Les caractères


Le jouisseur

Le comte de Guiche, sodomiste distingué comme son père, brà»lait la chandelle par les deux bouts. Il était très beau et La Bruyère complimentait sa beauté efféminée chaque fois que l’écrivain des Caractères vantait le style de son ami Roger de Rabutin comte de Bussy dont le talent d’écrire n’avait pas échappé non plus aux Jésuites qui en eussent fait, dit-on, le réfutateur de Pascal et des Provinciales, s’il y avait consenti.


Le consterné

Il y a des gens àqui la faveur arrive comme un accident : ils en sont les premiers surpris et consternés. C’est ainsi que le plus exquis des comtes (notre conte en vérité) rompit le silence du château de Bidache où Louis XIV l’ayant banni de la cour pour avoir compromis madame Henriette d’Angleterre par le témoignage d’une passion payée, dit-on, de retour, le plaça dans une sorte d’exil .


Le pull-over gris

De Guiche coulait paisiblement àBidache ses jours de disgrâce. Avec cinq ou six termes de l’art, et rien de plus, il se donnait pour connaisseur en tableaux et ouvrages de dames. Madame Rirounette (le petit nom d’amour que le comte, dit-on, donnait àsa maîtresse Henriette dans l’intimité du boudoir) portait, même sous les chaleurs sèches, un pull-over gris en mailles serrées. Se laissant aguiché sans cesse pour le simple plaisir d’y penser, de Guiche y pensait sans cesse en lui sacrifiant tout le reste sauf l’exigence de sa toilette et la recherche infinie des soins de son corps.


Le révolté

Avec cette disposition às’identifier tellement àce qu’elle regarde, avec cette sorte d’empathie qui lui fait voir les choses du monde en se diluant en elles, Lili B. serait facilement devenue pull gris si le paletot ne s’était mis àhurler au viol quand au lieu de mettre le nez dans les fleurs de son jardin, elle avait, en ouvrant la porte de l’armoire aux vêtements, pris en pleines narines l’odeur des pastilles de naphtaline. Un cri (bouche toute ouverte et ovale comme nous le connaissons depuis Munch) si puissant, dit-on, que ce n’est pas assez de le voir, il faut le croire. Photographier c’est apprendre àcrier en silence. On voulait réduire un pull-over àsa dimension utilitaire et l’artiste nous en a mis plein les oreilles : si tu veux voir écoute, disait Saint Augustin.


Toutes photographies copyright Lise Barès

30 juin 2006
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