Jean-Pascal Dubost | Continuation des détails (récrit) 1
De Jean-Pascal Dubost on lira monstres morts et le monde en bouche-mentale présentés par Guénaël Boutouillet, ainsi que les articles de Jacques Josse sur deux de ses ouvrages, Nerfs et Fatrassier.
On se délectera aussi du titan, svelte et alerte gazette web dont il a charge pour La Maison de la poésie de Nantes.
Sur la ficelle de l’insignifiance, de l’ennui omniprésent, sont enfilées, comme sur un collier de perles, de petites unités d’expériences intérieures et extérieures. De minuit à minuit il n’y a pas du tout « 1 jour », mais « 1440 minutes » (et parmi celles-ci il y en a tout au plus 50 dignes d’intérêt !)
Depuis le 1er janvier 2000, l’auteur des pages qui suivent tient un mémento, diurnalement, pour y consigner faits et riens, et différentes sortes de choses qui ont occupé l’esprit, en référence directe à son injonction étymologique, « souviens-toi » ; l’impératif génère le rituel, et contribue à construire contre les pertes de la mémoire, à leur donner une forme. Le mémento doit être pris comme réminiscence, volonté active, valeur intensive du geste. Il n’est pas à écarter que le plaisir de gratter chaque ligne de cahiers 192 pages petits carreaux, depuis plus de huit ans, finisse par primer et par conséquence par inventer le quotidien.
La promesse de ne jamais rien faire d’autre de ces pages de cahiers sans aucun intérêt que les ranger et conserver dans la malle à paperoles et manus n’a pas tenu. Une nécessité a imposé de réécrire l’année 2007 (cahier n°8) pour en expérimenter l’inintérêt.
Technique adoptée : saisie sur ordinateur au rythme du coq-à-l’âne, du saut de puce et du ni-queue-ni-tête, élimination des fioritures personnelles, puis relecture papier selon les mêmes principes ; les passages intercalés en italiques, contemporains à la saisie, sont des commentaires ou des réflexions.
Intention : ne pas en avoir.
Objectif : aller au cœur du détail, privilégier la syntaxe comme recherche de l’apex ; une irrégularité bondissante, une syntaxe en vie. Que suppressions et ratures (aucun ajout jamais) élaborent une continuation des détails.
Résultat obtenu : un récrit. Le récrit étant un mémento apocryphe, où le « je » est un vague à phrase.
On garde la valeur intensive re-
Janvier
Projet abandonné au bout de quelques jours et repris par l’idée du texte avorté au bout de quelques semaines donc, commençons, par ne parler de rien et à écrire des lignes qu’on ne voie pas le présent complet et mystérieusement impalpable ; ce fut fort sympathique, mais aujourd’hui on traîne un bon état marche, le rythme de travail est rythme de vie.
La paresse rend le livre inégal et grognon bien qu’une luminosité s’impose comme une évidence épiphanique au détour d’une jeune fille qui réfléchit à ce qu’elle a lu ou rêve à ses propres expériences et comme il arrive souvent que celui qui rêve ait l’impression de ressembler à une pensée glissée sous la couette, tout ce qui vit et tout ce qui existe au monde devrait être heureux, cette prose, c’est ainsi que je devrais l’appeler parfois, mais il faut ritualiser et revenir à la vie quotidienne, sortir de la vaisselle pour souhaiter ses bons vœux, aller chercher le courriel et faire le feu au coin de la tête.
Et m’inquiétant tout à coup pour les bulbes, je le perdis puis le revis de vue deux ou trois minutes après avec quelque chose dans la goule en me demandant s’il avait droit au logement opposable ? Vogue et vague de promesses et de mesures et j’ai le sentiment de piaffer dans de méchantes forces même si parfois tel est le cas dans mon principe d’écrire ; je m’y disperse et j’aime être dehors et ce soir, devant le feu, il fallait qu’il s’amenât celui-là, le doute, faisant le reste où ça fait mal ; j’insiste cependant, et je m’énerve sur les bûches, je vais consulter un long moyen d’échange, fleuve et enthousiaste, puis de retour, calmé, je tache de mettre du poids dans le feu, ça semble tenir, et une autre idée surgit dans l’atelier de confection, pas si mauvaise au moins, mais à rêver d’idéal, on fait une cure de magnésium.
Il faut polir non pas polisser, ce que je suis après faire à tort et en revanche ; il faut dérégler le cours ordinaire des détails, avancer des séries d’impossibilités, être un fatrasique diurnal au possible, continuer de fonder le vivre sur un jeu de conflit verbal et d’amener autant que faire ne se peut pas le ça et le moi sur un terrain d’entente ; lors continuer de fasrtoillier et le bon fransoiz essillier
Ravi par le Dharma dont me frappa l’ambition monstrueuse à lutter contre la pétrification du langage par son ampleur cosmogonique, j’y retrouvai l’enthousiasme, fou, variable, mutant, pensif, labile et réflexif, qui condenserait mes dizaines de carnets dans trente ans, il n’y a de joie que celles sans queue ni tête, je reprends du poil de la bête, allègrement, au travail, en laissant venir le coq et l’âne que je n’ai pas revus depuis longtemps, et peut-être dans lesquels sabrer, outrageusement irrité par le feu mourant, ce soir j’ai foutu un grand coup de pied dans la cuisine : « Je préfèrerais être mauvais écrivain que pas écrivain du tout » (John Updike) ; la dictature littéraire de janvier naturellement fait des émissions ivres de succès, il faudra renverser ces sans talents en page du Monde, mais une fois qu’on est formé, on cherche quelque chose de si admirable qu’on aurait aimé l’avoir trouvé soi-même, cela doit être intéressant en soi.
Dans un dossier qui m’emmenait à Rennes et à Rabelais que je revois dégoulinant de sueur et du Gargantua, il faut le dire, et ce n’est pas un paradoxe, que la bibliothèque doit s’ouvrir sur le monde et le monde entrer dans la bibliothèque, ainsi va le savoir dans un rapport de réciprocité en complément essentiel, faire passer ce qu’on veut faire passer sous le couvert de l’humour et lire l’époque mais, énervé par le fil du téléphone, je l’ai insulté et menacé de le sectionner au ciseau, que se passe-t-il, je suis fatigué, vous avez dit une fois, je lis afin de voler, mais oui, très souvent !
Encore une fois sans essayer de se poser trop de questions comme je te pousse et, en me donnant à mon exercice préféré, raturer ce qui se bouscule dans cet enfant rempli de mots et couvert de taches de rousseur ridicules et coiffé d’une choupette, il faut bien nourrir sa vie intérieure dans la bousculade de choses insuffisamment de mots quoique joyeusement taiseux, timide et complexe qui taraude un memoryless babe insçavant sans affèterie, une précipitation de mots irait pas mal aussi, car le verbe « bousculer » dans le dictionnaire historique se rapproche de précipitation, sens dessus dessous, en tous sens, ah, si le mot vient, vient l’idée.
Bousculade de mots quand il faut effectivement penser à mille choses à la fois et renoncer à neuf cent quatre-vingt-dix-neuf instantanément au risque de sombrer dans la folie quotidienne ; écrire.
Dans un total dérèglement qui détraque le jour avec le soleil et la douceur, je m’étais inquiété pour rien, elle n’était pas contrariée par mes propos, mais que se passe-t-il, aussi donc je n’ai plus qu’une chose à faire, lever le stylo, je sais qu’il n’y a aucune logique, comme une anguille je tronçonnerai ce texte afin que les tronçons bougent dans la poêle pendant la cuisson, c’est un état général.
Entre espoir et bloc, enthousiasme et fatigue, énergie et tension, une énonciation ferme du lyrisme nerveux émergera comme l’expression de l’inquiétude au monde par la langue en référence au nerf utilisé pour la fabrication de la corde de l’idée, la rupture est naïve, ce qui rejoint la nuit, il est vingt heures, une voiture arrive dans la boîte aux lettres, quelqu’un a déposé le Beignon, la population a plus que doublé en dix-sept ans, passant de 700 habitants à une dentiste de plus, ce qui dénote un important stade de développement, puisque d’importantes dégradations ont été perpétrées dans le cimetière par des agissements sous l’entière responsabilité des parents et par ailleurs certains habitants de passage et les chiens, même en laisse, ne doivent pas être utilisés pour y déposer les ordures ménagère, l’hiver est trop doux, les corps craquent, une mauvaise chose pour la nature, verra-t-on des jonquilles en juillet ?
Je vais prendre le train pour le kiosque à journaux où je serai scandalisé et agressé par pas moins de trois hebdomadaires sur un présentoir, c’est l’intérêt de la journée, bien que je n’aie pas le sou ; je ne vais pas détailler mes achats de livres sans rapporter le rayon nouveautés de La Hune : « cela dit, la poésie, c’est pas mon truc » ; donc je fouille dans les bacs, je ne suis pas déçu, Gérard Macé, Jan Baetens, Jean-Loup Trassard, Cingria, puis je continue boulevard Saint-Michel mon orgie de trois sandwiches, Bakhtine, Shabtaï, Meschonnic, Collebert, Venaille, tout Rabelais dans l’édition de Françoise Joukovsky et à 17 heures 22 Reims allait être immobilisé pendant une heure avec la même excuse que le mois précédent.
Depuis que ça me trotte dans la tête, je lis un compte rendu du temps sans intention manifeste d’avoir de l’imagination.
Acta rebus, après l’accomplissement des choses, et agenda, choses qui doivent être accomplies, et memento, souviens-toi, ne sont ni journal ni diurnal un peu mémorial, détails sûrement, à la file-file, la vérité du mémento littéraire non-littéraire comme le Journal n’est pas « dans les remarques intéressantes, littéraires qui s’y trouvent, mais dans les détails insignifiants qui le rattachent à la réalité quotidienne », écrit Maurice Blanchot.
Après une nuit exécrable dans une chambre braillant d’incessants passages (nettoyage, poubelles, livraison), ma lecture de Samuel Pepys sera perturbée par la montée à Épernay d’un quatuor jouant à L’Équipe, impossible du moindre silence intérieur, les babils borborygmiques sont au coefficient d’un crapaud, je suis consterné par l’humanité et le café renversé.
Cette masse d’inertie qui fait obstacle à quoi que ce soit, des grincements rhumatismaux et la paresse, petit Napo consacré par ses lieutenants, nous allons passer sous le rouleau compresseur ; Pepys : un simple compte-rendu de ses journées sans élégance, et tous les docteurs présents affirment qu’une pendaison n’est pas douloureuse, un document historique, ni intime, et très souvent se terminant par « et au lit ».
Trop passable, trop fouillis, trop fourre-tout, grand découragement ; j’ai tergiversé ; je n’allais pas totalement abandonner puisque je pense en fragments, donc en petits blocs successifs, on verra, la réalité et la vie peuvent bien offrir le calque référentiel, mais la cohésion à l’intérieur ça ne va pas, il n’y a pas de rapport quasi physique, or c’est la langue qui fait que quelque chose se passe, je pompe. Après l’instant il y a une puissance de pénétration qui m’impressionne. Je songeais à l’idée en place en fin d’année en relation avec l’ordre du jour, à des détails oubliés, mais j’ai renoncé. N’y a-t-il pas risque de se terrer dans la cellule et dans quelque chose qui ressemble au même toujours, alors que je ne me trouve qu’au rez-de-chaussée ?
Il est possible que nous subissions toute notre vie l’influence du téter maternel dans l’imaginaire du discours théorique ; très intéressant ; ce qui n’est pas facile ; j’ai essayé de l’expliquer calmement.
Un dossier sur la ville de Nantes en tant que victime de son dynamisme et bien entendu encore une fois, tout cela est navrant. Je me rends toujours à reculons dans une école mais dans le train on parle de « tentative d’homicide involontaire », ce qui évidemment est absurde.
Ah enfin une bonne nouvelle dégringole et enlève du poids étant donnée la difficulté que j’ai rencontrée, ça m’a plongé dans peu de choses à dire et pourtant je serais mal inspiré de refuser pour le plaisir de faire glisser la pointe pilot sur le papier et de sentir son épaisseur et de former des minutes et de chercher ce qui pourrait se dire sur les envies d’achats de livres irrépressibles étant donnée la situation financière qui fait baguenauder, feuilleter, rêvasser et prendre le soleil comme une journée de printemps qui suscite une immensité de branches cassées par le vent, d’herbes hautes et de geais de passage ; et pour profiter de sa présence j’enfile les bottes et vais augmenter le tas de compost de foin et de fumier sous le regard de Câline qui renverse la brouette en se grattant, puis je taille les rosiers dans ce texte somptueux qui vous entraîne dans les arcanes de l’identité sexuelle et côtoyer la psychologie de la sainteté, finalement, je ne vois pas les traits du visage qui font prendre une forme bouleversante en quittant l’enveloppe charnelle. C’est merveilleux, les vies d’ascèses me touchent, j’allume le feu, je bois du vin, et nous bavardons.
Mais réfléchir aussi sur le poids du sujet lyrique aujourd’hui le pronom « je » empêchera-t-il le grand massacre ? Quelque chose comme ça. Bon. Je me laisse absorber par la narration que j’entame dans le train pour trois jours tandis que trois policiers escortent la contrôleuse souriante lors de la dramatique agonie de Marie d’Épinay. Les hommes qui n’ont pas grand-chose à se dire se parlent du temps car il fait froid soudainement je me parle contre ce temps de chien dans la langue. Je rencontre un homme fatigué au restaurant, un bon écrivain. Peu à peu je me glisse dans mon rôle.
Quel rôle l’écrivain joue-t-il de sa personne lorsqu’il invente pour les besoins de sa narration un narrauteur ? Un narrauteur est-il un rajout de soi, a sçavoir de moi si-si absent ? Et quelqu’un qui nage bien dans les eaux fictionnelles ? Personne, on le sait, fut un masque théâtral qui fait de soi un prosôpon. Supposons que le narrauteur tienne ce faux-rôle.
Il faudrait que chaque jour ressemble à une histoire, extraire de chaque jour son histoire, je parle de mes petites unités d’expériences intérieures et extérieures qui ne figurent pas dans mes carnets quoique je m’y emploie par centaines, peut-être dans trente ans. En attendant, en voiture, le vide, et à mon bureau, je regarde dehors. On découvre que l’hiver, il fait froid.
Quelques détails que je travaille ne sont plus des détails si je les travaille et mon texte peut manquer de rythme, je crois qu’il faut que je prenne l’air quand la journée se termine, est presque passée, je dois rechercher ce qui vaut d’être rappelé, retenu, consigné, voire déformé ou amplifié, aussi devant l’ordinateur je guette l’arrivée d’un rôti de bœuf avec des patates ; une promenade au milieu des chasseurs, l’émission que j’ai enregistrée et l’agacement d’une apparente simplicité chez Robert Walser, et puis voilà, il y a une phrase de la fuite, de l’enfoncement et de la disparition.
Tortore est né ce matin du déverbal « tortore » dans l’action de manger et du verbe « tortorer » au sens de manger selon la même figure que pour « tortiller », dérivé de « tordu », pour « tortiller sa pensée », c…˜est pourquoi Tortore est un personnage de bouche, gourmand, lentement mâchant et mastiquant, souhaitons-lui la bienvenue. (La suite du texte est illisible.)
Un élément de réalité dans l’abstraction pour date butoir ne m’empêche pas d’augmenter le travail, et je voudrais développer le lien à l’enfance car il y a des coïncidences et des proximités dans la conception de la phrase qui tournent autour d’un point aveugle, comme d’un lieu d’origine d’où tous les autres mots procèdent, il y a une part de silence et de contemplation sans jamais arrêter l’essentielle signification par la seule suggestion, en sorte que, ce qui n’est jamais dit, n’est-ce pas merveilleux ? Une entité occupe tous les hommes, mais que dire, demain prend effet la loi interdisant de fumer dans tous les lieux publics, en attendant, vivre en Irlande est une possibilité, puisque je prends ma respiration chaque jour pour entrer dans le réel, ne la reprenant qu’aux ponctuations : c’est une mini-révolution.