Mario Rigoni Stern s’en est allé
L’écrivain italien, célébré dès son premier livre, Le Sergent dans la neige, est décédé lundi soir.
C’est à Asiago, là où il était né le premier novembre 1921, que Mario Rigoni Stern est mort lundi dernier. Ce village, situé au-dessus de Vicence, dans le nord de l’Italie, occupe une place importante dans l’œuvre de celui qui n’aura cessé de témoigner, humblement et avec force, d’un parcours inévitablement lié à l’histoire (en l’occurrence celle de la seconde guerre mondiale).
Presque tous ses livres relatent cette période. Cela débute dès 1953 avec Le Sergent dans la neige, récit âpre et précis - désormais devenu un classique - qui revient sur la retraite d’une poignée de chasseurs alpins (tous Italiens et enrôlés dans la « grande armée » voulue par Hitler) contraints de quitter l’URSS en essayant de sauver leur peau. Avec eux, Rigoni Stern connait le froid, la faim, la douleur, la maladie. Puis la chute de Mussolini en juillet 1943 et l’armistice avec, pour finir, la détention dans un camp de concentration de Pologne orientale au milieu des russes, leurs adversaires d’hier. Il reviendra en détail sur cette absurdité dans un autre livre : En attendant l’aube.
« Je n’étais qu’un homme qui, parmi des millions d’autres hommes, combattait très loin de chez lui dans la guerre la plus horrible que les étoiles aient vue depuis qu’elles existent », note-t-il dans La Dernière Partie de carte, texte où il démontre (et démonte) la rhétorique fasciste tout en revenant sur le malaise et la blessure profonde qu’il ressent en tant qu’acteur impliqué, bien malgré lui, dans cette folie imposée.
Après la guerre, Mario Rigoni Stern, employé au cadastre, développera une attention soutenue à la nature. Il apprendra à la connaître, à l’écouter, à la décrire, à l’écrire. Il dira plus tard que ce sont ses flâneries sur le haut plateau qui l’ont aidé à guérir de la guerre, même si celle-ci resurgit régulièrement.
Ses écrits, disponibles pour la plupart aux éditions La fosse aux ours, constituent, pour peu qu’on les rassemble, ses Mémoires. Toute la vie du montagnard y est reconstituée. On y côtoie sa famille, l’histoire de sa région du dix-neuvième siècle aux années 40, les paysages, les hommes, les animaux... On y retrouve également ses amis, Emilio Lussu, Francesco Biamonti, Nuto Revelli, Andrea Zanzotto et bien sûr Primo Levi qui, répondant un jour à une journaliste qui lui demandait où il aimerait fêter le prochain Noël, dit : « J’aimerais le passer avec Rigoni Stern dans un refuge de montagne. Tous les deux seuls à regarder le feu de la cheminée. »
En 1987, après la disparition de Primo Levi, l’auteur de La Chasse aux coqs de bruyère (son second livre, publié en 1962) prit la plume pour écrire une lettre posthume à son ami dont il ne partageait pas le pessimisme total :
« Combien de fois, Primo, ne t’ai-je pas dit ces dernières années : "Viens, nous irons dans la forêt, là où nous ne rencontrerons pas d’indifférents ; nous marcherons sur la mousse, nous nous enfoncerons dans le vert sombre comme au fond de la mer ; ou bien nous irons à skis dans le silence baigné de lumière, et cela te fera oublier l’angoisse d’Auschwitz, et les obligations de ton travail et de ta famille." Comme c’était arrivé, un été, pendant une courte période. »
En décembre dernier, invité dans une émission télévisée, Mario Rigoni Stern avait prévenu tout le monde de son prochain départ. Il avait dit ce soir-là que c’était la dernière fois qu’il quittait le Haut Plateau d’Asiago. La mort, qu’il avait tant frôlé, ne lui faisait pas peur. « Mon corps est fatigué, ce vieux corps qui a subi tant de vicissitudes », rappelait-il dans l’un de ses derniers livres, Le Poète secret, publié en Italie en 2004 et en France (La Fosse aux ours) en 2005.
Mario Rigoni Stern sur remue.net :
Pourquoi la guerre ?
Le Poète secret
Logo : Mario Rigoni Stern au col du Petit-Saint-Bernard en 2001 (photo Pascal Lemaître).