Lionel Destremau | « Un de plus il y a »

Sélection d’extraits d’un livre en cours provisoirement intitulé « Un de plus il y a »

(La section de 25 poèmes intitulée Trajectoire courbe
a paru dans le n°3 de la revue Moriturus)


Voir dans la rubrique "Théorie critique", la bio-bibliographie de Lionel Destremau, ainsi que sa contribution (version longue) à la revue Formes poétiques contemporaines sur sa propre fabrique d’écriture.

Extraits de la 1re section

TRAJECTOIRE COURBE

« La situation d’un homme devant un mur infini
      Sans aucune affiche
La ligne des pieds et des yeux confondue
      Il n’y a pas de limite
Mais c’est là exactement que tout va se passer
 »

P. Reverdy, Les Jockeys camouflés, 1918

1.

et puis c’est cru ça craque
sous la dent ça
pourrait être le grain
le sable de la langue
nocturne concassée
ne laissant au réveil que pâte
le filament blanc
aux contours des lèvres
écume d’une pensée bâtie seule
qu’on voudrait accompagner encore
prendre pénétrer s’approprier
qu’on efface lâche
d’un coup de salive

4.

on reprend le fond de l’éclat et de l’œil
l’il y a de crocs de boucher sur l’étal
la viande rouge et le sang aperçus
depuis la rue jusqu’au
chez soi dans un vague
carré de ciel encore où
se souvenir de ça alors
on s’apprête à sortir

5.

c’est cet il y a on le dit c’est assez
pour rendre quelle semence ordinaire
sinon ce qui va filer cyprès
peupliers bouleaux qu’en sait-on
mais sur le côté de l’œil
le vert et le gris de troncs
de rangées codes à barres qui
ne reconnaissent rien
on ne détecte pas plus
on est sorti de là on se sort

Extraits de la 2ème section

POINTE DU TENDU

   « Il y a un va-et-vient du centre
L’impulsion se donne par les roues   par les pieds
       Elle vient d’en bas
 »

P. Reverdy, Les Jockeys camouflés, 1918

5.

mains vides
on est devant les choses
ce compost de choses où
le mot qui suffit siffle s’éteint donc
l’arrière siège de conscience le plan
c’était d’ériger l’ombre lui donner
un poids de chair à malaxer des
appas un substrat de désir
l’amener là où l’attendait
l’il y a d’un corps à prendre

10.

tendu mou qui se tend
fait place aux aboyeurs leurs usures
de cris murmures s’il le faut revenantes
et qu’on noie à nouveau sous un flot
rythmes battants fausses mesures aux
écouteurs place à l’écoute basse et sa ligne
d’il y a de trottoirs encore où jeter
mais différents les corps

leurs lèvres entaillées retroussées sur les dents
n’ôtent rien des gerçures alors
on se détourne des bouches

on s’éloigne je tends
le pas
les mains

12.

là ça balance sax sec
le bec le clic sur les dents
qui me revient grincements
ça s’échappe des canaux et du creux
de l’oreille mais

le tendu mou est sans jet on est
sa course d’animal se vidant
expirante silhouette de pattes
sur ombres portées

13.

et puis tendu du tissu de la joue et la lèvre
moues qui pendent là on n’est plus
que stigmates qui attendent
un retour du souffle

plié je ramasse des billes d’enfant
des yeux fermés pris dans les poches

on revient j’arrive

Extraits de la 4ème section

IL Y A UN DEUX ET PUIS TROIS

« Quelqu’un s’arrête entre tout ce qui marche
On laisse aller le monde
      Et ce qu’il y a dedans
Les lumières qui dansent
      Et l’ombre qui s’étend
Il y a plus d’espace »

P. Reverdy, Les ardoises du toit, 1918

3.

ici je recommence elle inscrit
deux on efface les blancs
tête double à bâtir des murs
des ouvertures ou lumières c’est
la maison de peau une tour
sa courbe et ses ellipses de
circonférence trajectoire indécise
mais double

cette fois doublée

4.

alors on arrange les gonds fait
coulisser portes deux battants ouverts je sais
ça paraît

ça paraît être quoi sinon l’il y a
des objets qui change et se charge
couleurs et odeurs de peaux
qu’on énumère qu’on détaille surpris
feint de découvrir même mais
qu’importe l’agencement on s’y coule

l’ombre déployée drapée respirant
un air qu’on répète en silence
un murmure parallèle

6.

et puis vivre

les gestes s’agencent et les places
intérieures et douces on façonne son temps
craint tumultueuses les prises
reprises d’air tâtonnements dans l’obscur
cou de mots coupés mais
relancés en avant relâchés
qu’on modèle à nouveau trajectoire
dénouée de sa fin qui se trace
l’il y a comme inépuisable il y a
comme échauffé de vivre encore
deux et puis vivre

8.

alors son corps allongé maintenant
qui s’étend boule
de corps rond sous la peau
on glisse tend la main boule
de l’autre côté tête
jambe pied pas de pas juste
une glisse entraînant sous la paume
sa peau ma peau
l’autre encore on
superpose les temps

Lionel Destremau
13 mai 2005
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