Pedro Kadivar | Vingt-quatrième nuit d’été
Il vous faut plus de légèreté dans l’âme. Une sorte d’atmosphère maritime où voguent navires et voiliers, un ciel de mouettes, un peu de vent entre les orteils, un peu de doute dans les plis du cerveau, au coin de la pensée, pour aérer l’histoire, la vôtre, la complainte du meurtrier qui appelle l’autre en vous, celui de tous les temps en chacun de ceux qui vous habitent. Il faut que la brise vous traverse, qu’elle fasse danser les arbres en vous, remuer eaux et forêts. Il vous faut, en cette nuit, être vous-même l’eau qui jaillit et coule. Il vous faut être vous-même ruisseau, pensez-y, être un ruisseau une nuit d’été, qui traverse les alentours. Il vous faut inaugurer d’autres paysages, d’autres ciels en vous. Il existe sans doute d’autres mots derrière les nuages. Il faut que l’intimité s’y déploie.
Autrefois quand vous descendiez les marches, souvenez-vous du souvenir d’un corps léger qui vous portait. Autrefois, tout en nuances, un tremblement de l’instant en vous qui vous fit bondir hors de l’instant, le creux d’une habitation bâtie par l’humain, pour l’humain, afin de l’abriter le temps de cet instant. Y a-t-il plus léger que le temps ? vous demandiez-vous, souvenez-vous, autrefois. Oui, peut-être l’air, vous répondiez-vous, souvenez-vous, autrefois. Et cet autrefois, qui se prolonge en vous, l’ancien si frais, si léger, l’avenir de ce que vous fûtes un jour, la pointe du fœtus épousant l’instant, le premier instant d’un vous maritime avant d’atteindre le terrien en vous, souvenez-vous, autrefois. Qu’est-il donc arrivé par la suite, par les temps qui coururent, par accélérations ou ralentissements multiples et sans interruption, que devint l’interruption en vous, aujourd’hui qu’est-il advenu d’elle ?
Afin d’être aérien il vous faut descendre des hauteurs, marcher là où la terre est la plus basse, quand elle s’abandonne à la mer. Pour être à la hauteur de l’instant il vous faut descendre des sommets. Il vous faut être la crête de la vague, éprouver l’ascension irréversible des flots puis revenir au creux et vous aplatir, éprouver l’étendue fluide de la vastitude.
Il vous faut ne plus falloir.