Katarina Frostenson | « A »

« A », poème liminaire de Flodtid (Fleuve temps), éditions Wahlström &Widstrand, Stockholm, 2012.

Traduit du suédois par Marie-Hélène Archambeaud.

 

A

 

Départ en forêt de pins
 

rude écorce pensée crépite
 

prends-toi par la main : ne change plus
 

gris panache d’écureuil griffe le sens va
légère de mots, comme va l’enfant
 

dans l’herbe les pieds tout bleus dévalant
 

gravière
entre les mâchoires des grains broie la mélancolie dis
ton moment
 

suce le mot
 

debout dans un rai l’astre jaune en lisière du noir
 

secoue l’ombre un instant
 

langue chair
emplie de lumière
 

la tête un soleil éclate
 

le plein repu
pas repu jamais plus
 

entrer les Vastes Plaines
 

debout dans l’ouvert battue par le vent lambeaux
détester ce que tu as fait ce que tu étais au début
 

le mot créature
 

encore éblouie
glissant dedans
la clairière frisson de juin
 

miroite à la cime
 

à la branche suspendue
 

langue s’en va dépouiller la matière
 

lèche l’argent
l’animal du ciel
 

des vallées
dans la saisie profonde
l’air chaud
 

quand même une direction
 

invisible
 

blanc de toi
flotte au vent
 

ruban d’arrivée ceint l’écorce
 

avons eu notre content
non jamais non toujours
 

entrer
l’éclat
 

tourbillon danse et monte

 

 

Katarina FROSTENSON est née en1953 à Stockholm. Poétesse, dramaturge et traductrice (de Marguerite Duras, Jean Genet, Georges Bataille ou Bernard-Marie Koltès), elle est membre de l’Académie suédoise depuis 1992 et Chevalier de la Légion d’honneur. Son dernier recueil, Sånger och formler (Chansons et Formules) a paru en octobre 2015, chez Wahlström & Widstrand.
Des extraits de Corail (W&W, 1999), Carcasse (W&W, 2004) et Pluie et Parole (W&W, 2008) figurent dans Trois poètes suédois, éditions du Murmure, 2011 (traduction et présentation de François-Noël Simmoneau). On peut également lire des poèmes tirés d’Endura (traduits par Anders Bodegård et Bernard Noël) dans Katarina Frostenson, textes et commentaires sur son œuvre, éditions du Cygne, 2013.
« A » ouvre le recueil Flodtid (Fleuve temps) publié en 2010 chez Wahlström & Widstrand, nominé pour le Grand prix de littérature du Conseil Nordique.
Rejetant syntaxe et métaphore, le travail poétique de Katarina Frostenson met à nu le langage pour lui rendre sa force première ; il dit la voix dans toute sa corporalité et joue très subtilement des sonorités de la langue suédoise.

Marie-Hélène Archambeaud est traductrice du suédois et poète. Elle a publié des poèmes en prose dans les revues Po&sie, Place de la Sorbonne, Aka, et sur revue-secousse.fr., un premier recueil, Comme une ancienne peau tombera, aux éditions Rafael de Surtis, en 2011. Elle a traduit des poètes suédois pour Thauma, Inuits dans la jungle ou Europe, pour recoursaupoeme.fr. et remue.net.

8 janvier 2016
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