Pedro Kadivar | Trente-deuxième nuit d’été
La fin de l’intranquillité viendra avec le jour, se dit-il dans la nuit, elle viendra à l’aube avec le réveil, avec le premier geste du corps levé se dirigeant vers la fenêtre, se dit-il dans l’insomnie légère de cette nuit où la frontière du sommeil trembla et s’ouvrit à l’éveil, c’est elle qui me visite la nuit mais elle se dissipera à mon réveil si tant est que je m’endorme malgré elle avant la fin de la nuit, se dit-il encore s’essayant au sommeil mais sans obstination aucune qui, de mémoire d’insomniaque, fait fuir le sommeil. L’intranquillité n’est que pour quelques heures, se dit-il, elle ne tiendra pas davantage, ne survivra pas au soleil, partira en fumée au crépuscule et je me lèverai de nouveau comme hier en homme souverain pour regarder l’arbre qui repousse chaque matin devant ma fenêtre. Je serai l’enfant tranquille que je fus, se dit-il en cette nuit où il rêva dans son insomnie de jours tranquilles comme ceux qui avaient précédé cette nuit. Se dit-il mais la tranquillité ne vint pas. Ni à l’aube ni dans la belle journée qui s’ensuivit. Ni au crépuscule du soir ni dans la nuit qui s’ensuivit. Ni dans les jours et les mois, ni dans les années qui s’ensuivirent. Avec son intranquillité il traversa pays et paysages et perçut désormais tout à travers elle qui le fit vibrer dans son infime sommeil, qui le fit scintiller la nuit, et il perçut l’intranquillité de la nature autour de lui, celle de l’arbre et du vent, celle du vivant, disséquant avec une extrême précision le frémissement de la feuille et l’agitation de l’insecte, en gardant au fond de lui le vœu de tranquillité auquel jamais il ne renonça, qu’il soigna en lui et fit vivre et respirer en toutes ces années, alors même que l’intranquillité avait pris place en son corps, s’était établie en royauté incessante, devenue avec le temps une part de lui-même, résonnant désormais dans sa voix et figurant sur son visage, stigmates reconnaissables d’incertitudes, jusqu’une nuit d’été où, en plein milieu de sa vie, il entreprit comme à son habitude une longue marche pour renforcer sa foi en les choses, et à un moment de repos, assis face au ciel étoilé et savourant le vent frais qui effleura sa peau, se dit qu’en lui l’intranquillité n’aura pas de fin, et la foi avec laquelle il murmura ces mots inaugura en lui un calme profond tel qu’il n’en avait encore jamais connu.