Philippe Dollo | No pasa nada, 3ème fragment
... On trace par les petites routes jusqu’à l’Escorial, puis nous filons direct vers la vallée de Los Caïdos ; mais il est 14h30 et dans 1/2 heure, l’entrée sera gratuite. On décide de s’en jeter un à Guadarrama, mais sans déjeuner, et retournons voir Franco. L’endroit est d’un insolite unique.
Solennelle, dès le passage du poste d’entrée, du fait d’une limite de vitesse drastique, la route serpente dans une belle forêt comme un rite de passage pour accéder à un lieu ou le temps s’est arrêté. Impossible d’aller faire un tour au bois, il n’y a aucune aire d’arrêt prévue. On se gare sous la grande croix. Il n’y a pas grand monde pour aller saluer le Caudillo, quelques cars de retraités. On prend l’ambiance du lieu : froid, monumental mais paisible ; pure folie d’égo démesurée mais sobre, puis on entre dans la cathédrale. C’est haut comme à Notre-Dame. Un long couloir immense et large nous amène à l’église proprement dite. On ne peut que penser aux pauvres gars qui ont creusé le roc.
Des longues statues glaciales et fascistes, dans un style minimaliste des années 20, nous toisent sévèrement prêtes à t’écraser, toi, misérable morpion humain. A l’entrée, la Vierge, qui soutient le Christ fermant prudemment les yeux sur cette inhumanité, a une tête cadavérique. Dessous, une inscription : “Maria pleine de grâce", oui tout à fait… On fait le tour sans traîner et passons devant Franco et Primo de Rivera presque sans y faire attention. La sobriété des deux tombes contraste avec l’apparat glacé des géants de pierre disposés autour.
Il y a deux chapelles de chaque côté du transept. On y voit à peine. Les gens qui déambulent, pas toujours en silence, ont rarement en dessous de soixante ans.
On ressort, passons par la boutique qui vend assez cher toutes sortes de cochonneries pour touristes. J’achète un pin’s de la croix à 2,50€ pour le projet. On reprend la route après avoir traîné un peu près du resto du funiculaire fermé.
De l’autre côté de la montagne creuse, le monastère, complètement raccord avec le lieu : grand, froid et désert. Y a-t-il encore des moines ici ? Quelques rares visiteurs se pressent dans la lumière orange du couchant.
On retourne à Guadarrama, mais c’est mort pour manger un morceau. On se rapatrie sur une boulangerie. La bouffe n’est pas top, mais la terrasse sympathique.
A la sortie de la ville, l’autoroute nous ramène direct vers Madrid. C’est l’heure de pointe dans la capitale et ça coince avant de rejoindre la M30. A droite, sur l’horizon, on ne distingue plus la croix de Los Caïdos plongée dans les ténèbres.
Journal, octobre 2018.
Sous sa croix en granit de 150 mètres de haut, la basilique souterraine de Los Caïdos est la plus grande du monde. Son statut lui fut accordé en 1960 par le Pape Jean 22, un an après complétion et ses 19 ans de travaux par les prisonniers républicains.
Malgré son architecture monumentale résolument fasciste, "Los Caïdos" est censée rendre hommage à tous les combattants de la guerre civile. 40.000 républicains et franquistes sont inhumés dans la crypte, sous l’immense esplanade à l’entrée de la basilique.
Sous le dôme de mosaïques d’or à 22 mètres du sol, reposaient Primo de Rivera et le caudillo Franco. Le 24 octobre 2019 a eu lieu le transfert de la dépouille du généralissimo de la vallée de Los Caïdos au caveau familial de Mingorrubio-El Pardo.
Chaque année, au moment du 20-N, jour anniversaire de la mort de Franco le 20 novembre 1975, les "nostálgicos" du dictateur avaient pris l’habitude de célébrer une messe en envahissant la basilique de drapeaux espagnols à l’aigle noir, de bannières de la Phalange et d’autres groupes d’extrême-droite, en criant "Viva Franco" et chantant "Cara El Sol" à la fin du service.
Depuis le transfert de la dépouille de Franco à Mingorrubio-El Pardo, Primo de Rivera s’est retrouvé seul sous le dôme de la basilique…
Carnets Madrilènes, décembre 2019.