L’ombre lente du temps

De chemins de nuit en lisières, Lionel Bourg continue d’interroger les liens étroits qui se nouent (et se dénouent) entre mémoire et réalité.


Quelques récits, quelques brûlures d’être - toutes données aux mots pour tenter d’en adoucir la douleur - suffisent à Lionel Bourg pour nous embarquer sur ses chemins de traverse. Ceux-ci s’avèrent sinueux. Tracés dans les méandres d’un temps plus ou moins lointain, il faut les emprunter sans risquer de tomber dans les ornières, les ravins, en partant de préférence à la tombée du jour plutôt qu’à la nuit noire et en laissant Saint Etienne, son fief, sa ville de traîne, éparpiller derrière elle un lent fouillis de pas perdus, d’enseignes, de lampadaires...

« Dehors, la ville est morte. De jeunes désoeuvrés s’agglutinent sur la place puis se séparent, les uns tripotant leur téléphone portatif, les autres, qui se dandinent, s’éloignant à l’intérieur du gel ou du défaut du monde qu’il leur faut accepter. »

On le suit dans l’humidité blafarde des rues. Certains soirs, c’est au plus secret des venelles, près des chats, sous les gouttières, entre ronces et fossés qu’il préfère s’isoler, assemblant au fil de la marche (et dans le texte)

« Des lieux, des journées en souffrance. Enfouis sous les gravats de l’habitude ou dont les échardes soudain déchirent la mémoire. »

Le rythme lancinant - ce blues étiré, cette mélopée enroulée - que Lionel Bourg insuffle à son texte indique au lecteur la respiration qu’il doit, lui aussi, trouver pour lui emboîter le pas. Et marcher, crapahuter, trébucher même en repérant les présences qui traversent son livre. Il y a là, en particulier, fugitive mais récurrente, la silhouette voûtée (et envoûtée) de Gérard de Nerval en bout de course. « Nerval... Sa vie. Sa folie. Ses poèmes et ses déambulations. » On le surprend d’abord dans la clinique du médecin aliéniste Esprit Blanche, chez qui l’on croise également le philosophe Jules Lequier... Un peu plus tard, il vaquera rue de la Vieille Lanterne. Avant de ne plus quitter le Père Lachaise.

D’autres encore s’immiscent, ce sont autant d’étoiles filantes, dans L’ombre lente du temps (éd. Fata Morgana). Tous aident l’écrivain rivé, dans son travail, sur les liens divers et ténus qui s’emmêlent entre strates de mémoire et réalités quotidiennes, le tout inscrit dans une même quête autobiographique. On retrouve certains de ces passants (venus également de l’imaginaire ou des lectures de l’auteur) dans les dessins de Daniel Nadaud qui accompagnent l’ensemble.

Bien que non datées, les neuf séquences qui constituent l’ouvrage se situent parfaitement dans la lignée des deux tomes du Journal (Dans le vent du chemin et L’ombre nue) publiés il y a quelques années chez Cadex Editions. Où il est bon de se rendre à nouveau pour découvrir quelques uns des multiples éléments de la mosaïque Bourg.

8 mars 2006
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