Portrait de soi, portrait des autres
Première rencontre au musée d’Orsay avec les élèves lycéens de Chantal Anglade et de Nicole Roulet-Lacaule, professeur d’E.P.S. : des visages, des rires, des amitiés, des silences, des questions, des rêves, de la réserve.
En voici quelques-uns :
Adrien, Laura, Elodie, Nicole, Anissa
Nicole, Elodie, Anissa, Mickaël
Amira et Sophie
Déborah
Ces élèves regardent aujourd’hui des tableaux de peinture au musée, ils dansent des tableaux qu’ils créent en cours d’E.P.S., ils écriront avec nous. Pour l’instant ils ne connaissent de l’écriture en classe que celles des autres, dans ce grand exercice vers l’extérieur qu’est celui du commentaire et cette discipline scolaire qui mène vers les épreuves cette année du baccalauréat.
De l’écrivain, en visite avec eux au musée d’Orsay, ils savent qu’elle vient de publier une « biographie » d’Edvard Munch, dans la collection L’un et l’autre chez Gallimard, ils ont lu les premières pages et les pages 50-51 : l’écriture, alors, c’est cela, une relation entre une réalité, un peintre ici, que l’on recherche comme un temps perdu et un écrivain qui permette qu’on la lise. Le Biographique est au programme de Première, on a emmené vers l’atelier d’écriture sans faire de vagues encore.
Juste dit de se méfier :
Depuis leur enfance, dit Munch en désignant buveurs et dîneurs autour d’eux, ils savent que la couleur de l’herbe est le vert, la couleur de la peau le rose. On le leur a appris à l’église, à l’école, en théologie comme en mathématiques, leurs parents le leur ont répété, leurs oncles et tantes le leur ont fait recopier ; leurs frères et sœurs l’ont ânonné, alors ils voient, véritablement voient l’herbe verte, la peau rose, alors ils voient, réellement voient le ciel bleu, les pierres grises, et la couleur de ce qu’ils voient est pour eux indissociable de la chose. (Si c’est l’enfer qu’il voit, p.50-51.)
La conférencière parle de Manet qui peint dans ses tableaux la lumière dite naturelle, ses nuances, ses ombres bleutées, longues ou courtes, douces ou brutales, selon les heures.
Il y avait pourtant de la lumière, avant Manet !
Une lumière sue plutôt que vue ?
Nous regardons son Olympia qui nous regarde et s’étonne de nous.
Regarder Baudelaire présent, vivant, dans l’Hommage à Delacroix de Fantin-Latour bouleverse toujours.
« Il fallait être moderne », dit la conférencière. L’imparfait sonne étrangement. Et aujourd’hui, le faut-il encore ? On s’exclamerait presque « évidemment, comment faire autrement ! » si on ne savait d’expérience quel travail difficile c’est de se tenir face à ce qu’on voit, ce qu’on lit, ce qu’on vit, ce qu’on aime, ce qu’on pense, face aux autres et à soi (plutôt que face à ce qui a déjà été dit, pensé, etc), face à la chose réelle, vue, écrite, peinte.
[…] il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid dans l’habit d’une époque, que de s’appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui y peut être contenue, si minime ou si légère qu’elle soit. La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien : la plupart des beaux portraits qui nous restent des temps antérieurs sont revêtus des costumes de leur époque. Ils sont parfaitement harmonieux parce que le costume, la coiffure et même le geste, le regard et le sourire (chaque époque a son port, son regard et son sourire) forment un tout d’une complète vitalité. Cet élément transitoire, fugitif, dont les métamorphoses sont si fréquentes, vous n’avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer. En le supprimant, vous tombez forcément dans le vide d’une beauté abstraite et indéfinissable, comme celle de l’unique femme avant le premier péché. Si au costume d’une époque, qui s’impose nécessairement, vous en substituez un autre, vous faites un contresens qui ne peut avoir d’excuse que dans le cas d’une mascarade voulue par la mode. (Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne.)
Nous passons devant Les Raboteurs de parquet de Gustave Caillebotte dont a parlé Catherine Pomparat dans Contemplation d’une varlope, devant un Autoportrait de Vincent Van Gogh qui écrivait :
Ce qui fait que nous travaillons encore, c’est l’amitié qui existe entre nous, c’est l’amour de la nature, et, enfin, quand on s’est donné tant de peine pour devenir maître de son pinceau, on ne peut plus lâcher la peinture. Comparé aux autres, j’appartiens encore aux heureux, mais demandez-vous un peu ce qu’il doit en être de quelqu’un qui entré dans la carrière, est forcé d’abandonner avant d’avoir fait quelque chose. Et il y en a beaucoup comme cela.
Dites-vous que dix années sont nécessaires pour apprendre le métier. Celui qui en a passé six, ayant fait toutes les dépenses nécessaires, et qui doit ensuite abandonner, si vous saviez combien c’est misérable. Et combien sont dans ce cas !
Les hauts prix dont on entend parler paient le travail de peintres morts qui n’ont jamais été payés ainsi durant leur vie. C’est une sorte de commerce de tulipes, où les peintres vivants ont plus de désavantages que de profits, et cela aura une fin, tout comme le commerce des tulipes.
On peut toutefois raisonner et dire que, bien que le commerce des tulipes soit depuis longtemps ruiné et oublié, les horticulteurs demeurent, et continueront d’exister. De même, je considère que, pour la peinture, ce qui en restera sera comme la culture des fleurs. Quant à cela, je me tiens pour heureux d’y être. Mais le reste ! (Lettre à sa mère, octobre 1889.)
Le premier atelier d’écriture aura lieu le mercredi 24 janvier, nous regarderons des autoportraits du peintre Max Beckmann.