Marie Cosnay | Sous-texte

Image de Delphine Chaix


 

Une première version de ces bribes & rêves, de janvier à juillet a paru sur le site de Marie Cosnay, des aubes particulières.
Marie Cosnay sur remue.
La bataille d’Anghiari, son dernier ouvrage, a paru chez L’or des fous éditeur.
Suivre le blog de Marie Cosnay sur mediapart.


 

Dans la distension de l’esprit on cherche le principe de l’extension du temps, alors
que chez Aristote le temps n’est pas mouvement mais est quelque chose du
mouvement. Rien dans le mouvement régulier des astres ne nous aide, alors il faut
trouver dans l’attente et dans le souvenir la mesure du temps.

Le mouvement est dans la chose qui remue (dans la mue de la chose) alors que le temps est partout. Pourtant quand un laps de temps s’est écoulé il nous paraît qu’un certain mouvement est allé avec.<br

Il est aussi difficile d’approcher nos contemporains en général (qui sont types et non personnes) que nos prédécesseurs. Ce prédécesseur est mort et c’est le remplacement du mort par le vivant (celui qui raconte l’histoire) qui est le grand flux enthousiaste.

La mort on la prend une à une et quand elle est anonyme, masse opaque, elle est le nœud de tout un réseau auquel appartiennent ces notions de contemporains, de prédécesseurs et de successeurs.

Les morts (pris un à un) ne sont plus les absents de l’histoire : de leurs ombres ils hantent le présent.

Ils font une éternité.

D’une petite marque (une sente, une branche tordue, un bijou, un texte, une archive) ils indiquent le passé qui fut, une rayure, une entaille, on est passé par là.

On raconte.

Un homme a vu de beaux êtres vivants, ils sont vivants ou peints ou modelés. Ils sont au repos. Muscles arrêtés. L’homme qui les a vus se prend du désir de les voir en mouvement. Les êtres se livreraient aux mouvements qui conviennent à leurs corps.

Un modèle contient tout plein d’animaux intelligibles. Un seul animal visible renferme en lui tous les animaux qui lui sont apparentés. C’est une sphère qui contient. Rien n’en sort, rien n’y rentre. La sphère se nourrit de sa propre perte. Pas de mains et pas de pieds. Celui qui s’accorde à l’intelligence de la pensée tourne sur lui-même et le mouvement est circulaire.

La vue est la cause du plus grand bien. Elle est le feu (le même) que le feu du dehors, resserré là, à cet endroit d’œil, de fente. De fente de petit œil. On voit parce que les deux feux, celui du dehors et celui du dedans, se rencontrent. On voit le jour et on voit la nuit, les mois, les révolutions, les armées, les équinoxes, les solstices, les nombres, les ormes.

Quant aux armées je les ai imaginées : se préparant dans une forêt floue avec château moderne à proximité et fresques sur les hauts murs et personnages de Shakespeare. C’est par la vue que nous tenons la philosophie.

Chez Virgile, on cherche au livre VI la petite branche dorée avec laquelle entrer au royaume des morts, ce signe entre vivants et morts.

Les éléments sont fuyants, ne croyez pas que l’eau et le feu demeurent tels, eau et feu. Sans cesse un objet passe d’un état à un autre, l’objet on ne peut le désigner ceci ou cela. La nature reçoit tous les corps comme elle reçoit l’or et avec l’or on fait toutes les formes (changeantes).

La nature : c’est un tapis (verdoyant) mis en mouvement. En petits morceaux découpé. Découpé ici : c’est Figure 1 (du loup), découpé ici et c’est Figure 2 (de l’ours). C’est le regard qui découpe.

Il y a le genre qui ne bouge pas, n’est pas né et ne périt pas. La pensée le contemple. Il y a un deuxième genre, né dans un lieu déterminé et que la sensation saisit. Il bouge. Enfin le troisième genre, celui-là à peine si on peut y croire, il est de l’espèce du rêve, il faut pourtant que ce qui est soit quelque part ou que ce qui est quelque part soit ; avec ce troisième genre (image fuyante) tout fiche le camp : c’est le fantôme toujours changeant d’une image qui passe de forme à forme et de couleur à couleur.

Dans mon rêve, c’est bleu.

Si l’angoisse ne (me) trompe pas, l’enthousiasme ne (me) trompe pas non plus.

Il y a toujours un secret : c’est là qu’il faut frapper (pointer, avancer, c’est là qu’on se fraie chemin).

Une fête, avec deux hommes. On cherche le DVD d’un événement politique meurtrier qui a eu lieu à Turin. On trouve le livre puis le film. J’insiste : qu’on donne le livre et le DVD, le tout, aux deux hommes de la fête. L’un des deux est en peignoir. Ils sont en file indienne les deux hommes de la fête, ils boivent, l’un derrière l’autre. Le DVD est fendu. Je recule. Nous reculons, même si je ne sais pas qui est ce nous qui reculons. Le DVD est fendu. Attention, ils boivent. Puis : trop tard. Le couteau a été planté dans le corps de l’homme n°1. Il a plongé dans un monde trop diversifié. Il a plongé dans un monde trop... (La voix poursuit).

Un mythe c’est très difficile, c’est toute cette affaire d’ambiguïté morale. Ou bien la bonté excessive devient le mal absolu. Ou bien celui qui semble incarner le mal tient la seule place véritablement éthique.

Un homme à toute petite tête de femme porte une jupe en tweed. Il est vieux de cinquante ans. Zoom sur l’homme à petite tête, on descend pour montrer la jupe, gros plan. Elle n’a pas besoin de se laisser pousser les seins pour être une femme, c’est la phrase qui est répétée aujourd’hui. Tous ces romans où les hommes deviennent femmes ! Cet homme-là à la jupe de tweed et à la figure petite et fière et féminine est imprévisible. Savez-vous qu’il vit avec sa mère ? Elle est folle, elle est aussi folle que lui. Je suis étudiante et je m’approche de l’homme à la jupe de tweed pour commenter ce devenir vieille femme.

Dans une ville inconnue nous déambulons, guidés par les pianos. Des jeunes gens jouent divinement bien, on voit les doigts, deux fois dix doigts. Un des jeunes gens s’appelle Maël, un autre Tom. Les mains se creusent, conques, se lèvent, tombent sur les touches. La ville est un casse-tête. Combien de kilomètres, encore ? Il faut compter. L’ascension a commencé. Nous avons fait le mauvais choix, nous avons bifurqué là où il ne fallait pas. C’est un choix de hasard, cette route-là. C’est la route père, tu comprends, dis-je, ce n’est pas un choix très pertinent.

Mon plaisir était si vif, si intime, qu’il en était pensif.

Entre les deux bouts du rêve il y a cette chose gluante qu’on appelle tissu de matière grasse. Au milieu l’histoire est introuvable. Je sais que c’est un flash-back mais je ne sais pas lequel. J’ai passé mon rêve à trouver l’histoire introuvable qui montre, depuis le présent, le passé.

Parfois un personnage est accompagné d’un élément. C’est le cas de l’eau chez Énée, il y a une vague qui s’installe (morceau bleu) tout droit au-dessus de sa tête, et ce morceau bleu pleut. Dans le livre que j’essaie d’écrire Ziad par exemple trimbale la tempête et Durruty le vent. L’élément marche avec le héros, collé à lui, ne le lâchant jamais. L’eau, le feu, la vague ne peuvent pas être effacés. Pourtant l’élément change de forme, pas dit que le feu ne devienne pas eau ou vent. D’ailleurs c’est ainsi avec Ziad et Durruty, je ne me souviens plus où on commence, si on passe de l’eau au vent ou le contraire.

Une date c’est l’allocation d’un comme si. Des à présents potentiels, les dates c’est comme les générations, on remonte le temps ; on le prolonge par imagination.

Parler c’est mettre sous la vue. La diction, c’est mettre sous la vue. Faire voir. Placer sous les yeux. Fabrice del Dongo devient maître de la parole pour être vu de Clélia. Énée croit voir la bouche des dieux et leurs cheveux voilés. Les dieux lui parlent comme dans un rêve mais ce n’est pas un rêve, c’est au livre III, quand les dieux aident le héros à cesser de se tromper de destination, l’Hespérie, l’Hespérie, comme disait Cassandre... Les dieux ou oracles ou sibylles parlent à Énée qui le raconte. D’abord Énée (nous) raconte. Après on sait ce qu’on (le dieu) a raconté à lui qui raconte. Après, juste après, on voit. Une tempête, avec les coudes des vagues dressées, au loin la terre qu’on devine, on est accroché au bois d’un radeau de fortune. Une montagne, un rivage.

La fiction, c’est mettre dans la vue. La fiction rend unique, met en lumière l’horrible ou l’admirable. Elle met dans la vue du lecteur. Elle met dans la vue du narrateur. Elle donne au narrateur horrifié (Énée) des yeux pour voir, pour pleurer, pour admirer.

La fiction c’est l’errance. La pérégrination relance l’âme sur la route du temps. Pérégrination et narration sont fondées sur une même approximation de l’éternité.

(Dans mon temps de début juillet je relis les notes et les rêves de février. Énée n’est pas très juste puisque je ne suis en sa compagnie que depuis mai. Autre chose n’est pas très juste : l’idée d’éternité. Depuis l’horizon de juillet j’aperçois, dans le double jeu du ciel et de la mer, une autre approximation d’éternité.)

Dans une maison de vacances tu bricoles, fabriques un théâtre miniature ou autre chose. La nuit que nous passerons n’est pas descriptible. Il ne faut pas la dire. Un paranoïaque est sur ma route. Qui me dit que je ne suis pas du tout où il faut. Où il faut. On hale une péniche avec les deux enfants qui sont mes enfants. Pour qui haler cette péniche ? Pour quelqu’un qui n’est pas là, au bout.

Le premier récit porte déjà la marque de récits antérieurs. Chez Ovide la nature imite l’art et toujours un texte précède. Sans le secours de la narration, le nom propre est voué à une autonomie sans solution. Que dites-vous que je suis ?

Mars. L’université organise un débat avec la fille de Rancière qui énonce, innocemment, une énormité raciste. Le choc est si terrible que l’université s’ébranle, ses fondations tremblent, on va la reconstruire ailleurs, dit-on. Au réveil, crise de tachycardie et migraine. Rendormissement. C’est la catastrophe, ce dossier scolaire. On dirait : c’est la mort. Quelques jours seulement. Oh non. L’éternité, la tristesse de l’éternité (à voix basse).

Lors d’une fête, chacun doit trouver quelqu’un(e) à déshabiller. Un petit garçon fait un cadeau (à qui ?) : une planche de bois sur laquelle est collé un morceau cuit de pâte à tarte, doré. Il faut exhiber le cadeau. Il se triple, le cadeau. Trois fois le cadeau de la pâte à tarte peinte d’un faux or et pointée sur une planche de bois puis sur le mur. La matière, pâte à tarte cuite et couleur bronze ou or, je l’aime. Sur le tee-shirt du garçon on lit, en bannière, le mot suivant : fille. (Mémoire : les trois coffrets, les trois filles de Lear, la fille dernière et mutique au visage inregardable, porteuse de guerre et de mort.)

M’a occupée la lettre d’Octave, la lettre non envoyée d’Octave. Octave trouve dans la caisse d’oranger prévue au dépôt des lettres entre fiancées et amis une lettre écrite de la main d’Armance. Il lit en secret la lettre et comprend qu’Armance ne l’aime pas, elle ne l’épouse que par devoir. On sait que cette lettre d’Armance est fausse, c’est un faux, elle a été écrite par un tiers pour atteindre Octave, elle vise à faire annuler le mariage. Octave la lit et la croit. Du coup, il ne met pas dans la caisse d’oranger la lettre à Armance qu’il a écrite et dans laquelle il dit, en dix lignes, son secret d’impuissance.

La sidération : quand (dans le rêve) l’attitude d’une personne est parfaitement opposée à l’attitude attendue. Avant je me sentais mourir, maintenant j’ai simplement de l’indifférence. Cette phrase en italique, je la prononce à l’adresse d’une sorte de bourreau (bourreau des cœurs ?). Un enfant de quatre ans moins un jour est morte et je crie : je ne suis pas touchée, ça m’est complètement égal. Je m’enfuis. Je passe dans une rue à laquelle je n’ai pas droit, d’habitude. Dans une des voitures garées dans cette rue il y a des piles de livres et de doux pull-overs. Cependant, au funérarium un médecin particulièrement bienveillant découpe les cadavres en tranches.

Ils vivent, le savez-vous.

On le sait et observe la nudité des murs, la sobriété des lieux. Le médecin me tend une huître et explique qu’il faut râper ce qui dépasse avant de manger. Je crois que l’huître c’est un œil.

Ce qui me ramène à l’œil : cette scène anodine et stupide de l’enfance. Je suis couchée sous le lit de ma petite sœur car mon père s’est mis en tête qu’il fallait me couper les cheveux qui me tombent sur les yeux. Je ne veux pas et le fuis. Sous le lit de ma petite sœur le vieil oncle Albert se faufile et tente de me violer.

Ce qui me ramène aux cheveux : ma mère m’aide à les laver dans le lavabo de la salle de bains de la maison d’enfance, au jardin plongeant sur route nationale. Je crie (dans mon souvenir le cri est aigu long persistant violent) que j’en ai rien à faire de ses peurs et des enfants, quatre ans moins un jour ou plus jeunes encore, morts avant moi.

Outrepasser jusqu’à épuisement l’art de raconter. Samedi 9 mars. C’est le rêve de la machine à vibrer. C’était avant le vol, par nuit de pluie, de mon ordinateur. Il y a cet effroi à aller jusqu’au bout. C’est, la machine à vibrer, un truc pour rester jeune - ça sert aussi à aller jusqu’au bout de la mort. C’est, dit-on, le passage, le Passage, avec, dans le rêve, une majuscule. Ça me vaut trois jours et trois nuits de tachycardie. La quatrième nuit, mon père rit, qui voit les pommes sur le toit en pente ne pas dégringoler comme elles devraient le faire : elles restent en suspens et c’est très drôle, toutes les pommes réunies là, dans le suspens. Il y a une phrase qui se répète (enregistrée) : on le sait que c’est une loi naturelle de suivre la pente.

Quand j’étais enfant mon père me donnait de la mie de pain et des quartiers de pommes pour que se calme la tachycardie qui me gâtait l’été.

Le corps musique et tu as l’air toutes choses.

Un groupe enthousiaste marche, marche pour demander et protester. La marche se transforme peu à peu en danse traditionnelle, très lente, très lente. Je suis entourée de gens avec qui je me sens d’emblée bien. Soudain, l’annonce : C.C. est mort ce matin. Bien qu’il ait été chef d’entreprise il soutenait notre combat. Je pense : ça fait cinquante ans que je ne l’ai pas vu. Les cinquante ans flottent un moment, tout le restant du rêve ils flottent, ils se demandent, les cinquante ans, personnifiés soudain, ce qu’ils sont, comme durée, ils expriment qu’ils ne sont pas cinquante ans d’une vie, pas du tout, qu’on ne croie pas ça. Tachycardie. J’ai perdu en une nuit cinquante ans tout ronds.

Une fille est criminelle, elle se sauve, on la retrouve, elle se sauve encore, on l’attache, elle se libère, ainsi de suite longuement, enfin on la tient et je vais la livrer, la livrer au Portugal qui la réclame car pèse sur elle un mandat d’arrêt européen. Il me faut avant de la livrer ses numéros de carte bleue, d’assurance sociale, il me faut le numéro du vol réservé. Elle va mourir, c’est sans espoir, elle va mourir, inexorable. Elle s’échappe alors. Je la comprends. Mais au même moment je la serre, je la serre : elle a fait tant de mal à un homme qui l’aimait (phrase qu’on entend, voix enregistrée un peu nasillarde).

Un tout petit rêve égrène des formules mathématiques, à force d’équations très compliquées on les ramène à l’unité. C’est extrêmement satisfaisant.
Il y a une infinie porosité. L’impossible doit être possible. J’ai noté : rôle social à toujours transgresser. Le deuil, l’endeuillé(e).

Le rêve consiste à tout préparer, à tout organiser, à ne laisser rien au hasard. Tout pour que les survivants n’aient pas à mettre en ordre, après. Après la mort. Ou bien, et je suis tentée, je m’en vais (suicide) en brouillon, à la va vite, comme on fuit. Un livre nous explique tout ça, dans un temps superposé, le livre s’ouvre et les pages sont tournées religieusement, c’est une conférence.

Le vent menace, j’ai écrit, par sa présence et par son absence. Le récit de la cosmogonie n’est pas autre chose qu’un discours sur la cosmogonie. Il n’y a pas un monde, il y a des mondes représentés. Il y a un tourbillon (gurgite vasto) et par cette porte on entre dans l’univers de la représentation.

Lear, pouvoir émietté (renoncé), comprend que le juge est l’injuste, le possédant le voleur. Quand Lear comprend ça, dehors ça souffle rudement. Sa barbe est mouillée. Ses pieds sont trempés. Il dégouline. Après le tourbillon, on (re)commence. On dit toujours quelque chose après autre chose. Un tourbillon fait le passage.

L’image n’est pas un objet mais un processus. Voir naître ce processus à chaque centaine de vers traduits de l’Énéide.

Dans l’histoire que je cherche à écrire, une femme a disparu (Gabrielle), une autre est morte (Hannah, alias Mélodie), une autre est amnésique (?). Un commissaire est triste (Durruty), un inspecteur est en cure de sommeil (Ziad). Dans la Cadillac qui a pris feu sur la route des Trois Fourches en cet endroit frontière où sont encore tracés les chemins des braconniers, on a trouvé deux corps. Celui du conducteur a été tué d’une balle (dans la nuque). On ne comprend pas, en revanche, pourquoi le corps du deuxième passager a attendu que la voiture s’enflamme pour de bon. La question hante Durruty qui pense qu’il aura le fin mot de l’enquête, le nom de l’inconnue à la mémoire disparue et son histoire, qu’il saura où est cachée Gabrielle et comprendra les démêlés de l’Histoire contemporaine quand il saura pourquoi celui-là, inconnu, n’a pas sauté d’une Cadillac en feu. Il y a plein de raisons possibles. Comme Durruty je pense que lorsque je le saurai, le récit aura pris sa route, la première. Après quoi il se déroutera sans doute.

Je ne sais pas si on peut dire qu’Énée, qui raconte comme il écoute (les dieux) est à la fois sujet et objet de l’épopée. Je pense à Actéon, sur le mode tragi-comique, chez Ovide, le parfait sujet-objet, chasseur chassé par ses chiens, absent rudement présent, douloureusement trop présent.

Dans la maison d’Emma ma grand-mère, on fait des travaux. C’est une maison toute petite, si sensible d’être si petite. J’ai de l’affection pour la maison. C’est la maison où tout le monde pourra venir (je voudrais bien que « ça » vienne et en même temps je déploie une sorte d’auto-ironie : je suis toujours dérangée par les allées et venues des uns et des autres). J’ai une revendication. Il faut dans la toute petite maison me garder une petite, toute petite, plus petite qu’on peut imaginer, pièce. Grande ou petite dit l’entrepreneur, il faut quatre mètres carrés de carrelage car on ne vend pas de lots moins grands, ça veut dire d’une, il faudra couper et rogner et de deux c’est beaucoup trop cher. C’est non, donc, dit l’entrepreneur. Mon père.

C’était ma demande dernière (au réveil).

Une trop petite robe, je l’essaie à l’intérieur de l’institut du monde arabe. Elle est adorable, colorée. Quelle maladresse à l’essayer. J’ai des écharpes partout, des foulards, des bandelettes comme ont les suppliants chez Virgile. J’ai peur que la robe soit trop petite, étriquée. Je voudrais la taille au-dessus. On m’attend, dehors.

Souvent (juin) : tout peut s’inverser. Prendre une autre gueule. C’est abrupt. Que l’ami devienne ennemi est le plus atroce des fantasmes et le plus récurrent.

Je suis dans un train avec mon fils cadet. Nous portons un matelas, un très bon matelas, un matelas lié à l’amour de l’enfance. Nous perdons le matelas. Dans le rêve j’ai de longs sanglots et je pleure au réveil.

Le 9 juillet on me trimbale dans une voiture à la recherche de personnes aimées perdues après une fête. N’ont pas l’habitude, ces êtres perdus, d’être « de manque ». Je suis abandonnée pourtant, on ne m’attend pas, celui qui devait le plus m’attendre et dont je ne craignais pas l’absence d’attente ne m’a pas attendue.

Et le 11 juillet Énée s’adresse à Andromaque qu’il rencontre par hasard au milieu des îles grecques qu’il parcourt (Virgile dit qu’il les cueille, verbe lego, dont le sens dérivé est lire). Andromaque est inattendue, deux survivants se font face, passés par les cendres et les morts. Quand elle voit le revenant Andromaque délire, au milieu de son regard, ça se raidit, écrit Virgile. Quand elle revient à elle, hisco, dit Énée par la bouche de Virgile, je me fends. Il fend sa bouche, petite fente, pour quelques mots maladroits. C’est comme si la mort mutique, l’innommable réel se fendait un peu, à peine : petite fente, petite parole et petit œil, sur la possibilité d’une île, d’une femme, d’une survie.

23 juillet 2013
T T+