Poésie et engagements

Le Patriote Côte d’Azur, hebdomadaire qui fête cette année le soixantième anniversaire de sa création - c’était en août 1944 ! - propose, à son numéro 1943 de la semaine du 17 au 23 décembre, un supplément gratuit intitulé « Poésie et engagements ».

C’est un très beau cahier de 24 pages, illustré entre autres de gravures d’Ernest Pignon-Ernest, et réalisé par quelques-uns de ceux qui font vivre la poésie dans la région : Raphaël Monticelli, Denis Chollet, Alain Freixe, Yves Ughes, Christian Arthaud, Katy Rémy, Odile Gattini, Philippe de Nans, Jacques Simonelli, Paule Stoppa...

Et en effet, elle y vit, voyez-vous, voilà ce qu’on comprend vite, avec bonheur.

Elle y vivra mieux encore, donc, grâce à cette parution généreuse, inattendue, et qui dresse un tableau, qui semble exhaustif, de l’activité des poètes, des plasticiens, des revues, des associations, des éditeurs, de tout ce qui soutient et anime l’inquiétude poétique sur la côte d’Azur, laquelle n’est donc pas seulement le piège à touristes qu’on sait.

Le cahier situe l’activité poétique à la fois dans l’histoire régionale, mais aussi par rapport à l’histoire de la poésie française, dans ses rapports à l’engagement. Chaque auteur sollicité l’a donc été dans cette perspective, et dit simplement ce qu’il en est de sa résistance, à lui, sur ce « sol mouvant » qu’est le poème, comme le dit Christian Arthaud dans un long et bel article : « D’une parole à l’autre ».

Voici l’approche que Monticelli, Freixe et Ughes proposent de l’engagement en poésie, le thème fédérateur de toutes ces contributions :

Littérature engagée ou littérature qui m’engage ?

S’engager ? La belle affaire ! Embarqués, nous le sommes. Et ce monde est bien mouvant, imprévisible et dangereux. Rien n’est plus comme hier et nous n’avons pas la moindre idée de ce que pourra bien être demain. Le passé ne nous dit plus rien et le futur s’est fermé. Entre le monde et les mots, entre les deux, l’écriture poétique trace des chemins de hasard dans le brouillard pour ramener jusqu’à nos rivages au moins quelques images.
Je crois en ces mots de Michel Leiris : « Beaucoup plus qu’à une littérature engagée, je crois à une littérature qui m’engage. » A quoi ?
Tout à trac... : à défendre moins l’homme que cette chance d’homme qu’est tout homme.
Quels que soient ses choix politiques, l’engagement poétique du poète dépend moins du contenu manifeste de son texte - il y a parfois là de vrais pièges. Et en guise de cris, de simples échos - que du travail de déplacement qu’il exerce sur la langue, de la manière dont il considère les mots, non plus comme de simples instruments mais comme les éléments d’une machinerie possible où ça explose, appelle, rappelle, où c’est coloré, savoureux, bref où c’est délié de toutes les déterminations préétablies et de toutes les appartenances reçues.
Souffle là un vent tisonnier auquel se prennent les possibles de tout matin.

Jean-Marie Barnaud

17 décembre 2004
T T+