Noémie Fargier | Un texte pour vous, un texte sur nous
De février à mars 2018, deux classes de seconde du lycée Blanqui (Saint-Ouen) participent à des ateliers pluridisciplinaires leur permettant d’explorer l’imaginaire du jardin en territoire urbain. À la troisième séance, les élèves commencent la mise en voix d’un texte écrit spécialement pour eux : "Jardin de mots".
15 et 16 mars – Lycée Blanqui
Aujourd’hui, nous passons aux choses sérieuses. J’ai transmis aux enseignantes le texte que j’ai écrit à partir des deux premières séances d’ateliers.
J’avais imaginé composer une sorte de ready made réorganisant les message qu’ils avaient écrits lors de l’étape de travail d’Urbain Sensible et de la séance de jardinage. Je préfère finalement m’inspirer de l’expérience dans son intégralité, c’est-à-dire non seulement de ce que j’ai pu lire, mais aussi de ce que j’ai pu entendre ou ressentir lors des échanges avec les élèves au cours de ces deux ateliers. Je compose donc un texte qui prend la parole à la place des élèves, exprime la perception de leur environnement, leurs souhaits pour l’avenir et leur réaction à l’expérience. Il s’agit d’une voix à la première personne, clamant tantôt « je », tantôt « nous » ou « on », par laquelle s’exprime une subjectivité collective, et une adresse à l’autre. La parole y est scandée, presque musicale, et la forme du texte peut s’apparenter à un long poème en vers libre.
Lorsque j’arrive le jeudi matin, je suis un peu nerveuse, m’interrogeant sur la réception du texte par les élèves, et leurs possibles résistances. Pourtant j’imagine déjà un chœur d’élèves proclamant dans une synchronie époustouflante les mots que j’ai écrits. Des dictions rythmées, affirmées. Des corps fiers, droits. Du souffle et de l’énergie.
Le processus est un peu plus sinueux. Lorsque j’arrive dans la classe, je trouve la typographie du texte complètement transformée par l’ordinateur du lycée. Des lettres biscornues recomposent les mots que j’ai écrits, les rendant quasiment illisible. Nous tentons un premier tour de lecture et je redécouvre la voix des élèves, plus timide, plus réticente à prendre la parole, et des corps supportant difficilement l’exercice de rester debout plus de dix minutes d’affilées. Je sollicite la contribution de quelques uns, pour des passages écrits en langue étrangère, notamment pour le portugais et l’arabe que je ne parle pas. D’abord pudiques lorsqu’il s’agit de parler la langue de leurs parents ou de leurs grands-parents, les élèves concernés se prêtent au jeu. Nous tentons ensuite une lecture tous ensemble, et face à la difficulté de l’exercice, nous décidons de répartir le texte entre quatre groupes. Nous avons peu de temps pour réaliser ce découpage, il faut agir vite. Si seulement j’avais quatre morceaux distincts prédécoupés ! Mais j’avais imaginé les choses autrement. Un chœur à l’unisson. Des mouvements parfaitement coordonnés. Lorsque la séance se termine, le travail est à peine commencé. Demain, je serai mieux préparée.
De retour chez moi, je redécouvre les vertus du découpage en chapitres, scènes, ou versets. Je décide d’attribuer un numéro à chaque paragraphe et prévois leur répartition entre les quatre groupes. L’atelier du lendemain se déroule par conséquent de façon beaucoup plus fluide et maîtrisée. Lorsque j’arrive, les élèves ont déjà lu le texte et en ont discuté avec leur enseignante. Ils me posent des questions, et nous échangeons un moment sur la spécificité de cette langue, son adresse, ce qu’elle exprime. Elle semble leur parler.
Puis nous formons les groupes, et très rapidement chacun s’approprie un passage. À cinq ou à six, les timidités s’estompent et la voix trouve plus facilement sa place. Les élèves se prêtent au jeu. Ils tentent, lorsqu’ils ont trouvé une unité dans la diction, de réaliser quelques variations, isolant certaines phrases du texte, les chargeant d’intention, les incarnant presque. Ils semblent prendre du plaisir à cet exercice, et sont fiers, alors que l’enseignante et moi circulons d’un groupe à un autre, de nous faire entendre leurs voix.
Quelques images prises lors de la découverte du texte "Jardin de mots" par les élèves. Photographies Daniel Maunoury. Tous droits réservés.