Mon journal de résidence
(janvier-juin 2015)
Lundi 5 janvier 2015
Jour de rentrée. Mon premier jour de résidence. Il fait froid au collège Rosa Bonheur du Châtelet-en-Brie. Quinze jours de vacances d’hiver ont refroidi les couloirs, les classes, les murs de ce petit collège à l’architecture simple et plutôt agréable. Madame Laure Delattre, Principale, m’accueille et m’accompagne en salle « DPH », le cabinet d’histoire-géographie, que j’ai déjà rebaptisé « Le cabinet de curiosités littéraires » et qui sera mon repère, mon lieu de présence et de travail pour toute la durée de la résidence. Une petite pièce ouverte sur le couloir du second étage, entre deux salles de classe, qui présente l’avantage d’être au cœur du collège, au plus près des élèves.
Pour l’instant l’endroit est vide, prêt à être aménagé comme je le souhaite. Je redescends au CDI, rencontre Sophie Prudham, documentaliste, qui sera « l’ange gardien » de cette résidence, puis François Gibault, chargé de l’entretien technique du collège, qui va littéralement se mettre en quatre pour m’aider à installer mon cabinet de curiosités littéraires, m’ouvrant les portes des réserves et transportant dans les couloirs les tables, chaises, étagères, tableaux et autres panneaux nécessaires à l’aménagement du lieu. De mon cabinet, j’entends les cours donnés dans les salles voisines : cours d’histoire-géographie, cours d’anglais, d’espagnol, de lettres. Une vie de collège…
Mardi 6 janvier
Il fait déjà un peu plus chaud dans Le cabinet de curiosités. À l’instar des cabinets de curiosités de la Renaissance, j’aimerais que ce lieu devienne une sorte de « chambre des merveilles », attisant la curiosité des élèves pour les mots, la langue, l’écriture. J’imagine un espace plein de « curiosités », des mots dans des bocaux, des livres rares, des phrases qui pendent au plafond, des murs acrostiches, des murs calligrammes, que sais-je… Nous n’avons pas trop de six mois pour transformer la salle « DPH ». DPH ? En attendant, nous avons un problème de clés. Je dois pouvoir ouvrir les portes. La porte du cabinet de curiosités, celle de la salle des professeurs, la grille du collège… Ouvrir les portes, c’est déjà faire un pas dans l’occupation d’un lieu. François vient à ma rescousse et m’apporte des doubles de clés. « J’aime bien m’occuper des clés » me dit-il. De la salle voisine, la voix de la professeure d’espagnol : « pronunciación »…
Lundi 12 janvier
Je retrouve un collège bouleversé par « les événements » comme on appelle déjà pudiquement les attentats qui ont endeuillé la France la semaine dernière.
Au CDI, Hugo a appris de son copain que je faisais le tour des classes pour me présenter. « C’est vous Luc Tartar ? » me demande-t-il en tournant et retournant entre ses mains mon livre En voiture Simone. « Vous êtes vraiment écrivain ? » ajoute-t-il, incrédule.
Attablé dans mon cabinet de curiosités, je commence un intéressant travail de prise de notes, de recherches, de documentation. Je laisse ma porte ouverte, de manière à favoriser les contacts avec les élèves, que je vois passer pendant les interclasses et dont j’entends parfois quelques bribes de conversations. Une élève chuchote à sa copine, avec insistance : « C’est lui. C’est lui, l’auteur. » Je lève le nez mais ne vois personne dans l’encadrement de la porte, les élèves étant déjà passées. Ah si. Une frêle silhouette fait trois pas en arrière et, mine de rien, jette un œil discret dans le cabinet pendant qu’en off, pouffe la copine.
Mardi 13 janvier
Pendant ma présentation aux élèves de 5e4, Lucas me demande si ma présence au collège a quelque chose à voir avec les « événements » de la semaine dernière. Comme je lui demande de préciser sa question, il enchaîne : « Est-ce qu’ils envoient les écrivains dans les classes pour redonner confiance aux élèves après les attentats ? » Je trouve la question très belle. J’explique que ma résidence a été décidée bien avant les attentats et qu’il n’y a donc pas de rapport direct mais j’ajoute que les mots, la littérature, la culture, oui tout cela peut faire du bien, redonner confiance en quelque sorte, aider au vivre ensemble. Au bout d’une trentaine de minutes de rencontre, je laisse Julien Davesne, professeur d’histoire-géographie, poursuivre son cours et rejoins mon cabinet de curiosités, contiguë à cette salle, en passant par le couloir. J’ai à peine le temps d’arriver « chez moi » que j’entends frapper à l’autre porte, celle qui donne dans la classe voisine. J’ouvre. « Tu peux revenir ? demande Julien. Ils ont d’autres questions à te poser. »
Lundi 19 janvier
Inauguration de la résidence. Quinze élèves du collège lisent des extraits de mes pièces devant leurs camarades, les invités officiels, les partenaires de la résidence, l’équipe pédagogique et la direction du collège. Les élèves jouent le jeu. Au milieu du public qui les entoure, à peine intimidés par l’assemblée, ils prennent à bras le corps mes mots et mes personnages, avec aplomb et une certaine maturité. Joli moment.
Mardi 20 janvier
Quelques élèves téméraires osent franchir ma porte et pénétrer dans mon cabinet de curiosités. Charline et sa copine viennent me voir, m’apportent un texte. Le début de leur roman qu’elles ont intitulé Espéranza. « Ce n’est que le début me disent-elles. Nous avons déjà écrit quatre-vingt pages. » Bigre !
Léa m’apporte quant à elle une chanson d’amour. « Je n’écris que ça » me dit-elle. « C’est du Zouk, l’air de mon pays. »
François réagit au titre de ma pièce, En voiture Simone. « Sais-tu d’où vient cette expression ? me demande-t-il. La première femme qui a eu son permis de conduire se prénommait Simone. Je l’ai appris dans Qui veut gagner des millions ? »
Jolie rencontre avec la classe de 4e3, qui n’en finit pas de me poser des questions, refusant de me laisser partir, et empêchant ce faisant la poursuite du cours. « C’est une stratégie, dit en riant leur professeure, Céline Morales. Mais pas que… », ajoute-t-elle.
Lundi 26 janvier
Jérôme et Lola, élèves de 6e, viennent me voir régulièrement dans mon cabinet de curiosités. Jérôme, plaisantant, réclame un autographe.
Au CDI, je lis En voiture Simone devant une quinzaine d’élèves. A ma question concernant l’étrange structure de ce début de pièce, Nicolas, élève malvoyant, répond du tac au tac « c’est parce qu’on est dans la tête de Simone. » Je suis bluffé par sa clairvoyance.
Mardi 27 janvier
« Vous êtes encore là-dessus ? » me demande sérieusement Jérôme qui me voit à chaque interclasse lire L’école des peintres de Wissant, ouvrage passionnant et mine de renseignements pour l’écriture de mon roman. Lola, choquée, le reprend : « Mais, Jérôme, il sera là-dessus jusqu’à la fin ! »
Dans la salle multimédia, nous reprenons la lecture d’extraits de mes pièces présentée lors de l’inauguration de la résidence. Dans le couloir, j’essaie de mobiliser quelques élèves de 3e, et leur propose de venir assister à cette lecture. « On préfère rester entre nous, dans la cour. » Heureusement que leurs camarades seront plus curieux.
Finalement, un joli sursaut, et des inscriptions de dernière minute. Soixante-dix-sept spectateurs.
Lundi 02 février
Les classes de 3e du collège se rendent à la Bergerie, salle des fêtes du Châtelet-en-Brie, pour rencontrer madame Fleury, ancienne résistante et rescapée des camps. Son témoignage est bouleversant. L’état de sidération des élèves et de l’ensemble de l’assistance, est palpable. Pas facile de trouver les mots pour réagir. Il y a néanmoins beaucoup de questions. Maëva, élève de 6e, se tourne vers la fille de madame Fleury, qui a accompagné sa maman : « Qu’est-ce que ça vous fait d’entendre votre mère raconter ça ? »
Aurélie, élève de 4e, m’a déposé dans ma boîte aux lettres un cahier, L’incroyable Bella Swan.
Mardi 3 février
Camille et Mélanie me rendent visite dans mon cabinet de curiosités. Je leur montre les cartes postales d’époque étalées sur ma table et ce livre Rosa Bonheur, que j’ai emprunté au CDI et dans lequel je découvre avec gourmandise la vie de cette artiste à la forte personnalité, que je connaissais peu. Une question me taraude depuis plusieurs mois : Rosa Bonheur et les peintres de Wissant se connaissaient-ils ? Ont-ils pu se rencontrer ? Rosa Bonheur est de la génération précédente à celle d’Adrien Demont et de Virginie Breton, mais ces artistes reconnus à leur époque devaient forcément avoir entendu parler les uns des autres… Camille et Mélanie me regardent. Sonnerie. Récréation finie. Il faut aller en cours.
15h. Un frisson d’émotion me parcourt l’échine. Je viens de lire le nom de Virginie Breton dans le livre Rosa Bonheur. Euréka ! Voilà l’élément qui me manquait : Virginie Breton a écrit un article sur Rosa Bonheur. Je descends au CDI. « Tu as l’air content » me dit Sophie. Elle parvient peu après à trouver sur Internet l’article en question. « C’est super, ce genre de recherches historiques, me dit Sophie, c’est comme une enquête policière, comme un polar. »
Lundi 10 février
Rencontre au CDI du collège avec la nièce de Gus Bofa, dessinateur, en vue de préparer une exposition de ses dessins au collège. Je découvre avec beaucoup d’émotion une œuvre que je ne connaissais pas.
Mardi 11 février
Onze participants à l’atelier d’écriture du mardi. Les élèves sont un peu serrés autour de la table. Monsieur Sahnoune, Principal adjoint, est tout heureux de découvrir autant de monde à l’atelier. « Ça fait plaisir, dit-il, ça fait plaisir. »
Dans Le bonheur enchanté, le journal du collège, quelques articles rendent compte de la résidence. Maëva écrit un article sur l’inauguration de la résidence : « Autour d’extraits de S’embrasent, notre écrivain a greffé des passages de ses autres œuvres. » Notre écrivain. Ça y est. Je suis adopté.
Lundi 2 mars
Jour de rentrée (2). Il fait froid dans le cabinet de curiosités littéraires. Je reçois la visite de Jérôme, qui n’a pas oublié pendant les vacances le chemin de ma salle d’écriture. Il me réclame du papier. Il veut écrire une histoire qui le taraude, une histoire forte qu’il a vécue pendant les vacances. Il s’installe et cherche ses mots, compose ses phrases.
Au CDI, je lis la suite et la fin de Mademoiselle J’affabule, puis un petit passage de Roulez jeunesse !
Devant la classe de 3e1 et à l’invitation de Céline Morales, professeure d’histoire, je présente mon projet d’écriture, les personnages, la trame... La relation épistolaire du soldat Fernand et de son beau-frère dépressif, Abel, la fuite de ce dernier à Wissant, chez sa cousine Valentine et sa mort le 17 juin 1915. J’expose mes interrogations. De quoi Abel est-il mort ? "C’est sa cousine Valentine qui a fait le coup", me répond, stoïque, une élève assise au premier rang. Ah, tiens, ça je n’y avais pas pensé...
Mardi 3 mars
Trois élèves me rendent visite dans le cabinet de curiosités littéraires. Léa, élève de quatrième, est venue avec deux copines. Elle m’apporte une chanson qu’elle a écrite. Je lui propose d’insérer cette chanson dans la rubrique « Espace d’écriture » du site de la résidence. La question fuse, mélange de crainte et d’espoir : « Y’a des profs qui vont aller sur le site ? »
Titouan passe dans le couloir. Il me lance un « Bonne écriture » plein d’énergie. Je sors à sa rencontre. J’engage la conversation et lui propose de participer à l’atelier d’écriture. « C’est pas mon truc », me dit-il. A ma question de savoir s’il a aimé la présentation de mon roman en cours que j’ai faite dans sa classe, il me répond tout à trac : « Fernand, le personnage du soldat, il m’a intéressé. »
Marine et Laurie, deux élèves de la classe à PAC, envoyées par leurs professeures, viennent travailler leur texte avec moi.
Une silhouette dans l’encadrement de la porte. C’est Lucie, élève de troisième. « J’ai écrit un poème. »
Lundi 9 mars
Jérôme débarque dans le cabinet de curiosités et tourne en rond. Je lui propose d’écrire une phrase sur le modèle « Écrire, c’est… », la suite de la phrase étant constituée d’un verbe tiré au sort dans le dictionnaire, puis d’un complément. Il s’installe, ouvre le dictionnaire, tombe sur le verbe harasser. « Écrire, c’est harasser les lignes de nos mains. »
Lundi 16 mars
Aujourd’hui, Jérôme vient accompagné de Jason. La proposition du jour : un acrostiche à partir du verbe "écrire".
Mardi 17 mars
Atelier d’écriture sur les "Premières fois de la vie". Tandis que les élèves dressent la liste des Premières fois, à l’évocation du "premier enfant", l’un d’eux réagit vivement : "Oh non !", le dialogue s’instaure autour de la table entre les collégiens :
— Ne dis pas ça, tu auras des enfants.
— Ben non.
— Ben si, tout le monde a des enfants. Tu ne pourras pas vivre sans.
— Les enfants et moi, ça fait un
— Mais non, on dit "Ça fait deux".
Aurélie m’apporte sa nouvelle, L’incroyable Bella Swan. Je la lis et lui fais quelques remarques. Elle s’installe et travaille son texte.
Au CDI, jolie séance de travail sur En voiture Simone, avec les 6e 4 de Stéphanie Bannier, professeure de français.
Jeudi 26 mars
"Ça fait bizarre d’avoir au collège un écrivain qui est sur Google" me dit Kyliann, élève de 6ème. "On n’a jamais vu ça", ajoute son copain Nolan.
Nicolas, élève de 3ème, m’apporte un livre de reproductions de cartes postales du début du XXesiécle, édité par la Société d’Histoire du Châtelet-en-Brie. "Ma mère pense que ça peut vous intéresser", dit-il.
Séance de travail au CDI avec les élèves de 6e, autour d’En voiture Simone. Sophie Prudham lance un jeu sur la mémoire. Les élèves sont en cercle. Chacun doit répéter une phrase, puis la compléter : "Ce matin, à Leclerc, j’ai acheté un sèche-cheveux, un kinder, une tomate, une brosse à dents..." Corentin bloque sur le premier mot, "sèche-cheveux" et ne parvient pas à le retrouver. "Ce matin à Leclerc, j’ai acheté un..." J’essaie de l’aider : "C’est un objet que je n’utilise pas beaucoup", dis-je en référence clin d’œil à ma calvitie. Corentin semble retrouver tout à coup la mémoire : "Une brosse à dents."
Lundi 30 mars
La phrase du jour est signée de Carole et de Nina, qui sont venues me faire lire un début de texte et à qui j’ai proposé le jeu du dictionnaire ("Ecrire, c’est..." + verbe trouvé au hasard des pages du dictionnaire)
Ecrire, c’est désappointer les idées noires.
Mardi 31 mars
Il y a foule dans mon cabinet de curiosités, une dizaine d’élèves s’est engouffrée dans le sillage de quelques habitués. Jérôme est là, et il est en forme :
E crire c’est haleter les mots
C oupés
R etournés
I nventés
R êvés
E mouvoir les lecteurs
Mardi 7 avril
Travail sur les personnages du roman, avec les élèves de 3e4 de Beatrix Buschendorf, puis mémorable séance de travail autour d’En voiture Simone, avec les élèves de 6ème de Stéphanie Bannier.
"Simone mon amour je vais me coucher ici à même le sol..." : la scène de Jules, lue par des élèves dégourdis et inventifs, un beau moment de partage et de rire. Quel plaisir de voir des élèves s’en donner à cœur joie !
Lundi 13 avril
Séance de recherches autour du roman, dans la salle informatique, avec les élèves de Béatrix Buschendorf et de Céline Moralès.
Je reçois dans mon cabinet de curiosité littéraire quelques élèves de 4ème, en vue de la mise en place d’un atelier d’écriture qui commencera après les vacances de Pâques. Cet atelier sera obligatoire et s’adressera à des élèves aux profils divers. Il s’agit pour moi, lors de ces rencontres, de faire connaissance avec ces élèves, de comprendre leurs centres d’intérêt et de leur donner envie de participer à cet atelier. Il s’agit en quelque sorte de leur tendre la perche. Ce n’est pas simple. Quelques-uns d’entre eux sont rétifs et méfiants, s’enferment dans une attitude de refus. D’autres semblent peu rassurés mais acceptent néanmoins la main tendue. Je demande à l’un d’eux : "Qu’est-ce que tu risques à accepter ?" Il y a un blanc, l’élève sourit et se rend à l’évidence : "rien". Avec le suivant, j’aurai moins de chance, "Ça me soûle", me répond-il. Aurélie, quant à elle, a une exclamation de surprise et de bonheur : "Un atelier d’écriture ? Et vous avez pensé à moi ? Oui !!" Comment faire toucher du doigt à ces collégiens le plaisir des mots ?
Mardi 5 mai
9h. J’arrive dans le couloir du second étage. La porte de la classe de Julien Davesne est ouverte et quelques bribes du cours d’histoire-géographie me parviennent :
— Qu’est-ce qu’il y a autour du Châtelet-en-Brie ? demande le professeur.
— Rien, répond illico un élève.
— Des champs, ajoute un autre.
— Des champs, ça n’est pas rien, conclut le professeur.
Ces bribes de cours, ces paroles d’élèves ou de professeurs que j’entends dans les couloirs aux interclasses ou qui me parviennent à travers les murs de mon cabinet qui jouxte plusieurs salles de cours, sont pour moi des moments rares, pleins de vie et de poésie. Il m’arrive de surprendre entre élèves des conversations parallèles, des remarques cinglantes ou pleines d’humour, des expressions de surprise ou de désarroi. J’y reconnais une sincérité qui prouve que l’énergie est là, à portée de main, même s’il est parfois difficile de la dénicher derrière les visages apparemment impassibles de nombreux élèves. Ne pas montrer sa fragilité est souvent au collège une question de survie...
Entrée tonique de Jérôme dans mon cabinet.
— Vous n’étiez pas là, hier ! Et le panneau, il est où le panneau ? C’est vrai, je n’ai pas encore replacé devant ma porte le panneau sur lequel j’affiche les différentes activités proposées.
Petite visite de Ludivine et Camille. Elles sont déjà venues, avant les vacances. Je leur propose d’assister à l’atelier d’écriture. Elles reviennent effectivement pendant l’heure de l’atelier.
Maé a gagné un de mes livres dédicacé, pour avoir trouvé le titre du site de la résidence : "La boîte à Bonheur." Elle choisit En voiture Simone. De vous, c’est mon livre préféré, dit-elle. Je l’ai lu trois ou quatre fois.
À noter, aussi, cette première séance d’atelier avec les élèves de 4e. Affaire à suivre...
Mercredi 6 mai.
Exceptionnellement, je suis présent le mercredi.
Nouvelle visite de Ludivine et Camille. Elles s’installent, pendant la récréation, écrivent.
— C’était une salle de quoi ici, avant ? demande Camille.
— C’était une salle de rien, répond Ludivine.
Rencontre de la classe de 4e de Céline Morales qui a fait des recherches sur mon roman. Les élèves ont préparé un power point sur Les Folies Bergère.
Lundi 11 mai
Nous attendons Patrice Alexandre avec impatience.
Mon invité du jour a du retard et j’ai hâte de le présenter aux deux classes de troisième qui vont passer la journée avec lui. Patrice Alexandre, plasticien, sculpteur, développe depuis plusieurs années un travail particulièrement pertinent autour de la statuaire de la Grande Guerre. Incollable sur les monuments aux morts français, il s’inspire de certains d’entre eux qu’il décline dans une version contemporaine. J’aime beaucoup ce dialogue qui s’instaure entre l’œuvre de jadis et celle d’aujourd’hui et je suis fan des sculptures de Patrice. En attendant son arrivée, je propose de visiter son site Internet mais le vidéo projecteur de la salle multimédia refuse de fonctionner correctement et la navigation sur le Net est d’une lenteur extrême… Enfin voici Patrice, dont l’arrivée me permet de sortir de ce rôle ingrat de « chauffeur de salle » handicapé par la technique récalcitrante…
Patrice présente brièvement son travail, puis il entre dans le vif du sujet ou disons plutôt qu’il met les mains dans la glaise. Il s’empare d’un fil, coupe une bande de terre qu’il dépose sur son avant-bras (je trouve le geste très beau) puis il façonne un visage, un gisant, un lapin, sous l’œil incrédule et légèrement perplexe des élèves qui passent à leur tour à la pratique en coupant des bandes de terre qu’ils malaxent, transforment, sculptent pendant trois bonnes heures. Le temps passe vite les mains dans la glaise… Les élèves prennent du plaisir, c’est évident. Certains d’entre eux sautent même le temps de la récréation, concentrés dans leur travail. Nous voyons naître des sculptures très variées, des gisants, des corps, des visages... Nous sommes réellement bluffés par certaines de ces sculptures, qui sèchent un temps au soleil, avant de réintégrer les tables de la salle multimédia. Nous retombons l’après-midi dans des problèmes techniques, confrontés à l’impossibilité de lire sur l’ordinateur du collège la clé USB de Patrice et son Powerpoint. Finalement, nous nous rabattons sur le site Internet. En fin de journée, les œuvres des élèves trônent sur les tables et c’est superbe.
Une journée avec Patrice Alexandre : ou l’émouvante découverte de l’œuvre d’un artiste plasticien et sa transmission aux générations à venir…
Mardi 12 mai
Conversation tendue entre Maé et Jérôme, pendant l’atelier d’écriture, au sujet d’une photo sur laquelle on aperçoit plusieurs personnes en état de stress, hurlant leur douleur :
— J’ai de la peine pour ces pauvres.
— Ben quoi... Ils sont pauvres, c’est tout.
— Je voudrais t’y voir, toi, en pauvreté. Tu n’as pas de respect pour les pauvres.
— Oh... Il faut les mettre aux Restos du Coeur.
Lundi 18 mai
Je prépare avec six élèves de 3e4 une lecture de textes de Gus Bofa, qui sera donnée demain au cours du vernissage de l’exposition des oeuvres de l’artiste dans la salle multimédia du collège. Aurore, Lucie, Eliott, Antoine, Paco et Antonin s’investissent avec coeur dans cette lecture. Ces textes, qui nous ont été confiés par madame Grosos, nièce de Gus Bofa, sont d’une force et d’une actualité qui glace le sang. Réquisitoire contre la folie des hommes, ils sont dédiés aux PCDF, les "Pauvres Cons du Front", frères d’infortune de Gus Bofa, poilus qui ont laissé leur vie dans les tranchées ou rescapés qui ont vu revenir la guerre vingt ans après l’armistice. Entendre les élèves lire Souvenez-vous, texte écrit en 1938, est particulièrement émouvant et le lied de Strauss que j’ai choisi pour accompagner l’entrée et la sortie de ces "jeunes soldats" en tenue quasi militaire, renforce le trouble et l’émotion. François, qui m’aide à installer l’exposition des très beaux dessins de Gus Bofa, semble lui aussi sous le charme. À la fin de la répétition, Aurore, Lucie, Eliott, Antoine, Paco et Antonin, sortent les smartphones pour se prendre en photo.
Mardi 19 mai
Vernissage de l’exposition Gus Bofa. Il y a du monde dans la salle multimédia. De nombreux élèves sont venus, ainsi que quelques invités extérieurs. Madame Delattre, Principale, présente Madame Grosos, nièce de l’artiste, qui nous parle un peu de cet oncle "qu’on voyait toujours avec une feuille et un crayon à la main..." La lecture des textes de l’artiste par des élèves de 3e4 est d’une belle intensité. Leur entrée dans la salle, au ralenti, et sur un charriot à roulettes qui devient une sorte de véhicule militaire, transforme ces élèves en soldats fantomatiques, et c’est très beau, très théâtral. L’émotion est palpable dans la salle, partagée par les adolescents et les adultes. Je suis vraiment content de ce travail, de la motivation des lecteurs et de cette rencontre avec l’œuvre de Gus Bofa, que je ne connaissais pas. Bravo à Aurore, Lucie, Eliott, Antoine, Paco et Antonin, qui se sont appropriés avec une belle réussite les mots d’un artiste hors pair. Assurément, un des moments les plus forts de ma résidence.
Mardi 26 mai
Journée chargée aujourd’hui. Nous accueillons les membres de la compagnie Idéal Deux Neuf (Agnès Proust, Félix Pruvost, Thomas Coux) pour les préparatifs de la "Fête de fin de résidence". "Je n’aime pas entendre parler de ça, monsieur Tartar", me dit monsieur Sahnoune, Principal Adjoint. "Je n’ai pas envie de voir cette résidence se terminer." Je laisse Agnès, Félix, Thomas, aux bons soins de Sophie et je rejoins Béatrix Buschendorf et les 3e4 pour un joli travail autour des personnages de mon roman. Les élèves se sont organisés par groupe, et chaque groupe invente une correspondance entre deux personnages. Rosa Bonheur écrit à Adrien Demont, Émilie écrit à Fernand etc. J’enchaîne avec une répétition avec les 6e1, autour du texte inédit de Nathalie Papin Et nous encore d’avantage que nous préparons pour une lecture à la médiathèque du Châtelet-en-Brie, dans le cadre de "Mai Mots" et pour la journée nationale des écritures jeunesse, le lundi 1er juin prochain. Et ça continue : une répétition avec quelques volontaires de 3e pour une lecture du magnifique Strophes pour se souvenir, d’Aragon, que ces élèves liront demain à Melun, dans le cadre de la journée nationale de la résistance. Déjeuner rapide, suivi par les deux ateliers d’écriture, celui ouvert à tous, et celui des 4e. Nous travaillons aujourd’hui à partir des dessins de Gus Bofa... "La fin est proche" pourrait être le titre du court dialogue inventé par Roxane, à partir d’un des dessins de l’exposition. La fin de la journée ? Ouf...
— Veuillez m’excuser, misérable soldat, nous venons vous annoncer que la fin est proche.
— La fin de quoi ?
— De votre séjour à l’hôpital.
Vendredi 29 mai
Lecture, à la médiathèque du Châtelet-en-Brie, dans le cadre de Mai Mots, d’une pièce inédite de Nathalie Papin, Et nous encore d’avantage, par quelques élèves de la classe de 6e1, en présence des familles et de quelques professeurs du collège. Nathalie Papin a imaginé un dialogue entre deux lettres qui se retrouvent sur une page blanche, A et Z...
Une page blanche et "A" qui dégouline d’encre...
Lundi 1er juin
Dans le cadre de la journée nationale des écritures théâtrales jeunesse, j’ai composé une brigade de lecteurs, tous élèves du collège, et nous passons dans les classes pour lire deux courtes pièces : Et nous encore d’avantage, pièce inédite de Nathalie Papin, et Dans le monde, pièce inédite de Claudine Galéa.
Neuf classes ont été visitées, neuf cours interrompus, avec la complicité des professeurs, environ deux-cent vingt-cinq élèves à l’écoute des univers de deux grandes autrices contemporaines...
Et, pour les treize jeunes lecteurs, l’émotion et le plaisir de la lecture en public...
Et nous encore d’avantage, de Nathalie Papin,
Lisa, Alexis, Eva, Mathis, Hugo, Sarah
Mardi 2 juin
Atelier d’écriture. Nous travaillons dans l’exposition Gus Bofa et je demande aux élèves d’écrire à partir des dessins de l’artiste. Devant la photo de Gus Bofa, Lola s’exclame : "Il vous ressemble Gus Bofa, on dirait vous !" Maé n’est pas d’accord : "Ah non, monsieur Tartar est beaucoup plus jeune !" Et là-dessus elle se tourne vers moi, et tout à trac : "En fait, on dirait que vous portez votre jeunesse en vous." "C’est gentil", lui dis-je, sincèrement touché, tout comme je l’avais été le jour où elle m’avait dit dans le cabinet de curiosités littéraires : "Vous souriez tout le temps, et ça j’aime bien !" Sacrée Maé...
Lundi 8 juin
Travail autour d’En voiture Simone avec les 6e3 de Sarah Banner, autour de Madame Placard à l’hôpital avec les 6e5 de Beatrix Buschendorf, puis autour de Mademoiselle J’affabule et les chasseurs de rêves avec les 6e1 d’Hélène Canini. Il faut varier les plaisirs...
Mardi 9 juin
La résidence touche à sa fin. Nous préparons la fête de clôture du vendredi 19 juin, et ce n’est pas une mince affaire. Au cours de cette soirée, qui sera présentée par la Compagnie Idéal Deux Neuf, avec la participation des compagnies 3 mètres 33 et Jolie Môme, les élèves liront des textes écrits en atelier, ou joueront quelques extraits de pièces. Il faut donc répéter. Et jongler avec les emplois du temps...
Le soir, les élèves de 3e3, classe à PAC, jouent à la Bergerie, la salle des fêtes du Châtelet-en-Brie, leur spectacle répété tout au long de l’année. Joli moment.
Mardi 16 juin
Une lettre dans ma boîte aux lettres.
"Monsieur Tartar,
Quand vous serez parti, ça me fera bizarre. Vous m’avez appris tant de choses, j’en ai découvert tant d’autres. C’est tellement rare d’avoir un auteur dans son collège. Je vous souhaite une bonne continuation et que vous arriviez à finir votre roman. Je finirai le mien en commençant par corriger les fautes et je continuerai en pensant à vous et à tout ce que vous m’avez appris pour écrire." A.
Vendredi 19 juin, fête de fin de résidence.
Nous travaillons toute la matinée dans la salle multimédia. Agnès Proust, Félix Pruvost, Thomas Coux, Talou Calvet, Axel Bry, Anne Leblanc, Pascale Maillet, sept comédiens, chanteurs, sept complices pour m’accompagner et encadrer cette soirée qui se prépare et au cours de laquelle une trentaine d’élèves va lire des textes écrits en atelier et jouer des extraits de scènes. Les comédiens arrivent vers 8h30, poussant devant eux un charriot surchargé de décors et d’accessoires : de vrais saltimbanques !
Le travail s’organise, le lien se fait entre les collégiens et les artistes professionnels et la répétition se déroule dans une ambiance sereine et concentrée. "Je me souviens", Le chien Daisy, En voiture Simone etc. une vingtaine de "numéros" pour une soirée sur le mode du "cabaret". Vivement ce soir !