Qui a tué Sloan dans la cuisine ?
Le Point final, cet endroit qui fait peur tant il est terminé, veille au juste partage des choses. Au moment où Johnny veut poser la question, il perd l’usage de la parole. Le héros est mouillé, il pleut à verse dans le couloir de l’hôpital psychiatrique. Les images de Shock Corridor montrent l’intérieur pour l’extérieur, mais sans forcer le nom : le corridor s’appelle “la rue”. Dans un déluge de champ-contrechamp, de part et d’autre d’une porte ni transparente, ni opaque, l’indécidable entre le réel et le fantasme se confond avec la violence de deux hallucinations incompatibles. L’un rêve de gagner la bataille, l’autre de trouver la vérité. Il trouvera “la vérité”. Il en deviendra fou. La porte n’est peut-être pas une porte ? Pourtant des formes humaines apparaissent sur le côté dans l’épaisseur du verre dépoli et dans un croissant de lune découpé sous un motif végétal, trois petites étoiles irradient.
Le Contrechamp bouleverse l’usage même de la parole. Le délire onirique produit une couleur violine qui fond dans la peinture. Un rêve exotique se fait en couleurs. Dans le film en noir et blanc viennent des formes auxquelles le regard est arrêté : le clap ne permet plus d’identifier les plans du tournage, il est relié par une sangle sans complaisance à une sorte de batterie électrique utilisée dans le traitement de certaines affections mentales. L’électrochoc enlève la mémoire, engourdit la pensée et le coeur. Johnny, comme Antonin, est devenu l’« absent qui se connaît absent ». La couleur pourpre convient pour recouvrir l’intérieur d’un cercueil. Le journaliste de Shock Corridor à la poursuite du Prix Pulitzer est poursuivi par son double déjà mort. La complicité avec la folie ne laisse pas indemne : les impressions sont renversées au travers d’une cible sans centre et les quatre bobines de pellicule sont coupées en deux.
Contreplongée ne montre pas Cathy (la femme qui dans le film aime Johnny) nager en apnée à la rencontre d’une sirène. Comme vu du bas vers le haut, le tableau élève les yeux au dessus du niveau de la mer, où l’espace d’une île fait signe en deux portants arqués et gradués, l’un de nuit, l’autre de jour. La nuit, la femme fait du striptease, par nécessité économique, pour mieux vivre le jour avec son amant. Elle, elle s’offre aux regards des voyeurs pour ne pas végéter dans la pauvreté ; lui, il s’expose aux regards des fous pour sa reconnaissance professionnelle, pour sa gloire il veut découvrir l’assassin, et il ne voit pas le danger qu’elle a vu dès le commencement. Même la femme aimée, l’homme ne la voit plus. Ici, elle est sirène, au cinéma, elle est sorte de poupée Barbie. Cathy échappe à Johnny, mais reste dans son imaginaire. Plus la femme miniaturisée s’éloigne du réel, plus elle revient dans la tête de l’homme. La folie c’est une question de degrés. Une barre d’appui permet au spectateur de ne pas perdre l’équilibre.
L’Angle de vue correspond à la logique de la situation. La folie mêle tout. Le montage final —final cut en anglais— peut considérablement modifier la compréhension et la perception du film. Tout d’abord, il s’agit de construire une fiction. Après un premier bout-à-bout des séquences, l’histoire finissait mal, le film était insupportable. Le peintre montre une autre fin avec quatre plans verticaux qui métamorphosent la vie des formes. Les matières artistiques ne dédoublent pas celles d’une réalité bloquée par une méthode de circonstance. Le film ne dit pas quelque chose de vrai, mais écrit avec des mots véridiques. Le cinématographe est une écriture plus redoutable que la folie s’il est conçu par des explications exclusives et unilatérales. Alors, sans crainte et en toute confiance, une carte des fonds sous-marins fait l’effet d’une vue plongeante, une colonne de mots d’amour manuscrits restitue un lieu parallèle au sol, un point de vue proche de la vision humaine fait voir quelques figures humaines, un angle de portée illimitée ouvre sur le bleu du ciel.
Toutes œuvres peintes reproduites copyright Alain Lestié.
Voir le site d’Alain Lestié
Actuellement à Eysines, près de Bordeaux, et jusqu’au 9 septembre 2007, l’exposition « De temps en temps ». Lire article ci-joint de Christian Grené, Sud-Ouest, 14 août 2007.
[1] Citation d’après Euripide du générique de début et de fin du film SHOCK CORRIDOR de Samuel Fuller.