L’empire des signes


Impression soleil levant

D’autres yeux ont regardé àla place des miens. Une affinité imprévisible apparaît. Je vois vraiment quelque chose dans le motif écru du dessus de lit, dans le store roulant en tiges de bambou, dans la forme ronde rouge et brillante posée sur le meuble laqué, dans le noir du tapis mural derrière l’oreiller, dans le délicat renflement de la chair du ventre, dans la ligne droite du dessus de la cuisse, dans la tache de lumière sur le sein et dans le regard vide qui me toise. Un autre sens surgit, un énoncé devient possible. Le dedans ne commande plus le dehors. Il est si difficile de voir un corps nu. Photographiée dans son enveloppe confidentielle la japonaise “Maya Desnuda†ressort d’un lointain japonisme. Monet a peint sa vie durant les effets en dialogues de teintes blafardes illuminées de clartés aigues regardées lentement.


Impressions fugitives

Après une brève exploration de la silhouette, la lingerie rouge résonne de la réalité d’un corps féminin. Une femme habite un intérieur respectable. Mieux la connaître, c’est dénier tout intérêt àson enveloppe mondaine. La photographie montre ce qu’il en coà»terait àcette personne d’être privée de son ombre. “La femme sans ombre†est autrichienne, pas japonaise. Ista ego sum. Les plis du soutien-gorge trop grand portent àl’infini la question :
" Qu’est-ce que ça veut dire, le tissu de l’âme ? " et font apparaître la forme des seins. Une ligne d’ombre toute d’inflexions fugitives partage l’intimité àla fois visible et impassible en deux espaces : dedans/dehors. Un homme en noir s’affaire autour de la poupée, mais sans aucune affectation d’habileté ou de discrétion.


Impression recto verso

Silencieuse, élégante, affable, charmante, colorée en nuances de ce mélange de forces et de subtilités grises qui marque la gestuaire japonaise et qui en est l’enveloppe esthétique, la femme assise si droite sur le lit ne semble pas dévêtue. Sa nudité procède d’un mimétisme animal et àpeine couvert des raies d’une écharpe soyeuse le corps est confondu dans les rayures de la tenture du fond. La photographie en noir et blanc est un complément irréfutable àla gamme des papiers de couleurs. C’est par la papeterie, lieu et catalogue des choses nécessaires àl’écriture, que l’on s’introduit dans l’espace des signes. Du côté qui est l’endroit du rideau une langue inconnue dont le regard de l’artiste a saisi la respiration. Folio verso, l’imprévisible d’une autre temporalité s’inscrit dans un unique trait de pinceau.


Serveuses d’impressions

Le lieu du signe n’est pas àchercher du côté des enveloppes conventionnelles. Ici le corps existe, se déploie, agit, se donne, sans hystérie, sans narcissisme, mais selon un pur projet érotique — quoique subtilement discret. La grâce des corps de deux jeunes femmes assises face àface àmême le tatami raconte une histoire sans paroles qui montre combien est simple, franche, généreuse une nudité qui se fait dans la plénitude d’une autre nudité. En plein centre de la composition et àégalité d’espaces symétriques, les peaux prégnantes de lumière sont inversables. Les yeux de l’une impressionnent les yeux de l’autre, la bouche de l’une impressionne la bouche de l’autre, les bras de l’une impressionnent les bras de l’autre, les jambes de l’une impressionnent les jambes de l’autre, être impressionnées c’est différent.


Toutes photographies copyright Jean Rault

5 août 2006
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