Literomania
Portraits d’écrivains roumains contemporains, par Fanny Chartres qui avait déjà proposé ici ou là quelques traductions d’auteurs encore inédits en français.
Évidemment, impossible d’évoquer tous les auteurs qui composent le visage de cette littérature roumaine contemporaine. La liste est longue. Retenons la diversité et la richesse des productions littéraires roumaines contemporaines… et quelques uns de leurs meilleurs auteurs.
1. GABRIELA ADAMESTEANU
Gabriela Adamesteanu est née en 1942 à Tirgu-Ocna (région Moldave). Entre 1960 et 1989, elle étudie à la Faculté de Langue et Littérature de Bucarest. Durant les années précédant la révolution de 1989, elle est rédactrice aux éditions Encyclopédie puis à Cartea Romaneasca.
Après 1989, elle devient membre du « Groupe pour le Dialogue Social » et rédactrice en chef de la revue culturelle, politique et sociale Revue 22 jusqu’en 2005. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef du supplément Bucarest culturel. Parmi ses écrits les plus importants, nous pouvons citer les recueils de nouvelles : Drumul egal al fiecarei zile / Vienne la nuit (1975), Daruieste-ti o zi de vacanta / Offre-toi un jour de vacances (1979), Vara-primavara / Eté-printemps (1989), Intalnirea / La Rencontre (2003). Son roman le plus connu est Dimineata pierduta / Une matinée perdue , apparue en 1983, traduit dans de nombreuses langues, dont le français aux éditions Gallimard (par Alain Paruit), qui publieront en mars 2009, Vienne la nuit traduit par Marily Le Nir. La Rencontre est réapparu dans une nouvelle édition revue et complétée par l’auteur en 2008 et est considéré comme le meilleur roman de son auteur.
Gabriela Adamesteanu est un des écrivains roumains les plus renommés de son pays, pour la qualité littéraire de son écriture mais aussi pour ce qu’elle représente auprès de la société roumaine : le modèle de l’écrivain impliqué dans la société.
En tant que membre actif du « Groupe pour le Dialogue Social », Gabriela Adamesteanu s’est impliquée dans de très nombreuses initiatives civiques, destinées à soutenir la démocratisation de la vie publique et politique dans la Roumanie post-communiste. La Revue 22 qu’elle a fondée et dirigée jusqu’en 2005, a créé un modèle de journalisme culturel s’impliquant politiquement et civiquement, et l’attitude de Gabriela Adamesteanu a toujours été des plus intéressantes, désavouant de nombreuses fois les faiblesses de l’élite intellectuelle, même si cela ne correspondait pas au goût de cette dernière.
Sur le plan littéraire, Dimineata pierduta / Une matinée perdue fait définitivement partie du canon littéraire d’après-guerre, étant l’un des livres les plus lus et appréciés des critiques et du grand public. La valeur littéraire de l’auteur, aujourd’hui unanimement reconnue, est fidèlement résumée par la critique et journaliste Carmen Musat : « Aujourd’hui, des années après l’éclatement tumultueux du régime communiste, l’impact des livres de Gabriela Adamesteanu est aussi fort qu’à l’époque et tout aussi éclairant, loin des manies thématiques et stylistiques de l’époque (marques textuelles d’une codification toujours plus accentuée du langage narratif, imposée par la lutte permanente contre la censure). Ni les personnages de ses nouvelles, ni ceux de ses romans, certains publiés avant 1989, n’ont l’inconsistance verbeuse de certains héros en carton-pâte de la littérature de cette époque, ils parlent et évoluent naturellement dans un monde gris, dans cette misère, étouffante et sans horizon, d’où la société roumaine est violemment sortie en décembre 1989. »
Gabriela Adamesteanu est également traductrice (Maupassant, Hector Biancotti…).
Elle travaille actuellement à un autre roman : Provizorat/ Provisoire.
Gabriela Adamesteanu sera au Salon du livre de Paris 2009 à l’occasion de la publication de Vienne l’heure aux éditions Gallimard.
2. MIRCEA CARTARESCU
Mircea Cartarescu est né en 1965 à Bucarest. Il a suivi des études de langue et littérature roumaine à l’Université de Bucarest. De 1980 à 1989, il est professeur de roumain, puis travaille à L’Union des Ecrivains Roumains, avant de devenir rédacteur de la revue postmoderniste Cahiers critiques. Il est actuellement professeur d’Université, également journaliste, essayiste et écrivain.
Mircea Cartarescu débute sa carrière littéraire en 1978, dans la revue littéraire Romania literara. Depuis, il a une activité éditoriale soutenue et nombreux de ses titres (romans et poésies) ont été récompensés par des prix nationaux et internationaux. Il est un des rares auteurs roumains traduits en France : Le Rêve (Climats, 1998 – Traduit par Hélène Lenz), Orbitor – L’aile gauche (Denoël, 1999 – traduit par Alain Paruit), L’œil en feu (Denoël, 2005 – traduit par Alain Paruit), Pourquoi nous aimons les femmes (Denoël, 2008 – Traduit par Laure Hinckel).
Bien qu’il ait débuté par la poésie, Mircea Cartarescu semble aujourd’hui s’être définitivement tourné vers la prose. Une prose dense et profonde, réaliste et onirique, descriptive et hallucinante, imbibée d’une subjectivité exaltante, peuplée de personnages et d’objets fascinants, d’une promiscuité psychanalytique souterraine, illuminée d’arcs-en-ciel baroques. Orbitor est l’incarnation même de tout cela : un roman autobiographique et visionnaire, qui compose, avec les deux autres volumes : Le Corps et Orbitor – L’Aile droite (encore non publiés en France), une passionnante trilogie. Roman de la recherche du temps perdu, meta-roman sur la lecture et l’écriture du passé, Orbitor est aussi un roman sur l’archéologie et l’anatomie de l’être, sans aucune comparaison possible avec les caractéristiques de la littérature classique roumaine, excepté, peut être la sensualité métaphysique de Max Blecher (romancier du début du XXème siècle).
Au sujet d’ Orbitor Mircea Cartarescu précise pourtant que « ce n’est pas, à proprement parlé, un roman, ou alors seulement dans son sens le plus large. » et d’ajouter : « Je préfère l’appeler livre. En réalité, il pourrait être « le livre de ma vie », non dans le sens du « meilleur livre », ou « de celui qui restera » » mais parce que son écriture unifie d’une certaine manière tous les autres. Après Orbitor, je crois que l’unité de mes écrits se verra mieux. »
3. GHEORGHE CRACIUN
En janvier 2007, la disparition de Gheorghe Craciun, à 56 ans, laissait à la Roumanie un immense vide et une tristesse amère, celle d’avoir perdu un grand écrivain, SON grand écrivain qu’elle n’avait pas su célébrer du temps de son existence.
Diplômé d’un doctorat en philologie (« Dimensions transitives dans la poésie moderne »), Gheorghe Craciun fait ses débuts éditoriaux en 1982, avec Acte originale / Copii legalizate (Documents originaux/ copiées légalisées ). En 2001, les éditions Maurice Nadeau publient Composition aux parallèles inégales traduit par Odile Serre et récompensé par le Prix Jean Francois Caille de la Société des Traducteurs Français.
Par ses romans, mais aussi ses critiques et essais littéraires, Gheorghe Craciun se révèle un observateur très attentif et profond de la nature humaine. Dans tous ses textes, mais peut être davantage dans Pupa Russa (son dernier livre), Gheorghe Craciun construit un univers dans lequel il existe plusieurs paliers d’interprétation. Pupa Russa est rempli de descriptions formant, dirons-nous, la sève narrative de ce livre. Le personnage composé par Gheorghe Craciun s’appelle Leontina. Un personnage à qui il est bien difficile de trouver un correspondant littéraire. Un personnage auquel nous ne pouvons pas nous identifier, envers lequel nous n’éprouvons aucune sympathie et face auquel nous n’avons cependant aucune réaction d’antipathie. Leontina est son nom, et ce nom détermine en quelque sorte tout son destin. Il suggère une nature double, masculine-féminine, Leon et Tina, fille et garçon, une ambivalence qui marque son empreinte sur toute l’évolution du personnage…
A l’occasion de la première édition de Pupa russa Gheorghe Craciun reprenait le célèbre aveu de Gustave Flaubert, "Madame Bovary c’est moi”, ("Leontina c’est moi”), des propos que la lecture du texte permet de préciser et nuancer. Emma Bovary ou Leontina Guran ne "sont” pas leurs auteurs dans le sens d’une identification empathique sur laquelle ces derniers auraient travaillé ou des masques féminins derrière lesquels les auteurs-hommes cacheraient leurs aspects les plus intimes. Ces personnages féminins "sont” leurs auteurs dans la mesure où ils représentent la projection symbolique de ce qu’ils ne réussissent pas à comprendre d’eux-mêmes. Ils sont leurs auteurs car ils expriment quelque chose de profondément ancré dans leur conscience : leur anxiété existentielle, l’incertitude quant à leur propre identité, la lucidité aiguë des limites de la compréhension et de l’empathie de la raison humaine, mais aussi l’irrépressible envie de dépasser ces limites. Autrement dit, il se pourrait que "moi-même” ne soit rien d’autre que mon propre doute et ma propre interrogation, ma propre relation d’attraction-répulsion avec moi-même.
4. MIRCEA NEDELCIU
Né en 1950 à Fundulea (région de la Monténie), dans une famille d’agriculteurs, Mircea Nedelciu fait ses études de philologie (roumain-français) à Bucarest. Il achève sa formation dans le milieu culturel assez libre du Bucarest de la fin des années 60, lisant la presse étrangère, la littérature et la théorie occidentale contemporaine, provoquant des débats libres avec ses camarades de génération (dont certains issus du cénacle Junimea – la Jeunesse - conduit par Ovid S. Crohmalniceanu). Mircea Nedelciu fait ses débuts éditoriaux en 1979 avec le volume de prose courte Aventuri într-o curte interioară (Aventures dans une cour intérieure – Ed. Cartea Românească). Au cours des dix années suivantes, il publiera : Efectul de ecou controlat (L’Effet d’écho contrôlé , nouvelles), Amendament la instinctul proprietăţii (Amendement à l’instinct de propriété , nouvelles), Zmeura de cîmpie (La Framboise des champs ), Tratament fabulatoriu (Traitement fabulateur), Şi ieri va fi o zi (Et le jour d’hier sera un jour ).
Avec les événements révolutionnaires qui marquèrent la Roumanie en 1989-1990, il pénètre un autre monde plus adapté à son esprit libre mais c’est alors qu’il doit affronter la maladie (syndrome d’Hodgkin) qui marquera de son empreinte nombre de ses écrits. Dans la dernière année de sa vie, il continue à croire que « le désespoir est, cependant, un pêché » et confesse quelques jours avant sa mort : « Je sais. Le temps semble être devenu maintenant très court, et mettre précisément par écrit tout ce qui nous passe par la tête ne sert plus à rien. Il faut faire des sélections, des tentatives, il faut savoir faire l’inverse du couturier : mesurer une seule fois et couper dix fois, jeter, suggérer plutôt que développer en détail. Mais ce sont des choses qui s’apprennent : en fait, elles ne s’apprennent même pas, elles viennent d’elles-mêmes, sous la pression du temps qui, comme je disais, donne l’impression d’être devenu très court. Ce qui se présente tout au bout a une forme (hideuse), nous épiant sans cesse. On sait depuis bien longtemps que cette figure est là, mais on s’efforce de l’ignorer, la considérer lointaine, essayer de jouer la comédie, souvent dans son dos, lui faire parfois un pied de nez, sachant que même elle, ne nous prend pas au sérieux. Maintenant non, cela n’est plus possible, la confrontation est inévitable, il faut lutter, et ne pas s’esquiver. Lui rappeler qu’elle est laide, alors que la vie est très belle, se baser sur la distance qui nous sépare toujours plus, une distance très élastique, extensible selon des dizaines de méthodes, dont l’écriture, c’est-à-dire les idées couchées sur du papier. Le match est entré dans sa phase nerveuse, vive, une phase dans laquelle les erreurs se paient deux, trois, quatre fois plus, une raison supplémentaire pour ne pas en faire une de plus. De ce point de vue, la position horizontale de l’homme est peut être un atout : on ne peut pas descendre, mais seulement avancer et se retirer (stratégiquement, naturellement). On va voir ce que tout cela donnera, mais je peux vous dire maintenant que j’ai découvert certaines choses (avec certains adversaires, sans les choses, lutter n’a aucun sens). Par exemple, la description détaillée d’une jambe en bonne santé, les doigts de pied remuant librement de bas en haut, le mouvement d’une fine cheville, le jeu de jambes et de mollets entrant dans la danse et plaçant mon adversaire (hideux) dans une véritable crise d’incertitude. Elle sait déjà que mes pieds lui appartiennent, mais moi je parle des autres : il en existe tant et il y en aura tant d’autres ! » (Omul orizontal / L’Homme horizontal, dans Formula As, juillet 1999).
Au moment où ce texte est publié, seuls les mots sur le papier peuvent désormais parler de la beauté de la vie… nous permettant aujourd’hui d’entrevoir la beauté de l’œuvre de Mircea Nedelciu.
5. RADU COSASU
Né en 1944 dans une famille bourgeoise juive, Radu Cosasu fut un admirateur convaincu du socialisme réaliste, qu’il reconsidéra fermement après les événements de 1956 en Hongrie et surtout, après le Printemps de Prague (1968). Auteur de la célèbre formule impérative, "la vérité intégrale", il est licencié du journal où il travaillait et restera sans emploi durant plus de dix ans. Il vit de collaborations à diverses revues et publie de nombreux recueils de nouvelles et romans (voir son cycle Supravieţuiri / Survies). En 1971, il reçoit le Prix National de l’Union des écrivains pour Un august pe un bloc de gheaţă / Un mois d’août sur un bloc de glace.
Après 1989, il co-fonde avec Andrei Plesu, la revue intellectuelle et culturelle Dilema (aujourd’hui, Dilema veche) pour laquelle il écrit encore régulièrement. Entre 1973 et 1989, il publie un cycle de nouvelles (sept volumes) intitulé Survies, inspiré de son expérience politique et littéraire et placé sous le signe de l’auto-critique et de l’auto-ironie. Après 1989, ces Survies, ont été rassemblées telles quelles, c’est à dire sans la moindre modification opportuniste ; selon l’ordre chronologique de leur écriture, offrant une nouvelle lecture, à la manière classique de l’éducation sentimentale et celle postmoderniste de l’autofiction (lire notamment la nouvelle Pe vremea cind nu ma gindeam la moarte / Du Temps où je ne pensais pas à la mort, traduite en français).
Les nouvelles de Radu Cosasu sont loin d’avoir l’éclat éphémère et précaire de certaines productions autofictionnelles : il n’écrit pas pour le spectacle, il travaille le texte et respecte une cohérence que les autofictions contemporaines n’ont pas. De plus, il y a une différence d’attitude, ou d’intention : le discours autofictionnel est volontairement misérabiliste, construit sur le besoin évident du lecteur d’un retour en arrière et focalisé sur le dialogue dérisoire (et tronqué) entre le lecteur voyeuriste et le personnage narrateur ; alors que chez Cosasu, la plupart du temps, un simple fil discret relie ces deux instances, renforcé par beaucoup d’humour et de naturel. Oscar Rohrlich, devenu Radu Cosasu par un emprisonnement merveilleux et symbolique dans la forteresse littéraire, raconte son histoire/ses histoires avec un charme qui le sépare des auteurs d’autofiction (intéressés par la manière de raconter et non par l’événement). Ce sont des pages entières sans la moindre imperfection (parmi les presque mille que contiennent ces
survies) selon un modèle d’écriture que beaucoup d’auteurs débutants pourraient suivre si nous admettions que l’écriture est quelque chose qui s’apprend.
Sous une apparence mineure, Radu Cosasu est un des grands écrivains roumains.
Radu Cosasu n’est pas publié en France.
LA JEUNE GENERATION
6. ANA MARIA SANDU
Ana Maria Sandu, née en 1974, a suivi des études de lettres contemporaines à l’Université de Bucarest. En 2003, elle publie Din Amintirile unui Chelbasan / Des Souvenirs d’un Chelbasan, un poème épique remarqué par les jurys des plus importants prix littéraires. La teinte biographique de ce texte apporte couleur et chaleur à ce long poème. La démarche artistique de l’auteur est accompagnée d’une poétique de l’authenticité, offrant une littérature « vécue » et « non fabriquée ».
En 2006, Ana Maria Sandu publie son premier roman, Fata din casa vagon /La Fille de la maison sans fin– une histoire cruelle sur l’identité et le destin. Trois histoires alternatives, pour une même histoire d’amour, dans la Roumanie des années 70. La Fille de la maison sans fin fait partie des romans ayant obtenu les meilleures critiques lors de sa parution. La maison-personnage de ce roman renvoie au concept architectural de la maison roumaine : des pièces qui communiquent les unes avec les autres, sans porte, sans la moindre intimité. C’est le type même des maisons construites dans les années 1960-1970 en Roumanie, dans les quartiers les plus modestes.
Dans le livre, la maison incarne le piège parfait, un lieu peuplé de fantômes un espace dont le personnage principal (féminin) veut s’échapper, tout comme il veut échapper à son histoire familiale, triste et contorsionnée. La combinaison de la noirceur et de la beauté, de la cruauté et de la poésie constitue le son et l’âme de ce magnifique livre que l’écrivain roumain, Mircea Cartarescu, a lui-même beaucoup soutenu : « La réussite de La Fille de la maison sans fin est cette très grande poésie dans les évocations, les souvenirs et les fantasmes de tous les personnages, qui ne sont que les avatars d’une seule et même voix éminemment féminine. Tout ce que l’on peut espérer maintenant est que ce roman fort, étrange et exceptionnel réussira à imposer Ana Maria Sandu aux côtés des écrivains qui comptent ».
Ana Maria Sandu est également traductrice du français. Elle écrit aussi des essais et des critiques pour les revues : Vineri, Dilema, Cosmopolitan, Atitudini, Noua Literatura, Art Magazine, tout en travaillant pour la chaîne télévisée TVR cultural.
7. RAZVAN RADULESCU
Parfois, la présentation sommaire d’un auteur, à la fois jeune et nullement à l’abri du succès, a presque autant de valeur qu’une analyse littéraire. Parfois, le jeune âge de l’écrivain élimine automatiquement toute analyse minutieuse et argumentée, exercice habituellement de rigueur pour ses aînés. Parfois à juste titre, parfois à tort.
Né en 1969, Razvan Radulescu a suivi des études de langues et de musique. 1995 marque l’année de ses débuts éditoriaux, où il est remarqué grâce au volume collectif Tablou de familie / Tableau de famille (soutenu par Mircea Cartarescu). En 1997, il reçoit le Prix de l’Union des Ecrivains – catégorie début, pour Viata si faptele lui Ilie Cazane / Vie et faits d’Ilie Cazane. En 2006, il poursuit avec Teodosie cel Mic / Teodosie le Petit, un roman époustouflant par l’originalité de son récit, de ses personnages et par son raffinement stylistique. Conte postmoderne et « histoire hiéroglyphe » de la Roumanie contemporaine, Teodosie le Petit est, en même temps, une histoire d’une irrémédiable tristesse sur la perte de l’innocence et sur l’impossible retour dans le monde des Histoires. Un livre fragile et splendide, comme peu de livres savent le faire. « Fragilité », voilà sans doute un mot juste pour qualifier le talent remarquable de Razvan Radulescu qui culmine précisément dans cette capacité à instaurer avec force et délicatesse une sorte de fil conducteur narratif, deux choses, reconnaissons-le, rares et difficiles à concilier.
Chef de famille et « corde » de cette dernière, Ilie Cazane, le protagoniste de Vie et faits d’Ilie Cazane , est l’incarnation de la figure trouble : un être de chair et de paroles, un fils et un orateur. Le premier naît et existe « biologiquement », le second se manifeste « spirituellement ». Sous l’éclairage des lampes d’interrogatoire des services secrets communistes, un nouvel espace est sur le point d’apparaître. Il fait surgir des personnages qu’il nourrit et que le roman de Razvan Radulescu fait parler, les délivrant des dossiers poussiéreux de la CNSAS (Conseil National pour l’étude des archives de la sécurité). Ce conteur surdoué, offre ainsi à la littérature roumaine contemporaine ce que l’on peut nommer une véritable « fiction politique ».
Chez Razvan Radulescu, l’accent est mis sur le comique, l’inadéquation entre la Securitate et le monde réel (un réel qui inclut également le fantastique). Ses histoires présentent les formes d’un monde accidenté, en 3D, dans lequel les frontières et les repères se superposent sans jamais perdre le lecteur. Bien au contraire, celui-ci y plonge avec un réel bonheur d’enfant.
Razvan Radulescu est également scénariste. Il fait partie de la nouvelle vague cinématographique roumaine notamment grâce aux films de Lucian Pintilie : Niki et Flo ou de Cristi Puiu : La Mort de Monsieur Lazarescu, dont il a écrit les scénarios. Il vient de réaliser son premier film : Felicia, avant tout.
8. FILIP FLORIAN
Filip Florian né en 1968, est une des figures montantes de la littérature roumaine. De 1990 à 1992, il est écrit pour la revue littéraire Cuvantul ; puis il travaille à Radio Europa libera jusqu’en 1995. Son roman Degete mici / Petits doigts (2005) lui a valu de nombreux prix en Roumanie tout en rencontrant un immense succès critique et public.
Avec son frère Matei, Filip Florian a publié Baiuteii / Garçonnets. Son dernier volume Zilele regelui / Les Jours du roi , est un roman surprenant dans lequel l’amour et l’amitié, ainsi que les innombrables visages qui en découlent, traversent la moitié du 19ème siècle en Roumanie et ailleurs.
Je me permets cependant d’émettre une préférence pour l’ingéniosité et la richesse des Petits doigts qui font de ce roman un texte passionnant et inoubliable. Légèrement déconcertant au début, sa brume apparente se dissipe peu à peu pour finalement révéler la beauté lumineuse du livre. Ces Petits doigts se composent d’ornements taillés, sculptés, de lignes précises qui se fondent les unes aux autres pour finalement réapparaître au sein d’autres corps magnifiés par le talent de leur auteur-joailler. Un équilibre fluide habille le texte. Les histoires s’entrecroisent tels les contes de Shéhérazade, les personnages possèdent le caractère tourmenté propre à la littérature d’Europe centrale (et de l’Est), non sans rappeler quelques textes de Kundera, grâce à l’ironie que Filip Florian adresse à l’Histoire, faite de grands et de petits récits, et bordée du sourire incrédule d’une femme qui ne croit pas aux histoires mais se laisse happer par elle.