusalem Niéju. L’abonnement pour deux numéros et un supplément est de dix euros (quinze euros si on soutient), le chèque sera libellé au nom de P. Ivart et posté vers le 185, rue Gaulthier de Rumilly, 80000 Amiens.
La revue Plein Chant a consacré un numéro à Ivar Ch’Vavar.
Nathalie Quintane a lu Cadavre grand m’a raconté.