Pedro Kadivar | Quarantième nuit d’été
Cherchant une certaine élévation de sa pensée, persuadé que cela l’aiderait à vivre dans la ravageuse platitude des paysages où il marchait, cherchant dans sa pensée, sans nul geste apparent du corps qui, muet, continuait sa marche, une certaine élévation qui lui donnerait l’élan de celui qu’il voyait marcher en lui, la cherchant dans l’image de l’herbe qu’il venait d’écraser sous ses pieds et qui se relevait aussitôt après, une image qui se confondait avec son enfance, par l’impatience verticale avec laquelle il traversait rues désertes, rues peuplées d’âmes vides, d’âmes désertes regorgeant d’images, d’âmes bavardes, sympathiques, étroites, de vastes âmes auréolées d’incertitude millénaire sur la vie humaine depuis son origine, sur l’éclosion de la joie, la genèse toujours inattendue du bonheur, la lente composition du chant sous la menace incessante du mutisme, cherchant ainsi une certaine élévation de sa pensée pour simplement en expérimenter le mouvement, en éprouver la sensation, en présager modestement la possibilité quand tout criait misère dans les alentours, dans les rues où il marchait, fidèle à la verticalité atteinte autrefois quand, très petit, il réussit à se tenir debout pour la première fois sans aucun soutien, en souvenir de ce premier instant de verticalité qui fit coïncider en lui la force et l’absolue solitude et qu’il se rappelait à présent, avec précision et dans toute sa virginité, en pleine fatigue de cette nuit de longue marche, une fois entrevue la plus infime lueur d’une splendeur souveraine, ayant pressenti la capacité d’une élévation au-delà de tout mensonge, de toute trompeuse bienveillance, ayant subi l’épreuve du refus et la résonance du vide, retournant, ainsi, à la vitalité originelle d’une toute première élévation aux prémices de l’enfance en pleine fatigue de cette nuit d’une marche infatigable, il se tourna soudain, croyant entendre des pas derrière lui, et se vit lui-même enfant, confrontant avec effroi son visage impassible de l’enfant qu’il fut, lequel le visait du même regard innocent et torve qu’enfant il portait sur les adultes, exigeant de lui, homme à présent aguerri, avec la même acuité et la même douceur, de vivre de cette extrême vitalité qui le traversa lors de la toute première station debout, et qu’il retrouva en lui avec la fraîcheur de l’herbe jeune dès qu’il se retourna pour continuer sa marche.
20 janvier 2014