Marco Boubille | Loi n

« La prose, c’est l’enfance. Elle sert d’éveil. Elle sert à sortir de l’aveuglement... »

La poésie entière est préposition

Claude Royet-Journoud

(éditions Eric Pesty).





  Une histoire, ce n’est pas fait pour commencer. Ce n’est pas la mienne. En dehors, rien n’a de sens. Et tout commence.

Il manque une marche.

  Une marque ?

  Chaque reflet du temps te ramène à l’origine commune. Aller, venir. Voilà pourquoi tu remontes, marche après marche du gouffre illusoire et mortel à la fois du vrai abandon. Mais jouer sur les mots ne marche pas forcément. Il y a beaucoup d’enfance dans cette sorte de distraction qui est aussi une vague forme d’ennui. Sous le masque, il avance. Mais ce secret ne lui appartient pas. Comme toutes les histoires qui ressortent ici, un soir ou l’autre. C’est ça surtout.

gravir ou graver
c’est seyant

  La trace qu’on laisse. Tant hâtive. Essayer, s’essayant. En garder la trace, le grand écart, sur une carte. Tentant les ayants droit. Mettre les points sur les i. Gravir est une patiente dispersion dans la lumière. Trace qui prend forme grâce aux mots, aux hésitations, aux contradictions parfois palpables. Nos oublis ne sont que provisoires, ils sont les traces de l’envie. Une ombre. Un fantôme. Une équation non résolue. Une permanente agitation d’ondes, d’ombres et d’images.

  Localiser les points de sauvegarde. Quitte à ne faire continuellement que marcher tout autour, creusant une ornière qui les ferait ressortir un peu. Nos îles. Un univers de signes un à un juxtaposés. De fait, l’œil fouille avec une apparente confusion les images et le reste du réel selon les aspérités, les reliefs.

  Les îles ont un silence qu’on entend. L’arbre qui frémit devant notre fenêtre est comme une autre chambre où nous ne pénétrons qu’au moment de dormir et dans les environs du rêve. Pourtant, l’observation dément ce stéréotype. Les fils les taches les repentirs minces, des plans à regarder comme des cartes en désordre. Je copie le monde qui m’entoure. Vous aimerez l’étranger qui vit parmi nous.

Je révise l’enfant que je suis de loin.

  Sa gravité détient le secret de la légèreté.

  La traque et la trace. Ses doutes et ses détours. Quelque chose : on dirait de l’air. L’éclat qui vient. Ce miroitement invisible où tout se traverse et te traverse.

une distance convenable d’une once pour
un récit fort labile
il ne se serre pas au passage de l’air
n’en fait pas une contrainte pour les lèvres
ne se déploie pas en onomatopées par vengeance

  L’enfance rôde aux alentours, réminiscence et odeurs s’évaporent du talus. Souvenirs flous ou sensations seulement sans contours, on dit méandres, ébauche minuscule d’une sorte de madeleine.

Regretter une faute dont le fruit est si beau.

  Il n’y en a pas ; ou plutôt il n’y en a plus. C’est l’occasion de combler en partie cette absence. Constat d’un dialogue rompu, la séparation comme déjà acquise, enfonce dans l’oubli tous ces mots imparfaits, sans syntaxe fixe, un peu balbutiants, dans lesquels se faisait l’échange de la folie et de la raison.

une hémorragie de faux souvenirs.

  De son inquiétude lorsqu’un miroir se brise. Le bonheur, à quel prix ? Une faute, comment la réparer ?

Pourtant faites une fois au moins vos adieux sincères en signant sur la carte vos écarts, ce que vous laissez.

  En bas, en écho, ce que l’on en tire de pensée, de réflexion, de signes. Cette circulation, ce souffle, se trouve dans un dialogue avec le texte. Les petits détails techniques, les sacs qu’il faut remplir, les cartes qu’on déplie, la langue qu’on ne comprend pas, les marches, les errances.

un poème en carte, à partir de mon père.

  Et cette impression d’avoir été mis sur la touche, devoir rester ainsi sur le banc, banni, littéralement hors-jeu. Qui père gagne ?

Je déchire au centre de tes préoccupations le souvenir du patron qui vérifiait à l’avance tes rendre compte. Je fais le récit de ta promesse de me saluer « au revoir Monsieur », de succéder à ton silence. Pris en charge mon silence devenu ma dette.

  Souvent, c’est une question d’effet, et de rythme. Comme les mots-valises il engendre cette folie chez qui la frontière entre ombre et lumière s’est faite un peu floue. Rares trouvailles et sombres soubresauts, tentative de faire advenir en disant. Le temps me rogne et me ronge comme une pièce de monnaie, un palindrome : Trace là l’âge nu mon nom un égal à l’écart.

  La force du langage réside dans son infirmité : son incapacité à dire ce qu’il veut dire. Il ne peut le dire qu’en le disant sans le dire. Point d’origine. Former, formuler cela revient au même. C’est donner une forme. Les circonvolutions ne manquent pas. Syntaxe étrange mais rigoureuse, procédant par raccourcis, enchaînements de relatives, renversements de perspective, éclatement presque soudain d’une formule presque magique.

Rien, ne me demande pas, le nom de ma famille.

  Autour d’un vide qui n’est pas rien ou très peu a remué et passe, que n’importe quoi pourrait traverser, ce qui devient vite obsédant. À l’origine est la violence, ainsi est devenu le temps, ce vide qui n’est pas rien dans tout ce qui est séparé. Maintenant configuration différente, les décomptes, les relevés, les bilans s’établissent par espace autonome.

Il ne s’explique pas, il se raconte. Il ne s’excuse pas, il fait une frontière, avec une lettre, un grand signe, une sécante, sans avant, ni après, il s’appelle lui-même : l’homme à l’angle.

  Le voyage est désormais impossible, remplacée par une errance. Tous ces endroits se ressemblent et toutes les descriptions aussi.

Les noms ne retiennent pas les noms de voyage.

  L’altérité est à la fois partout et nulle part : circulez, il n’y a rien à voir.

Je dessine une proie, un morceau de roi.

  Le sombre éclat. L’enfance et les événements du monde, le fonctionnement de la mémoire aussi. Oui, et je les laisse tels quels. On a l’impression que tous les temps se confondent. Comprendre que l’on n’en finira pas avant de connaître l’origine.


Marco Boubille : Loi n, éditions Les Petits Matins, 31 rue Faidherbe 75011 Paris.

Blog de Marco Boubille.

28 septembre 2008
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