Benoît Artige | Figures libres, Jean Renoir
Dans la fournaise de son déguisement d’ours, il profitait d’un anonymat provisoire pour observer à loisir par quel précipité mystérieux, en un temps court et en un lieu clos, toutes les nuances de l’âme humaine réussissent à se distinguer les unes des autres, avec quelle facilité, et inconstance surtout, les êtres peuvent s’apparier et se disjoindre. Il y avait réunis là, pour cette très mondaine partie de campagne, toutes sortes de gens mus par un mécanisme étrange dont le balancier affolé les faisait osciller sans relâche entre amusement et ennui. Costumes faits à la hâte de draps et de chiffons, chansons et danses idiotes, un rideau rouge sang relevé et abaissé compulsivement : on avait misé sur le frivole, l’effervescent, jusqu’au moment où quelqu’un avait laissé le piano mécanique jouer sa Danse Macabre – et ce n’est pas l’alcool qui avait alors déclenché les rires et les larmes, mais les nerfs tendus à l’extrême. Si on continuait ainsi, cela allait mal finir, il y aurait peut-être un mort – pour autant personne ne se résignait à conclure cette fête improvisée, chacun s’en remettant aux simulacres dérisoires qu’autorise la nuit, par crainte sans doute d’avoir à affronter bientôt la cruauté du jour.