Novembre : Emotions
Une chronique mensuelle de Frédéric Lefebvre en hommage à Pierre Pachet.
De nombreux textes sont disponibles sur le site consacré à Pachet, dont certains de ceux cités dans cette chronique.
Novembre 1989 : Pachet devant sa télévision. Il regarde les informations, les reportages. Sur ce qu’il se passe à l’Est, en RDA, à Berlin.
Depuis quelques mois, l’effervescence : les Allemands de d’Est qui profitent par milliers de la possibilité nouvelle de quitter le pays, d’émigrer, en passant par la Hongrie.
Et puis des manifestations, à Leipzig en particulier. Les manifestants de plus en plus nombreux. À Berlin-Est, début novembre, une manifestation gigantesque.
Un membre de la direction du Parti communiste annonce devant les journalistes étrangers l’autorisation donnée aux Allemands de l’Est de voyager et d’émigrer. Quand ? « Immédiatement, sans délai. »
C’est le 9 novembre.
L’information circule, une foule se masse au poste-frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Un garde-frontière donne l’ordre, peu avant minuit.
Les manifestants à Leipzig, à Berlin, criaient : « Nous sommes le peuple ! »
Pachet, devant sa télévision, ému – et dans la suite des événements, dans les semaines à venir : « Devant le mur de Berlin devenu inefficace, puis attaqué par les pioches, devant Dubcek ou Havel au balcon face à la foule, quand on apprend que Jivkov cède, quand on apprendra la chute de Ceausescu (j’écrivais ceci le 20 décembre), on pleure de joie [1]. »
Ce qu’ont fait les Allemands de l’Est. Pachet l’analyse comme une sorte de renversement de l’ordre habituel des choses. Il sait, il a voyagé en Pologne et à Moscou au début des années 1980 ; il a fait l’expérience – même brève – d’un régime totalitaire ; il a surtout rencontré les victimes, les proches de dissidents emprisonnés en URSS ; et en Pologne, il a observé les difficultés à s’émanciper – collectivement, individuellement – de cette « société secrète d’usurpateurs » qu’est le gouvernement, l’Etat communiste [2].
Le renversement tient à ceci : la conséquence est devenue cause ; et l’intime, le privé, est devenu politique, public. Les Allemands de l’Est ont renversé la logique :
Souvent, quand la vie privée des gens apparaît dans un contexte politique, c’est à titre de conséquence, pour faire voir les répercussions, heureuses ou désastreuses, d’une décision, d’un conflit, d’une révolution, d’une émancipation. Cette fois-ci, en agissant pour eux-mêmes, en famille (parents et enfants), en faisant leurs valises et en les emportant, des milliers d’Allemands ont agi politiquement. En affirmant, face à eux-mêmes, ce qu’ils voulaient pour leur vie privée, en se risquant, ils ont bouleversé les données du problème. Autrement dit : par ce départ, que beaucoup, autour d’eux et loin d’eux, jugeaient comme une désertion, ils ont agi sur le pays qu’ils quittaient [3].
C’est aussi une question d’« oppression » et de « sentiments » : de sentiments opprimés – non autorisés, impossibles – qui deviennent possibles, qui naissent ou apparaissent – et dans une certaine « impatience », une « vitesse » nécessaire (« Il faut que ces événements aillent vite […] : c’est maintenant que tout doit devenir clair »). Des sentiments qui semblent s’imposer aux individus eux-mêmes – à la place des « interdits » qui régnaient jusque-là :
Sentant vaciller les interdits imposés par le régime, puis les institutions, puis le régime lui-même, les citoyens s’enhardissaient, devenaient plus exigeants, plus sincères : de plus en plus sincères à mesure qu’ils découvraient en eux-mêmes des sentiments nouveaux, inédits, qui réclamaient d’être exprimés, d’être entendus, d’être respectés – d’être obéis. Liberté d’émigrer, de revenir, liberté de voyager… liberté de voter. Devenues possibles, ces exigences accédaient à l’existence [4].
L’émigration est une chose ; les manifestations (et la révolution) en sont une autre.
L’émigration est affaire individuelle ; c’est à son sujet que les journalistes emploient alors la « belle expression "voter avec ses pieds" », dont Pachet explique l’origine latine (au sénat de Rome, pour se ranger à l’avis exprimé par un sénateur, on se déplaçait jusqu’à lui). C’est une extension de sens : il ne s’agit pas d’un vote (il n’y a pas d’élections libres en RDA). Ce qui s’exprime, c’est un « désir » individuel (à l’échelle d’une famille). Et pour Pachet, peu importe ce désir, peu importe qu’il soit plutôt de type politique (« mener une vie libre ») ou de type économique (« améliorer sa situation personnelle »). Ou plus exactement, Pachet ne pense pas qu’il soit facile de les distinguer : « les raisons pour lesquelles quelqu’un émigre ne sont jamais tout à fait claires ou pures, ou le sont rarement ». Cette « intrication » du politique et de l’économique lui semble même nécessaire : « C’est par là que la politique s’enracine [5]. »
Les manifestations, les phénomènes de foule, peuvent l’inquiéter, le faire réagir. Dans un autre contexte, celui d’une démocratie (la France), et sur une question précise (l’abolition de la peine de mort, débattue au tournant des années 1970 et 1980), Pachet a réfléchi à ce qui lui semble être le principe (« libre confrontation des opinions individuelles », « élections au suffrage universel ») et son dévoiement (quand un homme politique allègue la supposée « opinion publique », la brandit comme une menace, celle d’une « imprécise vindicte "populaire" »). Pachet s’inquiète de manifestations, en 1983, contre Robert Badinter, alors ministre de la Justice : « 2500 personnes, dont des policiers en uniforme et armés », crient devant le ministère : « À Moscou ! », « Badinter démission ! » ; certains manifestants poussent plus loin, s’approchent de l’Elysée : une « manifestation typiquement boulangiste » (même si Pachet constate que des manifestations de policiers, dans un passé proche, n’ont pas entraîné « de révolution ni de putsch »). Ce qui l’inquiète, c’est la « réserve de force ou de violence » que ces événements font voir, rendent sensible ; comme une force qui « trépigne d’impatience de balayer les obstacles proprement politiques ou culturels qui l’empêtrent » ; qui a à voir avec « la peur, l’indignation et la haine ». Or, dit Pachet, « la haine, quand elle cherche à se coaguler ainsi, vise plus qu’un homme ou qu’une politique, […] elle aspire délibérément à se libérer en détruisant toute démocratie ». Et plus tard, revenant sur cette question de la « colère collective » (une notion qu’il veut mettre en question), il prend un exemple volontairement « anodin » (mais qui correspond bien à la situation qu’il veut étudier : un groupe qui subit « une injustice caractérisée ») : l’exemple d’un concert où la vedette tarde à se produire, avant de faire savoir qu’elle ne viendra pas. De fait, un comportement collectif existe, qui peut être inquiétant : « La colère de chacun se renforce de celle de ses voisins, comme dans d’autres circonstances la peur de l’un est déclenchée par le spectacle de la peur des autres, par contagion. Le groupe favorise une passivité face aux émotions, chacun s’y sent acéphale, en attendant qu’éventuellement le groupe suscite et adopte un chef, ou se disperse [6]. »
Une autre expérience racontée, qui se situe pendant le voyage en Pologne. Pachet est à Wroclaw, il assiste à un spectacle de théâtre d’une troupe française. Soudain, un acteur s’avance et fait une annonce en français, en prononçant mal le nom : « On vient d’apprendre que le prix Nobel de littérature a été décerné à Czeslaw Milosz. » Le public n’a pas compris (à cause de la prononciation). Rumeur dans la salle. Alors un homme sort du public, s’approche de la scène et fait la même annonce en polonais : « L’émotion de la salle explose en applaudissements et cris ; je suis au bord des larmes, emporté par un flux imprévisible de pensées et de sentiments [7]. »
Pachet analyse ce moment (dans un texte écrit plus tard, quand le général Jaruzelski a proclamé « l’état de guerre » et mis fin aux espoirs observés par Pachet dans son voyage). Milosz est exilé, il a quitté la Pologne au début des années 1950. C’est un dissident, mais les journaux polonais, le lendemain de l’annonce de son prix, ne parlent que du « poète lyrique » et ignorent le « critique du communisme ». Malgré la création du syndicat « Solidarité », malgré les accords de Gdansk, c’est encore « le monde que Milosz décrivait en 1953 » (dans La Pensée captive). Ces accords, ce qui se passe en Pologne en 1980, « ce n’est pas une victoire, rien qu’un signe de vie, l’annonce de nouvelles luttes et de nouvelles souffrances ». Alors l’émotion du public dans la salle de théâtre est complexe, mêlée – comme celle de Pachet :
Une victoire de l’équipe nationale de football, l’élection d’un pape polonais auraient sans doute déclenché une ovation plus enthousiaste ; la nouvelle d’une récompense de portée mondiale accordée à un poète, écrivain et penseur polonais de la qualité de Milosz me remue, et, je crois, remue le public présent plus profondément. La joie est mêlée de douleur, car ce n’est pas une victoire ; c’est plutôt la mise au premier plan des souffrances propres à la pensée et à la création, lesquelles ne résolvent rien, mais jettent une lumière particulière sur ce qui est, beauté mêlée de laideur, grâce s’arrachant à la disgrâce sans se détacher définitivement d’elle [8].
Et de même, en novembre 1989, à Paris devant la télévision ou dans les rues de Berlin, de Prague, etc., la joie est mêlée de douleur : « C’est que ces joies, jaillies du soulagement, n’oublient pas l’attente passée, douleurs, humiliations, désespoirs, rage, honte. C’est que ces sentiments, pendant longtemps à la fois éprouvés et réprimés (parce qu’ils faisaient trop mal), affluent, confluent dans la joie présente, dans le visage d’à présent, qui retrouve toute l’étendue de sa libre expressivité, dans un espace et un air favorables, amis [9]. »
Là-bas, l’espace public change de valeur, se met à exister – à ce moment précis, qui est aussi celui « où "le peuple" existe, où l’on ne peut se passer de le nommer » : comme « une entité insurgée et libre », « la source même de toute parole légitime » [10].
Et Pachet, qui vient de publier Autobiographie de mon père, sur la formation de son père médecin puis sur sa maladie (neurologique), qui vient de lire l’autobiographie de François Jacob, médecin et biologiste, qui a lu pour La Force de dormir les travaux des « neurobiologistes » sur le sommeil, donne une première interprétation physiologique de cette joie mêlée de douleur, de ces pleurs de joie :
Sans doute que l’extrême chagrin et la joie extrême se touchent. On le dit, et on peut le comprendre en termes énergétiques : dans les deux cas, les pleurs signalent le relâchement d’une tension extrême. Cependant, il y a bien spécialisation des pleurs et du rire : il est rare qu’on rie de chagrin. Et les pleurs dont nous parlons n’ont rien de nerveux, ils n’apportent pas une détente ; ils font sonner, au sein même de l’allégresse, la note profonde du chagrin [11].
2.
À Moscou sous Brejnev, en 1982.
Dès l’aéroport, l’officier des gardes-frontières, avec son regard qui scrute : « un homme avec qui aucun contact humain ne pouvait être établi » [12].
Puis dans la rue, dans le métro : « chacun semble soucieux avant tout de ne pas communiquer, fût-ce par un geste, un regard ». Pour cette raison, une foule inquiétante (« Chacun se retient, se réfrène, à un degré inconnu dans les autres foules ») [13].
Et les contrôles, la surveillance. Et la bureaucratie en général : ce qui compte, c’est « ce qu’elle freine et casse, en vous, dans votre impulsivité, votre liberté d’allure » [14].
Ou bien, plus tard, Pachet cite un passage de Zbigniew Herbert, poète et écrivain polonais, qui évoque la vie sous le régime communiste : « Ce qui était le plus éreintant, ici, et dont on a peu parlé, car c’est difficile à décrire, c’était la grisaille, la monotonie, l’absence d’images, de joie, de moments ordinaires, humains… que tout un chacun, qu’il soit cordonnier ou poète, puisse s’asseoir dans un café et regarder les passants, des passants contents de vivre, sans mine haineuse ni soupçonneuse. Que les gens puissent vivre normalement, d’autant que les malheurs arrivent de toute façon [15]. »
Par contraste, Pachet à Paris, dans le métro. Il observe (et s’observe lui-même).
Les visages et leurs traits, leur mobilité :
les visages […], le mien en particulier (que je sens de l’intérieur, si je prête attention aux mouvements de ses muscles et aux émotions minuscules que j’éprouve) ne cessent d’être animés de minuscules mouvements expressifs : comme si chacun de nous ressentait le besoin de manifester ce qu’il éprouve pour le faire connaître à un éventuel partenaire, ou à lui-même : l’impatience, le contentement, une brève contrariété, le doute, un effort difficile de concentration, le découragement, la joie de trouver ce qu’on cherchait en soi ou en dehors de soi. Froncements des sourcils, pression d’une lèvre sur l’autre ou inclinaison de la ligne qui les sépare, clignements, grimaces de douleur ou d’agacement, les dents se serrent, un doigt vient caresser le contour de la lèvre ou des sourcils, cela ne s’interrompt presque pas, avec ce que nous percevons inévitablement en même temps : une émotion liée à chacun de ces gestes, qu’elle soit authentiquement éprouvée ou mimée […]. Sur l’écran du visage passent comme une procession de petits nuages, comme une galerie de possibles ; et jusqu’à l’ennui, si volontiers désireux de se faire voir […]. Les visages regardés dans le métro, de personnes livrées à elles-mêmes, sont la scène de cette comédie que seul le sommeil peut interrompre, ou la peur [16].
Ou même seulement en observant les yeux. Pachet regarde une « grande jeune fille blonde » assise en face de lui, « les cheveux presque violemment tirés sur le haut du crâne dégageant son visage et son front ». Elle est « affairée à elle-même ». Elle ouvre son sac, le referme. « Ses yeux bleus sont clairs, presque lumineux. Ils illuminent son visage […]. Par moments c’est comme si – à partir de l’iris – ils constituaient soixante pour cent de ce qu’elle montre d’elle-même [17]. »
Par contraste encore : à côté de cette jeune fille blonde est assise une « femme asiatique » [18].
Pachet habite rue Chapon, dans le Marais, où se sont installés des maroquiniers chinois (il a appris, avec le temps, qu’ils parlent « le dialecte du Wenzhou »). Il observe depuis longtemps l’« attirante singularité » de leur visage. Ce ne sont pas les « visages d’Extrême-Orient » qui diffèrent des « visages des Européens », dit-il ; ce sont « surtout ceux des Chinois ». Il parle du « pli épicanthique », de la forme de leurs paupières – les « yeux bridés », qui seraient « une caractéristique des peuples dont les ancêtres viennent de Sibérie » [19] .
La femme asiatique dans le métro montre un autre visage que la jeune fille blonde. Pachet parvient à peine à voir les prunelles de ses yeux :
En vertu d’une conformation anatomique et sans doute aussi d’une manière de se présenter, de se comporter, les paupières se baissent volontiers sur les yeux. Ce ne sont pas des clignements, mais un constant retour sur soi. Son visage diffuse autour d’elle une sérénité incongrue dans ce wagon parisien. Elle y est pour quelque chose [20].
Méditation. Pachet a déjà évoqué, à propos de la notion d’impatience – et de son contraire, la patience, le calme –, le contraste possible entre deux civilisations. Il y a « le type de l’impatient, qui appartient à notre folklore », avec « son coude à angle droit, ses sourcils froncés », et aussi ses « trépidations », les « mouvements pendulaires » de parties de son corps « transformées en balanciers », sa « recherche d’un rythme ostentatoire » (pour dire avec le corps : « je n’en peux plus, mais je me domine »). Et il y a ce que nous pensons être le comportement de « l’homme des civilisations agricoles (?), ancestrales (?), non asservies à la mesure du temps en tout cas » : « les doigts font doucement rouler les boules du chapelet », la conscience « s’enroule autour de cette activité hypnotique qui détache de toute activité ». On y apprend « à attendre en cessant d’attendre ». Ces civilisations « consacrent beaucoup d’énergie à rendre l’impatience invisible, à enseigner à leurs enfants, à leurs moines, à l’ensemble des populations assises dans la poussière, sur les trottoirs, sur le sol des gares, l’art de la masquer » [21].
Méditation importante : « Le corps doit rester calme. Il est un enjeu. » Car si, « attendant, on ne manifeste pas d’impatience, on n’en éprouve pas non plus ». Tandis qu’au contraire – ce qui vaut pour l’Occident –, si « on s’autorise à manifester son impatience, son agacement, son irritabilité, alors on se torture » (« torture modérée », précise Pachet) [22].
Les visages chinois le fascinent, pour cette « sorte de calme qui les recouvre, sans les figer, dès qu’ils cessent d’être animés par une émotion ». Bien sûr, ils éprouvent des émotions – ils ont « des accès de véhémence, de douleur ou de colère », ils crient, ils sont « soucieux ou attentifs, gais (souvent) ou maussades », et « tout cela met leurs traits en mouvement, mais brièvement » : « Après le moment d’émotion, ils retrouvent la sérénité, pour moi étrange, dans laquelle ils semblent se reposer, et qui les rend si beaux […] [23]. »
Pachet s’intéresse à la « doctrine » possible, ou à « un ensemble de doctrines qui se sont rapprochées les unes des autres selon un mode de coexistence propre à cette culture ». Il lit un livre de Romain Graziani (Le Corps dans le taoïsme ancien), qui traite du taoïsme et du confucianisme. Dans le confucianisme, c’est la codification des postures, la maîtrise des mouvements du corps, même les plus spontanés (mouvements des yeux, du visage, des mains, etc.). Dans le taoïsme, c’est le principe de la rétention de la force (le pouvoir s’use s’il se montre). Et Pachet cite un passage du Tchouang-tseu, trouvé chez Graziani, sur le dressage d’un coq de combat : « Ça y est, il y est presque ! Le voilà devenu indifférent aux cris des autres coqs. À le voir ainsi, on dirait un coq en bois. Sa puissance est totale, les autres coqs n’osent lui faire face, et dès qu’ils l’aperçoivent ils déguerpissent [24]. »
Mais Pachet observe aussi une évolution – peut-être pas moins énigmatique : « En fréquentant […] des Chinois qui vivent en Occident et se sont adaptés à nos mœurs, il me semble voir comment ils ont accentué la mobilité de leurs visages, les rendant plus expressifs […], réagissant plus promptement aux circonstances des échanges, libérant ou livrant des mouvements auparavant contenus [25]. »
3.
« La liste des émotions n’est pas close », dit Pachet [26].
Il y a eu l’invention de la vitesse. L’invention du chemin de fer, de l’automobile, de l’avion, du train à grande vitesse.
« Des fenêtres du TGV on voit des choses que jamais dans l’Histoire, jamais avant l’invention du train, de ce train si rapide, on n’avait vues [27]. »
« Les choses sont […] miniaturisées pour et par notre regard : vaches peintes posées par des doigts géants sur un vert tapis, immobilisées par la vitesse du train avec lequel nous faisons corps [28]. »
Spectacle et émotion à la fois inédits et intemporels. Peut-être déjà imaginés, sinon déjà vus. Pachet pense à la Bible : « Vu du train, le mouvement du paysage est comme celui qu’imaginaient les versets du psaume 114, "les montagnes bondissent comme des béliers, et les collines comme des cabris". Ce qui était en bas monte régulièrement ou d’un seul coup, après avoir croisé le haut qui s’affaissait, vient prendre un moment sa place, en fonction de la variation du niveau de la voie par rapport aux terrains qui l’entourent. D’où le merveilleux ballet des fils télégraphiques [29]. »
Il y a l’invention du music-hall. On l’attribue à Charles Morton, en 1848, à Londres (Pachet lit l’Histoire du music-hall de Jacques Feschotte). Un « divertissement destiné aux masses modernes, celles des grandes cités industrielles ». Marqué par un « goût du sensationnel », une « certaine miniaturisation » : « Au music-hall, on peut tout montrer, pourvu que ce soit drôle, surprenant, exceptionnel – mais d’un exceptionnel qui en un sens ne fait que porter au paroxysme des possibilités présentes en chacun. » À la différence du cirque, qui montre volontiers des « êtres phénoménaux », des « merveilles » ou des « aberrations », proposés « à l’admiration ou à l’horreur des foules », au music-hall « c’est l’ingéniosité humaine qui se montre » (Pachet cite la liste des « attractions » proposées, établie par l’historien). En d’autres termes : on y montre « ce qu’il y a de spectaculaire dans l’esprit industrieux des Temps modernes quand il s’applique à l’être humain lui-même » (non pas les prouesses de construction, par exemple, ou les objets techniques, mais « des calculateurs mentaux, des imitateurs, des hypnotiseurs, des ventriloques, qui exacerbent le petit talent de tous »). Le music-hall est fécond : « il a aidé à la naissance du jazz, du cinéma, des "variétés" » ; « il a favorisé l’épanouissement d’un monde dans lequel tout peut donner lieu à spectacle » – un monde où il dépend de l’ingéniosité de chacun de « faire reculer les "limites du possible" sur le terrain ouvert à quiconque possède un corps : celui des fonctions naturelles » [30].
Il y a l’invention du téléphone. Pour Pachet, peu importe « que cette invention remonte à Graham Bell en 1876, ou à un autre » (il y a eu des précurseurs ; il y a une polémique autour du dépôt d’un brevet, le même jour, par deux inventeurs : Bell et Gray) [31].
Pachet rapporte des faits, des légendes : « aux débuts du téléphone, un homme de lettres fier de sa qualité […] aurait justifié son refus de faire installer le téléphone chez lui en ces termes : "Comment ! On vous sonne et vous répondez !" [32] »
Comment la littérature s’en empare : Villiers de L’Isle-Adam, « ami et admirateur de Baudelaire », « intéressé et attiré par les innovations », fait de Thomas Edison un personnage de roman (L’Ève future), en prenant des libertés avec le personnage réel (il le présente comme « l’inventeur du téléphone, du phonographe, du microphone, et de la lampe électrique », ce qu’il n’est pas – malgré ses « plus de mille brevets » déposés, son « incroyable obstination », dit Pachet, lui aussi fasciné par Edison, se documentant sur lui, lisant ses carnets, une biographie, etc.) [33].
Pachet et le téléphone – fixe, mais aussi déjà les premiers portables. Dans L’Œuvre des jours, il lui consacre un chapitre (« En téléphonant »). Comme un appendice à un essai sur les émotions (qui le précède dans le livre : c’est le chapitre intitulé « Emotions, pour connaître »).
Le téléphone sonne. Ou plutôt : il va sonner. Cette sonnerie « déclenchera en moi un battement de cœur, une secousse nerveuse et chimique : une émotion ». Et si le téléphone ne sonne pas, dit Pachet, il faudra appeler un ami : « Son émotion suppléera la mienne et m’apportera la même satisfaction frustrante que s’il m’avait appelé. » Pachet a peur du « tout à coup », et donc de la sonnerie du téléphone. Mais c’est « l’équivalent d’une drogue ». Le « coup » de téléphone à un ami (Pachet insiste sur le mot « coup ») est « impulsif », une question d’« impatience » : « Même pour dire que je m’ennuie, que je ne pense ni ne fais rien, […] j’ai besoin d’immédiateté ; je veux profiter de ce merveilleux moyen, pour communiquer l’émotion telle quelle, la répercuter, voire l’amplifier. […] "S. vient de m’appeler, elle avait l’air inquiète, elle avait une toute petite voix. Je me demande ce qui se passe…" ; "Marc est enthousiaste, il trouve que c’est une très bonne idée, tu devrais l’appeler…". [34] »
Analyse : « Derrière la sollicitude du coup de fil on entend une peur féroce : la peur d’être seul avec soi [35]. »
La réflexion sur le téléphone introduit à une sorte de bilan, à la définition d’un équilibre comptable fragile, celui de l’individu. Où il est question de « déficit » et d’« énergie » (le mot « déficit » marque les conceptions psychologiques, par exemple de la dépression, dans la lignée de Paul Janet – contre les conceptions de la psychanalyse, qui théorisent un « conflit » intime ; Pachet invoquera Janet plus tard, dans un article où il se dira être, « depuis toujours », une sorte de « psychologue amateur »). Explication :
J’ai un déficit d’être. Pour « être », pour être moi, pour porter ce poids, il me faut une double contribution, ou plutôt deux contributions qui s’équilibrent : une qui vient du dedans, et qui est mon aptitude à porter ce rôle qui m’est échu, une aptitude faite de talent, d’énergie vitale, d’invention, de patience, d’agressivité ; et une qui vient du dehors, et qui est constituée par la reconnaissance que je reçois de mes semblables, ou d’institutions, ou du hasard, une contribution qui vient certifier ma valeur, et tout simplement attester que j’existe. Ces deux contributions demandent à être constamment alimentées, renouvelées. Quel que soit mon capital de départ […], mon compte doit être réalimenté : s’il ne l’est pas, non seulement je ne peux vivre sur mon capital de départ, mais celui-ci m’est progressivement, ou plus souvent brutalement, retiré [36].
Il y a aussi l’invention de la radio (toujours à la fin du XIXe siècle ; avec également une polémique sur les précurseurs et les inventeurs).
Souvenir du père de Pachet écoutant la radio – les informations. Il est « celui qui lit le journal, le visage attentif et soucieux, qui écoute la radio et demande qu’on l’écoute derrière lui en silence » [37].
Souvenir de la mère de Pachet écoutant la radio – le concert du dimanche après-midi. Elle « s’asseyait au salon à côté du poste de radio, et écoutait "le concert", quel qu’il fût, quels qu’en fussent le programme et les exécutants » (en général, de la musique symphonique). Pachet ajoute : « Ma mère […] ne me donnait pas vraiment l’impression d’écouter la musique ; elle se reposait, profitait d’un moment d’inoccupation dont ce concert était le prétexte [38]. »
Pachet en voiture. L’autoradio (autre invention, qui accompagne, enrichit ce « véhicule poétique » qu’est déjà en soi la voiture). Une expérience propre à l’individu moderne : « une nuit d’insomnie ou d’angoisse, […] partir incontinent au volant de sa voiture pour parcourir une autoroute quasi déserte mais bien éclairée, en écoutant à la fois distraitement et avec une attention hallucinée les chansons un peu mièvres mais astucieusement orchestrées qui sortent du poste de radio [39] ».
Plus précisément – et à deux. Pachet réfléchit sur ces mêmes chansons « populaires », d’abord la « variété » (Trenet, Piaf, Bécaud, Brassens, etc.), puis des types de chansons découverts ou mieux connus aux Etats-Unis au milieu des années 1960 : le blues, le gospel, Bob Dylan, le rock, tous les « songs » – « Chansons (songs) : mise en scène raffinée et puissante dont le résultat est que les textes (lyrics, paroles) peuvent être entendus avec une résonance exceptionnelle. Peuvent résonner plutôt qu’être compris […]. » Quelque chose dont il s’est d’abord tenu à une certaine distance, dit-il ; qu’à l’adolescence il trouvait « impudique » (et la musique en général). À propos de Bécaud, ou d’Aznavour (qu’il cite : « Viens pleurer / Au creux de mon épaule »), il se souvient : « Les chansons populaires, […] cela ne me gênait pas de m’y reconnaître, d’y associer mes émotions et de les sentir ainsi exprimées. Je ne serais certes pas allé jusqu’à les chanter publiquement, mais je les accompagnais en sourdine ou en pensée. » Et puisqu’il s’est ensuite ouvert à la musique, et même à une « écoute collective », il réfléchit sur ces chansons écoutées en voiture, à deux, lorsque la situation – la relation – est incertaine. Vous êtes, imagine-t-il, dans une situation « hésitante, d’attente, avec une autre personne », dans une voiture « roulant sur l’autoroute ». Puis « un song émane de la radio, une saltimbanque noire, sans prévenir, étale votre destin et vous y contraint, mythologiquement, par sa parole de déesse sans corps au corps éternel, absent et immortel ». Pachet compare cette voix avec d’autres, celles, « déjà nombreuses, depuis longtemps et déjà pour nos parents, […] qui nous donnaient des ordres depuis des haut-parleurs » (celles qui sont « le commandement et l’autorité »). Elles ne sont pas de même nature :
La voix qui sort du poste de radio, elle, ne donne pas d’ordres, elle n’est pas faite pour cela […]. Non, la voix de la radio quand elle chante, plus on comprend le sens des paroles, de ce qui est dit, […] plus cette voix, sortant quasiment de votre propre gorge et de votre hégémonique, dit simplement ce que vous pensez et que vous découvrez en même temps que la personne à qui vous l’adressez pour qu’elle recueille votre destin.
Comme si vous alliez acheter des fleurs pour les offrir ; mais ce n’est que dans le geste des bras qui les tendent à la personne choisie, avec le sourire convenu et les yeux qui guettent la réponse, l’hésitation prête à se muer en modeste remerciement pour le remerciement, ce n’est qu’à ce moment-là que vous découvrez en même temps que le destinataire la vraie portée de l’offrande [40].
Et puis il y a la télévision. Pour « les Américains dès les années 1940 », dit Pachet (en France, dans les années 1950) [41].
Toute une histoire. Son père méfiant – ou « pour des raisons d’économie » –, qui refuse, quand les enfants demandent la télévision : « Non, ce n’est pas au point [42]. »
Il faut aller, dit Pachet, chez les Enzel, des amis de la famille – mais « des amis plus jeunes que mes parents et plus accueillants aux nouveautés » –, pour voir une émission de télévision pour la première fois (mieux que les images aperçues tant bien que mal derrière une « vitre pleine de reflets », dans les vitrines des « magasins d’électroménager ») [43].
Une émotion vraiment nouvelle.
Pachet se souvient de l’anecdote, et des questions graves, morales.
L’anecdote : c’est une émission de variétés, cette première fois chez les Enzel, un spectacle « banal, maladroit ». Le père de Pachet : « Ce n’est que ça ? [44] »
Les questions : « une incompréhensible distance venait trouver place en nous, déplacer des cloisons, changer notre corps » ; ces nouveaux médias étaient des « organes nouveaux », des « adjonctions », ils « nous permettaient de recevoir des impulsions dérangeantes » ; ils « obligeaient nos cerveaux à construire la représentation de ces lieux lointains, hors d’atteinte, où des chanteurs, des animateurs, des techniciens agençaient ce spectacle projeté dans l’espace, et destiné adéquatement à chacun » [45].
Et puis la diffusion des épreuves sportives, des « grands matches ». Et puis les « choses réelles » : « le visage d’une personne qui parle, cherche ses mots, est en proie à l’émotion de la pensée ». Et puis « la guerre ». Ou une petite fille, « après un tremblement de terre, ou un déferlement de boue », qui agonise : « Dans notre temps à nous [46]. »
Réflexion : « La nouveauté de l’émotion – avant que l’accoutumance ne l’émousse ou l’annule – tenait sans doute au contraste brut entre le chaos vivant de ce qu’on voyait et la stabilité de la place du téléspectateur. D’un côté l’improvisation et la hâte qui sont les signes du malheur, de l’autre une place ménagée, éventuellement confortable [47]. »
Souvenir (qui distingue plusieurs époques) : « Auparavant, comme Clarisse dans L’Homme sans qualités de Musil, qui chaque matin souffre en apprenant par le journal les malheurs du monde, c’était l’imagination qui en nous suscitait et animait les images aptes à nous tourmenter. Nous nous trouvions désormais dispensés et frustrés de ce travail mental. De nombreux préadolescents – ils en parlaient en classe – sentaient cette destruction en eux d’une protection essentielle, certains au cours des années se suicidèrent, trouvèrent là un motif de suicide, seuls ou à deux [48]. »
4.
L’individu moderne. À travers ces techniques et ces pratiques – le music-hall, le téléphone, la radio, la télévision, etc. –, mais pas seulement. À travers la littérature : comment la littérature – le roman en particulier – tente de l’approcher.
Les écrivains et romanciers qui rentrent dans ce que Pachet appelle « l’écrivain moderne » (ou parfois « moderniste », dans un sens plus restreint) – et qui l’intéressent plus que d’autres, à un moment ou à un autre : Moritz, Joubert, Baudelaire, Proust, Rilke, Musil, Virginia Woolf, Michaux, Schmidt, Kertész, Naipaul, Coetzee, Rushdie (liste non exhaustive) [49].
Un exemple, à partir d’un auteur qui occupait une place importante dans les années de formation de Pachet : Sartre, à la fois écrivain (La Nausée, Le Mur) et critique ou philosophe (Situations I, les Entretiens avec Sartre de Simone de Beauvoir, Esquisse d’une théorie des émotions).
Sartre, dit Pachet, « dans le travail même qu’il fait pour déduire toute une personne d’un point unique (qui est ressaisi par lui, Sartre, et qu’il domine), […] échoue à considérer un individu sous ses diverses "facettes", à imaginer la façon dont il peut être différent de lui-même en fonction des relations dans lesquelles il s’engage, des sollicitations dont il est l’objet ». Il y a au moins deux aspects dans cette critique : Sartre ne peut comprendre ce que Pachet appelle l’« opacité » (ou la « duplicité », ou la « confusion » intime) de l’individu ; il ne reconnaît pas à l’individu une capacité à apprendre, à faire une « expérience ». D’une part, Sartre « refuse d’accorder aux personnages qu’il regarde ou qu’il crée une opacité capable de surprendre ces personnages eux-mêmes » : ils sont capables de « sursauts de volonté », mais il n’y a pas chez eux de « zone encore dormante » qui pourrait « s’éveiller et devenir active ». D’autre part, il n’y a en général ni « regret » ni « rétractation » dans ses personnages (ou dans l’analyse qu’il fait de personnes réelles) : en effet, ces attitudes « supposeraient qu’une personne puisse se construire, profiter de ses expériences, voire mûrir (tout en conservant ses incohérences internes) » ; or la philosophie de Sartre, « avec le dialogue qu’elle instaure entre une "situation" et une "liberté" sans épaisseur, exclut une telle conception » (Pachet cite un entretien de Sartre : « Il y a une chose que j’ai toujours pensée, que j’ai un peu décrite dans La Nausée, c’est l’idée qu’on n’a pas d’expérience, qu’on ne vieillit pas ») [50].
L’écrivain moderne, selon Pachet, est à l’opposé. La « littérature moderne » aurait à révéler la « substance humaine banale » dans son « immaîtrisable diversité » :
Dans sa curiosité sans limites, sans tabous, dans sa recherche éperdue de nouveaux sujets, dans l’attention qu’il est amené à porter à des réalités négligées, infimes, intimes, banales, l’écrivain moderne doit briser le secret et montrer avec quelle substance hétérogène et impossible à unifier l’homme doit fabriquer des individualités unifiées. L’homme, dit l’écrivain moderne, pense à autre chose que ce à quoi il croit penser, et désire autre chose. Il y a un espace, et comme un monde, entre ses diverses expériences de pensée. Sa sensibilité n’est pas seulement faite de la coexistence de sensations contradictoires : elle se disperse en plages qui s’ignorent, mais dont le sujet ne peut plus ignorer la simultanéité et l’égalité de droits [51].
Ce que réalise V. S. Naipaul, en particulier dans L’Enigme de l’arrivée, approcherait de cet idéal. Ce qui séduit Pachet, dans les personnages de Naipaul, c’est que leur individualité n’est pas une « réalisation » mais un « effort tâtonnant » ; ni les « petites gens » ni les personnages ayant a priori « plus d’importance sociale » ne sont dans la « pleine connaissance de soi » (le « narrateur-auteur », Naipaul, faisant en quelque sorte exception, qui parvient, lui, au terme d’une « crise » d’angoisse évoquée dans la deuxième partie du livre – et sans doute aussi d’une maladie « organique » –, à trouver le véritable objet de son projet d’écriture, qui est alors son projet de vie, et à écrire ce livre, selon un « type moderne illustré par Proust : "comment je suis devenu écrivain", ou plutôt, "comment j’ai surmonté les obstacles qui m’empêchaient de le devenir" »). Ainsi, l’individu selon Naipaul « recèle toujours dans son fond une zone de solitude énigmatique, qui n’est pas aisément accessible » : « Dans cette zone intime résident une inadéquation, une confusion essentielles et même précieuses, avec lesquelles le roman fait alliance bien qu’il ne prétende pas les élucider tout à fait [52]. »
Un autre exemple : Tolstoï, dans Anna Karénine. Pachet s’intéresse, non pas aux « grands drames » du livre, mais à ce qui se joue en marge, « simultanément » : « Un drame menu, mesquin même, machinal au lieu d’être délibéré et passionné : c’est celui de toute une partie de la vie qui se déroule comme automatiquement, silencieusement, qui ne cherche pas à se faire observer mais que le regard de l’écrivain débusque pour en faire profiter son texte. » Ce sont ces « gestes machinaux, de second plan, désaccordés d’avec ce qui se passe au premier plan de la conscience et de la parole », par lesquels Tolstoï ne cesse de « mettre en évidence une duplicité de ses personnages » ; ces « gestes infimes par lesquels les personnages se parlent à eux-mêmes, s’évadent de leur personnage ». Pachet retient, par exemple, un geste d’Anna lors d’une soirée, avant qu’elle ne cède à Vronski. Ils sont exposés aux regards de tous (du mari d’Anna) ; Vronski lui déclare son amour, mais elle « refuse de lui répondre sur le même ton » ; cependant un geste révèle ses « véritables sentiments » (Pachet cite Tolstoï) : « La tête penchée, elle l’écoutait avec délices, tout en tirant d’une main nerveuse la dentelle de sa manche qui s’était prise dans l’agrafe de sa pelisse… » Commentaire de Pachet : « Sa nervosité est le signe d’un embarras face à une pensée qui reste empêtrée en elle et n’ose pas encore se dire. Puis l’embarras se défait, la pensée se dit, dans toute son ampleur. » Et il cite encore Tolstoï : « L’amour… répéta-t-elle lentement, comme si elle se parlait à elle-même. Et, sa dentelle enfin libérée, elle dit », etc. [53].
C’est ce que Pachet appelle « le jeu de second plan du corps ». D’une certaine façon, dit-il (ce n’est qu’un aspect de son analyse, qui est plus complexe), ces gestes « trahissent » les personnages, « comme la rougeur presque trop fréquente chez eux » [54].
Et Pachet note aussi, à propos des derniers moments d’Anna avant son suicide, ce passage qui est « un des premiers exemples, bien avant Joyce, du monologue intérieur d’une femme ». Lorsqu’Anna, se rendant à la gare en calèche, lit « machinalement » les enseignes (le mot est de Tolstoï), et que cette lecture se mêle à ses pensées. Pachet cite le début du passage : « Bureau et magasins. Dentiste. Oui, je vais me confesser à Dolly », etc. Tolstoï, dit Pachet, atteint là « le comble de son talent » ; il peut « éclairer d’une lumière égale, tendrement détaillée, à la fois les grandes articulations de la pensée d’Anna, et le déroulement machinal des phrases et des images qui défilent dans sa tête » [55].
Pachet reviendra plus tard sur la question du monologue intérieur ou « discours intérieur » (un des procédés des écrivains modernes). Il sera plus nuancé (mais cela ne met pas en question son jugement sur Tolstoï). Le monologue intérieur est un « artefact », pas une réalité ; un artefact « très différent […] du fouillis composite de la conscience tel que nous le transportons avec nous à chaque instant de la vie éveillée » ; quand il prétend « sauter à l’intérieur d’une conscience », d’une conscience claire, c’est une prétention excessive (surtout pour des personnages réels, historiques, dans ce que Pachet appelle les « romans à contexte historique »). En d’autres termes : « cette "transparence intérieure" (selon l’expression de l’historienne américaine de la littérature Dorrit Cohn) […] n’existe que dans les livres, et pas dans les cervelles » [56].
Pachet mettra donc en cause les « théories dites du "flux de conscience" » (stream of consciousness), dont l’« inventeur » est William James, rappelle-t-il ; théories reprises par d’autres après lui, et par « les écrivains qui en ont fait le thème ou le support de leur œuvre ». Il évoquera à l’occasion une autre conception, plus ancienne (puisqu’elle se trouve chez Platon, dans Théétète ou Le Sophiste) : la notion de « dialogue intérieur ». Il citera Platon : « il me paraît que l’âme, quand elle pense, ne fait pas autre chose que s’entretenir avec elle-même, interrogeant et répondant, affirmant et niant » [57].
5.
En étudiant les personnages d’Anna Karénine, Pachet fait le rapprochement entre les gestes machinaux et la rougeur.
La rougeur est une émotion – liée à la honte. Elle est même « la plus humaine de toutes les expressions », selon Darwin (que cite Pachet). Darwin, dans L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux – une étude « insurpassée » –, tente de répondre à quelques questions, que Pachet reformule : « par quel enchaînement physiologique se produit la rougeur, ou le rougissement caractéristique de la honte, de la pudeur, de l’embarras ? » ; « pourquoi cette gêne devant le regard d’autrui engendre-t-elle la réaction particulière qu’est la rougeur ? ». Pachet ajoute une question à lui : « à quoi sert la rougeur dans la vie sociale ? [58] »
Dans le chapitre qu’il consacre aux émotions dans L’Œuvre des jours, et dans quelques études spécifiques (sur l’évanouissement ; la peur ; la colère ; les pleurs ou les larmes ; la honte ou la rougeur), Pachet tente de circonscrire un domaine propre aux émotions, de donner un sens plus précis au mot lui-même, là où, dans le langage courant, les mots « passion », « sentiment » et « émotion » peuvent se recouper, se confondre (sans oublier le mot « humeur »). Peut-être n’y parvient-il pas tout à fait. Mais le contexte des années 1990 donne une direction, une aide : de nouvelles recherches en neurologie, un nouveau domaine qui s’ouvre, au carrefour des sciences et des sciences humaines (les sciences cognitives), un public conquis par des vulgarisateurs de talent, comme le neurologue Oliver Sacks (L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, un succès du début des années 1990, adapté au théâtre par Peter Brook). Pachet, qui lit « sporadiquement » des revues de vulgarisation comme La Recherche et Pour la Science, s’informe, et lit par exemple Un anthropologue sur Mars de Sacks, et L’Erreur de Descartes d’Antonio Damasio, un autre neurologue (un livre « excellent », un titre « malencontreux »). Chez ces deux auteurs, Pachet trouve des « cas » – des récits de cas, comme le font les médecins. Chez Sacks en particulier : « On suit ces histoires, on s’intéresse à ces personnages, on lit avec bonheur ces textes qui font aimer la lecture. J’en avais déjà lu certains dans The New York Review of Books ou dans The New Yorker : je les retrouve avec joie (les ayant partiellement oubliés entre-temps) […] : s’agit-il là de vulgarisation scientifique, d’histoire des sciences, de reportages ? Tout cela à la fois ; mais c’est aussi de la philosophie concrète, et évidemment de la littérature, vive, colorée, imaginative, et sans prétention [59]. »
Pachet s’appuie en particulier sur les développements de Damasio sur Darwin et sur William James (deux auteurs du XIXe siècle, donc, pour cette théorie de Damasio, qui se veut nouvelle, sur « la valeur cognitive des émotions ») [60].
Un cas (un exemple), fourni par Pachet lui-même (à partir de son expérience), et par d’autres (il cite des extraits de Diderot, de Kleist ; il va discuter James et Sartre) : « l’émotion provoquée par la vue du sang ». Pachet, lors de la circoncision de son neveu, dont il est le parrain. Il tient le petit enfant dans ses bras. Il se souvient : « Quand le circonciseur s’approcha et commença à faire son office, je sentis une difficulté à respirer, un pincement au plexus, un bourdonnement dans les oreilles, un vertige. Je devenais blanc. On me prit l’enfant, on m’écarta. Quelques instants plus tard, tout allait bien. La vue du sang, sans que je l’anticipe, m’avait bouleversé. Je ne sais comment nommer l’émotion qui alors me saisit. C’était indubitablement une émotion [61]. »
L’émotion se manifeste dans le corps, par le corps.
Il n’y a pas d’émotion – à proprement parler, dans le sens strict que Pachet tente de définir – sans expression ou manifestation corporelle, physique, physiologique.
Un autre exemple : la rencontre « à l’improviste » d’une personne « connue de vous, » ou « chère » ; ou même le rendez-vous avec une personne (les deux sont pour Pachet des occasions d’émotion – peut-être, dit-il, « est-ce cela, être émotif : le rendez-vous réussi, si je l’avais souhaité, me paraît toujours merveilleux »). Description : « Je vois cette personne de loin : le cœur me bat, le sang me vient au visage, des muscles du visage se détendent irrésistiblement ; je ne peux masquer ma joie, je fais alliance avec elle, j’accepte le cadeau qu’elle m’impose [62]. »
L’interprétation de Sartre (dans Esquisse d’une théorie des émotions), que Pachet réfute (même s’il lui reconnaît un intérêt). De façon « tout à fait cohérente », Sartre conçoit l’émotion « comme une "conduite" que j’adopte pour résoudre de façon non rationnelle une difficulté que je ne sais pas résoudre autrement ». En d’autres termes, pour Sartre, « les émotions sont des conduites "magiques" par lesquelles, faute de réaction rationnelle, j’essaie une autre voie. Dans le cas de l’évanouissement, la voie de l’"évasion" ». Et Pachet cite Sartre (fragmentairement) : « Je vois venir vers moi une bête féroce, mes jambes se dérobent sous moi, mon cœur bat plus faiblement, je pâlis, je tombe et je m’évanouis. Rien ne semble moins adapté que cette conduite qui me livre sans défense au danger. Et pourtant c’est une conduite d’évasion… Je l’ai anéanti [le danger] autant qu’il était en mon pouvoir. » Cette analyse, dit Pachet, est « subtile avec excès, dans son effort pour réintégrer tout, y compris la perte de conscience, dans l’orbe de la conscience elle-même ». De la même manière (sans entrer dans les détails), l’interprétation que Sartre fait de la colère. Pachet la résume et la commente : « la colère est "mauvaise foi", pour emprunter le vocabulaire que Sartre imposera un peu plus tard : elle me permet d’avoir le sentiment de subir passivement une conduite que j’ai en vérité adoptée, à laquelle j’ai recouru ». Pachet reconnaît qu’il y a « du vrai » dans ces reconstitutions : « L’émotion […] passe par des étapes, elle ne mérite d’être appelée telle que parce qu’elle se développe, prend du temps […]. Reste que j’ai dû d’abord éprouver l’émotion en moi comme la mise en mouvement d’un ensemble de manifestations physiologiques, qui m’ont imposé une tonalité affective, simple ou mélangée [63]. »
La théorie que Pachet adopte, c’est celle de James (le même dont il refuse la théorie du « flux de conscience »). Il explique d’ailleurs qu’il la connaît et l’apprécie depuis l’adolescence, l’ayant rencontrée dans son cours de philosophie au lycée (exposée par un professeur « qui semblait ne pas la comprendre très bien, et ne l’exposer que comme une curiosité »). Il la présente comme un « renversement » de la conception traditionnelle (comme ici dans un entretien) :
La conception traditionnelle […] suppose qu’il y a quelque chose de profond dans l’âme, ou dans la psyché, qui ensuite s’extériorise.
William James, comme beaucoup de grands scientifiques, opère un renversement : éprouver une émotion, affirme-t-il, c’est prendre conscience de modifications physiologiques qui nous alertent [64].
C’est ce que Pachet reformule à sa façon : « Alerte. Le corps vous dit : alerte ! fais attention à ce qui est en toi, avant même que tu saches le formuler, te parle de ce que tu ressens, de ce qui t’advient, de l’orientation que tu as déjà donnée à tes réactions [65]. »
Mais cette théorie (appelée « périphérique ») a rencontré des « résistances » (Sartre, en particulier, la réfute dans son Esquisse). Pachet constate d’ailleurs avec surprise que le succès du livre de Damasio n’a pas permis de la faire mieux connaître et comprendre. Il essaie alors de mieux l’expliquer (mieux peut-être que dans L’Œuvre des jours). En repartant de la conception traditionnelle, courante :
La représentation que nous avons spontanément du lien entre un événement quelconque et sa répercussion émotive est celle que ces mots mêmes indiquent : 1. il se produit quelque chose pour moi (que l’événement soit intérieur ou extérieur) ; 2. je le perçois, en prends connaissance, le constate, en mesure l’importance ; 3. cela déclenche en moi un état affectif (peur, joie, dégoût) qui 4. se marque par des manifestations physiologiques qui dès lors m’échappent : tremblement, changement thermique, tonicité ou affaissement musculaire, sudation, modifications dans le système cardio-vasculaire, etc. [66].
Pour être dans le vrai, pour penser juste, il faudrait « renverser l’ordre des événements » :
Pour reprendre les formulations de William James, ce qui se produit n’est pas que j’ai peur (parce que j’ai vu un serpent, p. ex.), état psychologique qui engendrerait des conséquences physiologiques […] ; mais que des manifestations physiologiques caractéristiques de la peur se déclenchent en moi, qui m’alertent, et suscitent entre autres en moi un certain état psychologique. Non pas « je tremble parce que j’ai peur » mais « j’ai peur parce que je tremble » [67].
Qu’est-ce qui est important ici pour Pachet ? D’abord de « désintellectualiser l’émotion », de remettre la « pensée » à sa place, dans « l’équipement dont l’être humain est doté, ou s’est doté, pour se débrouiller dans le monde » : « Cet équipement n’est pas placé sous la dépendance de la pensée ; au contraire la pensée en fait partie [68]. »
La théorie de Damasio, « sur la base du même renversement » que James, mais complétée par des « recherches neurologiques très précises », va dans ce sens. Dans les cas étudiés par Damasio (un contremaître dans les chemins de fer au XIXe siècle qui reçoit « une barre de fer dans le crâne », un Américain d’aujourd’hui « victime d’une tumeur cérébrale »), l’individu, affecté dans sa capacité à ressentir des émotions (la « région du cortex […] sans doute responsable de cette perception » étant endommagée), ne peut plus vivre de façon autonome, faire des choix, « s’orienter dans la vie » : « L’hypothèse de Damasio est que ce qui manque à ces deux personnages, c’est de percevoir leurs émotions, donc de les éprouver psychologiquement : ainsi se trouvent-ils privés de l’appréciation des circonstances où ils se trouvent placés, appréciation que le système des émotions nous propose à tout moment, et qui complète et oriente la vue rationnelle que nous pouvons nous faire. » C’est la valeur cognitive des émotions : « Parce qu’elle est un nœud entre l’individu et les situations, l’émotion est moyen de connaissance. Par elle, je connais le monde tel que cette disposition émotive le dispose, en hiérarchise les qualités : un monde dangereux, désirable, dégoûtant, attirant, hilarant [69]. »
C’est aussi en ce sens que Pachet se tourne – en particulier dans son étude sur la colère – vers la conception des anciens Grecs : cette conception tripartite de l’homme, qui attribue un rôle spécifique à l’élément que Pachet appelle « du "coeur" », au sens classique du terme (correspondant au thumos grec) – le siège de ce qu’on appelle aujourd’hui les émotions –, placé entre l’élément « rationnel » et l’élément « désirant » (Pachet dit aussi : le principe « irascible », placé entre le principe « rationnel » et le principe « concupiscent »). Pachet résume ainsi le propos de Socrate, dans La République de Platon : la fonction de « l’élément du "cœur" » est de « venir à l’aide de l’élément rationnel » [70].
Ensuite – ou en d’autres termes –, l’important pour Pachet, c’est cette sorte de communication de soi à soi, qu’il observe et étudie dans le personnage d’Anna Karénine, ou qu’il évoque dans l’introduction du recueil Aux Aguets, au début des années 2000, quand il se souvient de l’« effondrement » et de l’« angoisse » qu’il a vécus, enfant, à la Libération en 1944, en apprenant qu’il était juif et en comprenant les dangers qu’il avait courus (il a dû, par la suite, assurer ce qu’il appelle « la continuité du lien entre moi et moi »). C’est la conception de l’émotion comme « signal » :
Par l’émotion, nous nous connaissons dépossédé ou dessaisi, et cependant lié à l’essentiel de nous-même : quelque chose a lieu qui nous concerne au plus intime, quelque chose que nous n’avons pas sciemment décidé, et dont nous ne sommes cependant pas tenu à distance. Cette chaleur dans la chair, dans la poitrine, ou sur la peau, ce pincement vasculaire ou cardiaque, ce frisson, ce petit coup de marteau, ce goût sur la langue, cet obscurcissement passager de la vue ou de la conscience, c’est à chaque fois moi, la partie sensible de moi, c’est le signal que je me donne à moi-même d’une certaine orientation que j’ai prise [71].
Lisant Naipaul, mais aussi William Styron (Face aux ténèbres) ou le philosophe Clément Rosset (Route de nuit), Pachet réfléchit également au même moment à l’angoisse, à la dépression, que ces auteurs parviennent à raconter, à décrire (Pachet traverse lui-même, après la mort de sa femme en 1999, une période de dépression). Il revient aussi à la notion d’« humeur », chez des auteurs du XIXe siècle (Byron, Nerval). Il lui semble que la « médicalisation » moderne de la dépression peut masquer un aspect important, que ces différents auteurs mettent au contraire en valeur : « l’idée assez classique que la dépression est crise, à la fois résistance à un nouveau développement et signal que l’organisme s’adresse quand il anticipe ce développement » [72].
Enfin l’émotion – toujours dans ce sens strict – est un moment, une phase. Comme un « instant-crête », sur lequel on ne peut se tenir ; qui attend un développement, une élucidation : « l’émotion a toujours en elle quelque chose de brut, de non-déchiffré » ; comme à l’abord d’une bifurcation :
Un bruit me surprend : c’est l’émotion elle-même, qui me met en état d’alerte, balaie de ma conscience les préoccupations désormais inutiles qui y paressaient à l’instant, prépare mes muscles à réagir, y compris le muscle de mon cœur. Cette émotion peut bifurquer vers la peur ou la joie. Je ne suis encore maître de rien ; il faut voir ce qui va se passer en-dehors de moi et en moi ; je vais apprendre de quelle façon je suis disposé. Agir et même penser en dépendent [73].
Un moment d’attente – avant un rendez-vous, ou avant l’affichage d’un résultat d’examen dans la cour d’un lycée – est ainsi, pour Pachet, l’occasion d’une émotion essentielle – « l’émotion des émotions ». Pachet reconstitue le déroulement : « il y a attente, et puis les événements se décident : mon nom y est/n’y est pas » ; alors « l’émotion va prendre un sens irréversible », et va en quelque sorte « cesser d’être émotion pour devenir l’amorce d’un état d’âme, d’une joie excitée ou méprisante, ou d’un accablement furieux ». De la même manière, dans L’Amour dans le temps, à propos de sa vie amoureuse (dans son mariage, puis une fois veuf), Pachet tentera de distinguer entre les notions d’émotion et de sentiment : « l’attente du premier rendez-vous, du rendez-vous espéré », serait rangée du côté des « émotions » ; et puis il y aurait « la transmutation obscure qui, des émotions, fait des sentiments » (« l’amour comme sentiment, qui privilégie une personne parmi les personnes possibles, qui transforme une rencontre en destin ») [74].
Pachet s’appuie sur Darwin, James, Damasio, mais sa théorie est aussi originale. Elle rejoint ses motifs, ses thèmes propres : la chute de l’âme dans le corps (« Au milieu de qui suis-je tombé ? ») ; ou au contraire une sorte d’élévation, d’« exaltation », de « soulagement » (au sens propre et originel, « du latin sublevare » : alléger d’un poids, d’un fardeau). C’est ce que Pachet appelle « la « profondeur du monde », ou pour emprunter « un mot qui appartient à la philosophie, voire à la philosophie de la religion, la transcendance » ; c’est « sa dimension verticale, celle de la chute, de l’ascension », qu’il rencontre en particulier dans Les Versets sataniques de Salman Rushdie, un autre livre important (qui commence par une chute depuis un avion qui explose en vol, plus symbolique que réelle, puisque les deux personnages principaux y survivent – c’est pour eux comme une naissance, comme dans la mythologie grecque, qui associe la naissance d’un homme à la chute d’une âme dans un corps) [75].
Ainsi, l’émotion peut sembler élever ou soulever l’individu – et Pachet joue parfois sur les deux sens, le sens propre et le sens figuré. Par exemple, dans le contact avec les livres, dans cette exaltation qu’il ressent (comme Coleridge, dont il dit, en préfaçant ses Carnets : « Les livres l’excitent, l’exaltent »). Ici Pachet, « tard le soir » à Lisbonne (dans une chronique « Loin de Paris »). Dans un « lieu de nuit » installé dans une ancienne usine, il entre, accompagné d’autres personnes, dans une « très grande librairie, riche en volumes de philosophie, d’architecture, d’art, de politique, de littérature ». Et il rend compte de ses impressions – de son émotion : « Nous traînons de rayon en rayon et de table en table, légèrement excités et comme soulevés au-dessus du sol par l’abondance des livres, le choix, la curiosité éclectique qui a sélectionné les ouvrages, les a rassemblés et classés », etc. [76]
Autre motif ou thème propre (qui est double) : le rapport aux choses, au réel, au monde ; le rapport au temps, au présent.
La « conscience du présent » : elle « nous lie au réel, se rappelle à nous pour que nous vivions en lui et pas seulement dans la pensée et la rêverie », dit Pachet [77].
Dans De quoi j’ai peur, il évoque son « impression étrange », parfois, d’être « décroché du temps historique » (ces moments « où il devient tellement évident qu’on ne vit pas dans la contemporanéité avec des vivants ») [78].
Ainsi l’émotion aurait une fonction (double) : elle « m’ouvre aux choses » ; elle est « un appel à faire face au présent » [79].
Elle « nous extrait de l’intemporalité, de l’absence » [80].
« Le présent émotif, en ce sens, s’oppose à l’ennui – qui perd notion du moment, des circonstances », ajoute Pachet [81].
Et sa réflexion sur la télévision – cette invention qui produit peut-être une nouvelle conscience du présent : « Toute émotion nous appelle au présent, nous éveille pour nous rappeler le présent en nous le livrant ne serait-ce qu’un instant. Or il n’y a pas qu’un type de présent. Celui de la télévision, aussi déformé et reculé qu’il soit, n’est pas moins authentique, pas moins lié à notre corps (à la façon dont le corps façonne notre âme) que les autres [82]. »
Et la rougeur ? La honte ?
Une citation donnée par Pachet, trouvée chez Darwin (qui rapporte le propos d’un Espagnol, méprisant envers les Indiens d’Amérique du Sud) : « Comment avoir confiance en quelqu’un qui ne sait pas rougir ? » Pour cet Espagnol, en effet, la rougeur des Indiens était « imperceptible » [83].
La honte est « une émotion, une manifestation physique » ; elle est « un mouvement de l’âme-corps, ou dans l’âme-corps », dit Pachet [84].
« Un ange ne peut avoir honte (ni d’ailleurs éprouver de la colère, de la peur, ni aucune autre émotion) [85]. »
Rougir est « typiquement humain » et « ne peut se commander volontairement » [86].
« Les nourrissons ne rougissent pas (pas plus qu’ils ne pleurent à proprement parler) » (Pachet fait allusion à un point souligné par Darwin : le nourrisson crie parce qu’il souffre ou appelle à l’aide, et c’est parce qu’il crie que les vaisseaux des yeux se remplissent de sang, que les muscles autour des yeux se contractent pour les protéger, et agissent sur les glandes lacrymales ; ainsi, il apprend en quelque sorte à pleurer : « la souffrance en vient […] à trouver une expression aisée à travers les pleurs »). Ainsi, dit Pachet, « on apprend à rougir comme à pleurer » [87].
Finalement (sans entrer dans les détails) : « La honte, qui nous tourmente tant, aurait […] une valeur positive dans notre vie relationnelle : elle servirait entre autres (comme le sourire) à apaiser autrui. Voire – en dépit de notre volonté […] – à lui faire connaître notre émotivité, ainsi la rougeur à signification sexuelle, qui à la fois nous "trahit" et peut nous faciliter les choses. » Et Pachet revient sur plusieurs de ses conceptions – de l’individu, des émotions : « Comme les autres émotions, la honte nous alerte physiologiquement sur ce que nous éprouvons ; et elle renforce paradoxalement, et même douloureusement, notre lien avec autrui. Pas seulement parce qu’elle montre à autrui à quel point son regard peut nous affecter […] ; mais aussi parce qu’elle fait connaître qu’être un humain suppose une différence d’avec soi, une non-coïncidence, une vulnérabilité quasi pathologique par laquelle nous pouvons paradoxalement nous reconnaître les uns les autres comme des semblables […] [88]. »
6.
Et l’écriture ? L’écriture des textes, des livres ?
Dans une de ses études sur les émotions, Pachet cite Queneau (Les Enfants du limon) : « Alors Chambernac vit se dessiner les contours de son livre, d’abord avec une certaine appréhension comme au contact d’un singulier inconnu peut-être hostile. Puis il prit possession de l’idée tout entière ; il s’appuya le front contre la barre de cuivre et sentit une joie galoper en lui, piétinant ses poumons, son cœur, son cerveau. Il rentra dans son compartiment et s’assit épuisé [89]. »
Pachet est « évidemment » un émotif – il se dit « très émotif », voire « hyper-émotif ». Il précise : « je réagis impulsivement, imprévisiblement, précipitamment » ; « je ressens les événements de façon très "physique" » ; « mes facultés sont fréquemment inhibées et stimulées par les épreuves, par le climat particulier où elles me plongent ». Ou encore : « mon corps se manifeste fréquemment, intervient à sa façon dans mon activité de lecteur et d’écrivain (n’était-ce pas ce qu’à une époque récente on appelait être "hystérique" ?) » [90].
« De cette tare ou de ce talent », il faut « tirer les conséquences ». Dans L’Œuvre des jours, Pachet associe plutôt son émotivité à une de ses limites : sa « difficulté à se concentrer », sa tendance à la dispersion (c’est le titre d’un autre chapitre : « Dispersion »). Cet aspect de sa personnalité a eu des conséquences sur son travail : « Ce défaut m’empêchait de me consacrer sérieusement à accomplir les promesses que j’avais cru sentir naître en moi. Par manque de constance et d’égalité d’humeur, manque de ténacité dans l’attention, excès de confiance en ma présence d’esprit, je ne me vouais qu’à ce qui m’était proposé, et sans y croire [91]. »
Un souvenir : sa lecture de La Violence et le sacré de René Girard, en 1972. Une lecture à émotions, dans plusieurs sens.
Parce que Girard, dans sa démarche en général (après Mensonge romantique et vérité romanesque), sort la littérature « de ses carcans habituels », porte sur elle un « regard anthropologique », replonge « l’œuvre, qui se présente comme un ensemble clos, avec un principe d’organisation interne, dans le monde humain, dans l’ensemble de gestes, de rapports, d’émotions dont il n’est pas séparable » [92].
Parce que ce livre-ci, sur le sacrifice dans l’histoire des sociétés, touche Pachet, l’émeut : « La lecture du livre d’abord me rebuta, puis m’emporta émotivement. » Plus précisément : la « scène mythique » de Girard (la « foule désorientée » qui « se réconcilie autour d’une victime qui lui tombe sous la main ») « correspondait en moi à une sorte de cauchemar originaire, au contenu d’une émotion toujours vivante ». Plus précisément encore : « Je ne pouvais pas ne pas penser à ce qui s’était passé au XXe siècle, où des peuples, comme le peuple juif, avaient été des victimes innocentes. Pour nombre d’entre nous, la réflexion de Girard avait une résonance émotionnelle immédiate. Le phénomène du bouc émissaire nous rappelait quelque chose que nous avions vécu [93]. »
Enfin, parce que cette lecture, émouvante et exaltante (« le livre le plus exaltant que j’aie lu cette année »), donne à Pachet une « impulsion décisive » pour se lancer dans l’écriture de ce qui sera son premier livre publié, Le Premier venu, sur Baudelaire (jusqu’alors, il a échoué à publier : le manuscrit d’Autobiographie de mon père a été refusé ; et il se voit comme l’auteur de textes brefs, divers). Comme il le dit dans L’Œuvre des jours : « Chez Girard, je ne cherchais pas une théorie forte sur laquelle greffer ma coquille, en parasite, mais une autorisation à puiser à mon tour dans mes émotions les plus tenaces ; et à mobiliser ce faisant l’émotion de s’adresser à un public : peur, excitation quasi-sexuelle, chaleur, afflux des idées, sentiment de puissance – puissance sur les idées plus que sur le public – et joie d’accepter de se sentir petit devant ce qui est grand, mais avec quoi l’on mérite d’avoir une relation vivante [94] »
7.
Pour finir, deux réflexions sur des écrivains. Où il ne s’agit pas, pour Pachet, de prendre l’émotion dans un sens strict.
Nicolas Bouvier, pour Le Poisson-Scorpion. Un livre singulier, pour cet auteur de récits de voyages – « un récit de voyages qui a ceci de particulier qu’on n’y voyage pas : c’est l’évocation d’une panne dans le voyage, d’une impossibilité d’aller plus loin » [95].
Bouvier est un « écrivain professionnel », il se trouve dans une petite ville de Ceylan et doit écrire des articles pour payer la suite de son voyage, pour (Pachet le cite) « passer au Japon, y guérir ». Il est malade, tombé dans « un piège de maladie physique et de désarroi », d’« angoisse », dit Pachet. Ce livre, c’est à la fois « la description minutieuse de la vie des insectes avec qui il partage sa chambre, de ses voisins de l’auberge et de la rue », etc., et une « évocation précise » de son « travail d’écrivain salarié, accompli avec une passion d’artisan, au prix d’heures de travail, de découragement et d’exaltation ». Pas de « procédé spéculaire » ici (Bouvier ne se décrit pas en train d’écrire le livre qu’on lit, mais d’autres textes). C’est un écrivain qui a un grand « savoir-faire » ; il est capable de « trouvailles » et de « concrétions savoureuses ». Mais ce qui intéresse Pachet, c’est qu’il y a « comme deux niveaux » dans son écriture (« peut-être est-ce le cas de tous les écrivains de qualité »). Et ce livre le ferait voir « plus clairement » que d’autres [96].
L’idéal de Bouvier est un idéal de « maîtrise » : une écriture « précise et ajustée ». Bouvier vise « une transmutation au terme de laquelle les éléments du monde environnant […] sont asservis à la vision intérieure qui est seule aux commandes, "la journée entrant dans le texte comme dans un laminoir" » (il se trouve « dans un cadre tropical où tout se défait et s’évapore du cerveau », et il écrit sur une bataille en Anatolie dans l’antiquité, ou sur l’Azerbaïdjan en hiver). Parmi ses trouvailles de style, qui évitent « l’ornière du lieu commun », Pachet cite celle-ci, pour décrire un cadavre de gecko emporté par des fourmis : c’est comme un « petit animal dont la dépouille se moire d’un velours d’ouvrières ». Voilà, dit Pachet, comment « l’angoisse est tenue à distance » [97].
Mais peut-être ces passages sont-ils « simplement bons » – « l’angoisse est retenue et ne fait que pousser l’écrivain vers un ton simplement plaisant, voire guilleret » [98].
L’autre niveau d’écriture, ce serait quand Bouvier « fait place aussi à ce qui, autour du texte et en lui, déborde » ; quand, avec son « vocabulaire anémié » (l’expression est de Bouvier), il laisse à l’inverse – comme par un renversement – la « chaleur tropicale » produire « la précision et la concentration glacées » dont il « manque cruellement ». Quand c’est « l’angoisse qui mène la danse » – et non pas « le désir de bien écrire » :
Mais quand l’angoisse est forte, et que l’écrivain ne cède pas devant elle, ne lui cède pas, qu’il accepte de lui tenir tête, d’écrire face à elle, alors l’exigence monte, et au lieu de combler le vide avec des mots amusants, il en laisse venir qui font face au vide et y trouvent des ressources d’allégresse [99].
Et Robert Walser. Pour des traductions qui paraissent dans les années 1990 et 2000. En général, des livres que Walser n’a pas connus, soit parce que ce sont des recueils de textes brefs, publiés (ou non) de façon dispersée (Retour dans la neige, Sur quelques-uns et sur lui-même) ; soit parce que ce sont des textes de sa dernière période, quand il s’est consacré à sa « micrographie », à ses « microgrammes », comme on les appelle (une écriture minuscule, dans les anciennes lettres gothiques, au crayon, qu’il cherchait à dissimuler, qui n’a été déchiffrée que longtemps après sa mort).
Pachet fasciné par plusieurs aspects.
Justement cette relation au public et à « la littérature comme institution » ; parce qu’elle rejoint la question de la « concentration » (de l’artiste, de l’écrivain). Walser, à un certain moment, renonce à écrire pour publier (il a publié des romans dans les années 1900, mais a ensuite eu des difficultés pour publier des recueils de textes brefs, jusqu’à renoncer après 1925). Et il s’engage dans sa « micrographie ». Pachet y voit un double mouvement : Walser renonce « à ce qui est sans doute constitutif de la littérature, à savoir le jugement » – et à son propre jugement, car il renonce à pouvoir se relire (or la littérature, dans sa forme « la plus reconnue », serait « l’art de relire ce qu’on a écrit en vue de le porter à la meilleure forme ») ; et Walser s’impose un mode d’écriture caractérisé par une « concentration absolue » (qui impressionne Pachet). Il faut être « prodigieusement doué », dit Pachet, pour ces « microgrammes » ; avec « leur développement imprévisible », avec « la concentration, la mémoire et la présence d’esprit qu’ils supposent, la capacité d’anticipation aussi » ; pour ces textes écrits « en quelques semaines de travail continu, sans presque lever la plume, sans corrections ni retouches » (comme le roman Le Brigand) [100].
Ce qui se montre alors aussi, c’est la mobilité d’esprit de Walser, dans les textes, dans les phrases elles-mêmes : cette « phrase de Walser », « dont le mouvement est si difficile à écrire » ; cette phrase, comme dit Claude Mouchard (que cite Pachet), qui parfois « tient, ou presque, la place du héros ». Pachet cite un passage du Brigand, où le narrateur s’arrête après avoir donné un détail insignifiant sur l’activité du personnage tel jour : « Nous disons cela simplement parce que rien de plus important pour le moment ne nous vient à l’esprit. Une plume préfère écrire une chose incongrue plutôt que de se reposer ne fût-ce qu’un moment. Peut-être est-ce là un des secrets d’une écriture de qualité, c’est-à-dire qu’il faut toujours que quelque chose d’impulsif entre dans l’écriture. » En général, dit Pachet, Walser « est en proie à une surexcitation mentale qui le fait avancer tout en se sachant surveillé (par lui-même) ». Il a, dans l’allure, « une grâce […] qui le libère du poids de ce qu’il sait quand même » [101].
Et les émotions. Walser est capable, dans les textes dédiés aux écrivains et aux poètes (les Allemands de l’époque romantique en particulier : Kleist, Hölderlin, Büchner), d’entrer « aisément en sympathie » avec ce qu’ils ont « de grave, d’âpre, de tragique, avec leur tristesse et leurs souffrances » ; mais il y mêle aussi « une incroyable gaieté, une insouciance qui loin d’effacer ou d’atténuer la tristesse, l’avive (comme on fait d’une couleur), la rend poignante et savoureuse ». Les émotions semblent circuler entre l’auteur et ses personnages : « Walser imagine avec une libre fantaisie le personnage de Kleist, il se coule en lui, éprouve ses émotions et lui fait éprouver les siennes, puis l’abandonne, le regarde s’éloigner, tandis que lui-même apparaît un instant, comme dans l’encadrement du tableau qu’il vient de peindre [102]. »
Il y a incontestablement une étrangeté dans la personne même de Walser, apparemment dans le registre de la « naïveté » et de la « mièvrerie », et qui rend perplexe (dans un passage d’un de ses romans, L’Homme à tout faire, et dans Le Brigand, Pachet voit aussi le travail de « l’immoralité », de « la méchanceté » en lui) [103].
L’émotion à la lecture est grande. Ce sont même plusieurs émotions, qu’il faudrait identifier. Ainsi, sur le recueil Petits textes poétiques (« petites proses », dans une précédente traduction) : ces textes sont « déroutants et incroyablement attachants », dit Pachet, « ils vous saisissent le cœur sans qu’on sache si c’est seulement de l’affection qui vous lie au personnage qui y parle, s’y promène, vagabonde dans ses pensées légères, […] personnage qui est le plus souvent l’écrivain ; ou si n’entre pas dans ce lien une part de stupéfaction, voire de peur, devant un individu qui n’est peut-être pas aussi inoffensif et désarmé qu’il le dit » [104].
Les émotions sont un des aspects de la lecture. Elles font partie des données du problème. De la solution peut-être.
Pachet pose une alternative. On peut, d’une part, vouloir « analyser les composantes de cet art », les rapporter « à l’existence même […] de cet écrivain vierge et insouciant, vagabond, aux goûts plébéiens », ou plutôt « aux énigmes de son existence » : « aima-t-il d’autres personnes que son frère, le peintre, que sa sœur ? » ; « se laissa-t-il délibérément enfermer dans l’asile psychiatrique où il passa les vingt-sept dernières années de sa vie […] ? [105] »
On peut aussi faire autrement : « on a surtout envie de recopier, de goûter ses phrases, de les laisser éveiller en soi des émotions qui ne demandent qu’à revivre, et dont lui saura dire les tressaillements, les nuances, la profondeur » [106].
[1] « Voter avec ses pieds », Esprit, 1990/2 (Février), p. 63.
[2] Le Voyageur d’Occident (Pologne. Octobre 1980), Gallimard, 1982, p. 164.
[3] « Voter avec ses pieds », op. cit., p. 58.
[4] « Voter avec ses pieds », ibid., p. 61-62.
[5] Ibid., p. 61.
[6] « La justice et le conflit des "opinions" », Passé Présent, n° 2, 1983, p. 217-220 ; « Y a-t-il des colères collectives ? », La Quinzaine Littéraire, n° 836, 2002, p. 19.
[7] « "Pensée captive" et pensée cachée : Czeslaw Milosz », Passé Présent, n° 4, 1984, p. 101.
[8] Le Voyageur d’Occident, op. cit., p. 11 ; « "Pensée captive" et pensée cachée : Czeslaw Milosz », op. cit., p. 101-102.
[9] « Voter avec ses pieds », op. cit., p. 63.
[10] Ibid., p. 62-63.
[11] La Force de dormir, Gallimard, 1988, p. 22 ; « Voter avec ses pieds », op. cit., p. 63.
[12] La Violence du temps. Fiodorov et Mourjenko camp n° 389/36, Seuil, 1982, p. 18.
[13] Ibid., p. 48, 20.
[14] Ibid., p. 36.
[15] Introduction à deux poèmes de Z. Herbert, La Nouvelle Quinzaine Littéraire, n° 1099, 2014, p. 32.
[16] L’Âme bridée. Essai sur la Chine aujourd’hui, Le Bruit du temps, 2014, p. 25-26.
[17] Ibid., p. 27.
[18] Idem.
[19] Ibid., p. 22, 24.
[20] Ibid., p. 27-28.
[21] « Impatience », Nouvelle Revue de Psychanalyse, XLI, 1990, p. 119-120.
[22] Ibid., p. 120.
[23] L’Âme bridée, op. cit., p. 24-25.
[24] Ibid., p. 28.
[25] Ibid., p. 27.
[26] « Emotions cathodiques », Ecrire l’Histoire, n° 2, 2008, p. 103.
[27] Loin de Paris. Chroniques 2001-2005, Denoël, 2006, p. 33.
[28] Ibid., p. 34.
[29] Ibid., p. 33-34.
[30] Aux Aguets. Essais sur la conscience et l’histoire, Maurice Nadeau, 2002, p. 50-52, 57.
[31] L’Œuvre des jours, Circé, 1999, p. 50.
[32] Idem.
[33] Ibid., p. 67 ; La Force de dormir, op. cit., p. 163-164.
[34] L’Œuvre des jours, op. cit., p. 48-49, 65, 51-52.
[35] « L’oubli au cœur de la conversation intime », La Faute à Rousseau, n° 54, 2010, p. 28 ; L’œuvre des jours, op. cit., p. 54-55. L’opposition des conceptions de Janet et de Freud est expliquée en particulier par Alain Ehrenberg (La Fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob, 1998) Pachet est en contact avec Ehrenberg, il participe à au moins deux livres collectifs dirigés par lui.
[36] « L’oubli au cœur de la conversation intime », La Faute à Rousseau, n° 54, 2010, p. 28 ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 54-55.
[37] Devant ma mère, Gallimard, 2007, p. 50.
[38] Sans amour, Denoël, 2011, p. 40-41.
[39] Un à un. De l’individualisme en littérature (Michaux, Naipaul, Rushdie), Seuil, 1993, p. 12-13.
[40] Sans amour, op. cit., p. 42 ; De quoi j’ai peur, Gallimard, 1979, p. 161 ; Sans amour, op. cit., p. 42-43 ; De quoi j’ai peur, op. cit., p. 164, 161-162.
[41] « Emotions cathodiques », op. cit., p. 107.
[42] Ibid., p. 103.
[43] Ibid., p. 103-104.
[44] Idem.
[45] Ibid., p. 104.
[46] Ibid., p. 104, 106.
[47] Ibid., p. 107.
[48] Ibid., p. 106-107.
[49] Un à un, op. cit., p. 24 ; « Les Enfants de minuit, Salman Rushdie », in S. Barluet (dir.), Un Lieu pour les livres, CNL, 2006, p. 18.
[50] « La main d’Arthur Koestler », in J.-L. Faure, P. Pachet, Bêtise de l’intelligence, Editions Joca Seria, 1995, p. 25 ; « Vies sans amour », Nouvelle Revue de Psychanalyse, XLIX, 1994, p. 93 ; Un à un, op. cit., p. 116 ; « La main d’Arthur Koestler », op. cit., p. 51, 25-26.
[51] Un à un, op. cit., p. 23-24.
[52] Ibid., p. 114-115 ; « La neurasthénie de l’écrivain. De Byron à Styron », in A. Ehrenberg & A. M. Lovell (dir.), La Maladie mentale en mutation. Psychiatrie et société, Odile Jacob, 2001, p. 204 ; Un à un, op. cit., p. 115-116.
[53] « Vies sans amour », op. cit., p. 91-93.
[54] Ibid., p. 92-93.
[55] Ibid., p. 93-94.
[56] Devant ma mère, op. cit., p. 65, 63.
[57] « Le roman de l’Histoire », Le Monde, 7-8 février 2010.
[58] « La honte, la rougeur », Sigila, n° 14, 2004, p. 11.
[59] « Le repos du savant », Diogène, n° 169, 1995, p. 47 ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 30 ; « Souffrances, handicaps », La Quinzaine Littéraire, n° 690, 1996, p. 21.
[60] Ibid., p. 22.
[61] « L’émotion de la fin des émotions », Revue des Sciences Humaines, n° 275, 2004, p. 179 ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 31-32.
[62] Ibid., p. 28-29.
[63] Ibid., p. 35 ; « L’émotion de la fin des émotions », op. cit., p. 180 ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 36.
[64] Ibid., p. 33 ; Entretien avec C. Vincent, Le Monde, 11 juin 2003.
[65] L’Œuvre des jours, op. cit., p. 27.
[66] Entretien avec C. Vincent, op. cit. ; « Quand les émotions servent à orienter la vie mentale », in Y. Orlarey (dir.), L’Art, la pensée, les émotions, Grame, 2001, p. 72.
[67] Ibid., p. 73.
[68] L’Œuvre des jours, op. cit., p. 33.
[69] « Quand les émotions servent à orienter la vie mentale », op. cit., p. 72 ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 39, 31.
[70] « Analyse détaillée du dialogue », in Platon, La République, traduction de P. Pachet, Gallimard, coll. « Folio », 1993, p. 30 ; Aux Aguets, op. cit., p. 41 ; « Analyse détaillée du dialogue », op. cit., p. 30.
[71] Aux Aguets, op. cit., p. 9-10 ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 25.
[72] « La neurasthénie de l’écrivain. De Byron à Styron », op. cit., p. 202, 205-206.
[73] L’Œuvre des jours, op. cit., p. 27, 39.
[74] Ibid., p. 27 ; L’Amour dans le temps, Calmann-Lévy, 2005, p. 177.
[75] De quoi j’ai peur, op. cit., p. 154 ; Un à un, op. cit., p. 127 ; De quoi j’ai peur, op. cit., p. 82 ; Un à un, op. cit., p. 142, 127, 142.
[76] La Force de dormir, op. cit., p. 44 ; Chronique « Loin de Paris » (2e série), La Quinzaine Littéraire, n° 970, 2008.
[77] « Emotions cathodiques », op. cit., p. 107.
[78] L’Œuvre des jours, op. cit., p. 35, 42.
[79] De quoi j’ai peur, op. cit., p. 154.
[80] Ibid., p. 43.
[81] Ibid., p. 44.
[82] « Emotions cathodiques », op. cit., p. 107.
[83] « La honte, la rougeur », op. cit., p. 12.
[84] Ibid., p. 11.
[85] Idem.
[86] Idem.
[87] Idem ; « Pleurs », in M. Marzano (dir.), Dictionnaire du corps, PUF, 2007, p. 739 ; « La honte, la rougeur », op. cit., p. 11.
[88] Ibid., p. 12-13.
[89] « Quand les émotions servent à orienter la vie mentale », op. cit., p. 71.
[90] L’Œuvre des jours, op. cit., p. 40, 26, 40, 26.
[91] Entretien avec M.-C. Lambotte, Rue Descartes, n° 43, 2004, p. 75 ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 26, 40.
[92] « Le triangle du désir. Point de vue de Pierre Pachet », in Philosophie Magazine, Hors-série « René Girard », 2011, p. 40.
[93] L’Œuvre des jours, op. cit., p. 40 ; « Le triangle du désir. Point de vue de Pierre Pachet », op. cit., p. 40-41.
[94] Pourquoi la violence ? », La Quinzaine Littéraire, n° 145, 1972, p. 3 ; Le Premier venu (1re édition), Denoël, 1976, p. 6 (dans la seconde édition, revue, la dédicace est déplacée en postface et modifiée) ; L’Œuvre des jours, op. cit., p. 40-41.
[95] « Ecrire dans l’anémie », in C. Albert, N. Laporte & J.-Y. Pouilloux (dir.), Autour de Nicolas Bouvier, Zoé, 2002, p. 98.
[96] Ibid., p. 95-97.
[97] Ibid., p. 97-98.
[98] Ibid., p. 95.
[99] Ibid., p. 97-98, 95.
[100] « En faveur du témoignage », Les Cahiers de la Villa Gillet, n° 3, 1995, p. 94, 96, 94.
[101] « Un posthume de Robert Walser », La Quinzaine Littéraire, n° 639, 1994, p. 12 ; « Les "petits textes" de Robert Walser », La Quinzaine Littéraire, n° 917, 2006, p. 13 ; « En faveur du témoignage », op. cit., p. 96 ; « Un posthume de Robert Walser », op. cit., p. 12.
[102] « Magique Walser », La Quinzaine Littéraire, n° 658, 1994, p. 15.
[103] Idem ; « Un posthume de Robert Walser », op. cit., p. 11.
[104] « Les "petits textes" de Robert Walser », op. cit., p. 13.
[105] « Magique Walser », op. cit., p. 15.
[106] Idem.