Shoshana Rappaport-Jaccottet | Occupations



Ces textes brefs appartiennent àune série intitulée « Météorologie du présent simple  ».
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             Occupations

             Â« L’amour est une occupation de l’espace.  » Décidément, je ne suis pas un allié sà»r. On ne rêve plus. (Ailleurs, le creux.) On ne travaille plus. Il faudrait courir. Essoufflés nous voilà. En somme, éviter l’essoufflement. Alors quoi ? On a perdu l’étendue. Qu’est-ce qui crépite encore ? J’écris. Les poutres, le plafond, l’assise. Où trouver la courbure de la terre ? ( Fatigue partout et pluies.) On n’est pas pressé de savoir. Rejeter, bousculer, vider son âme. Défendre les aromates. Anéanti quant àla hauteur. (Ainsi, déjà, l’on nous congédie ?) Au mieux, silence, silence àl’ombre.
             Nous sommes assiégés, repus, éloignés du bord. Moments de bruissements, d’élagage intense. Nous voici revigorés. Les mots comme des tours, des remparts. De fragiles certitudes. L’équilibre tarde. Je dois m’y reprendre àplusieurs reprises. À quoi peut-on s’agripper, si ce n’est àcet horizon, àce mur, àce ciel abattu ? De quoi s’embarrasser ànouveau. Est-on dupe finalement ? Morne grisaille du temps. On se range du côté de la patience. On aimerait s’y ranger. Bien. La tête s’obstine. Le cÅ“ur suit. Le reste piétine curieusement.

 

             Propriétés

             Donc, irrécusable nécessité de parcourir le champ du possible. Doute fondamental laissant la porte ouverte àtoute contestation. Voilà. Début difficile du récit. Maintenir le suspens, le détail de la phrase, le mouvement. Faire apparaître l’élément contingent, une sorte de poupée russe. Comment éviter l’échec ? Avoir conscience de sa limite, définir celle-ci pour la dépasser. (Pauvres travers.) Se documenter. Tenir tête. Progresser dans l’effort comique malgré lui. Menus faits et gestes de la vie. Énergie décuplée qui supplée le manque. Remise en question, matière àécriture. Sensation étrange, comme familière de l’inadéquation. Plus de traits. Je n’habite plus en ces lieux. Moment de faible importance pour autrui. Je n’y vois rien. Séparation stricte de deux mondes. Ce passage porteur, en soi. Et qui, toujours toujours, était. Seul en lumière. Seul sur la scène invisible. Craindre de ne pas faire bonne figure. (Le cercle se retrécit.) Voltiger par-dessus la banderille.

 

             Séquence

             Un poteau indicateur. L’époque des illuminés. Abrasement. Bon. S’y remettre, s’obstiner, ne pas différer. Où ? Quoi ? Comment ? Vieilles questions. Rompre une allumette. Chercher une ligne pour le plaisir des lignes. Joies allusives. Quant au crayon, on passera l’éponge. Énumération. (Silence strident dudit crayon.) Il faudrait être équipé. Projection subite. On est content. Tracer la route. Une flamme nue, légère, point davantage. Un zéphyr. Voilàcomment les choses se passent. On verra plus tard. Avoir été. Un refuge c’est encore plus sà»r. Attente de la douceur. Élargissement des jours. Sans chandelier. Les lendemains sont beaux. Commencement. Collision de deux contraires. Influence ancienne du style. De manière impitoyable, sur le sol impitoyable de la pièce, avec une force de contention. L’enjambée vous lâche, vous atteint. (Mélancolie palpable d’un portrait de soi oublié.) Hantise du saut autobiographique. Le degré infini du roman. Rien àvoir. Creuser jusqu‘àl’irrespirable. Prestige du mot comme un trop-plein. Langage, matière pure d’observation. Sur le sol irrécusable de la pièce. Modeste richesse soustraite au regard. Saisir des arêtes d’enfance. Vivre au ras des choses, des rainures. Définir la limite — avouant l’insuffisance. Jeu de patience, mikado imaginaire. Garder le mouvement de fond, l’objectif intelligible de la phrase. Un dessein indiqué du doigt, àcorps et àcris.

 

             Tracer

             Tracer des lignes encerclantes. Démangeaison. Ce qui compte c’est le rapprochement. Possible connivence. Porte entrouverte. Et jeu qui diversifie. Face solaire. Au commencement est la répétition. La bonhomie des visages peints, déterminés, résolus. Tentation réprimée. (Vouloir s’arrêter.) L’utile et difficile poignée. (Des passions de l’inavouable passent en creux.) Savoir-faire patient. Ondulation prospère du trait. Puis, période grave qui désarçonne et rétrocède. Quoi ici ? Bribes de paysage mental. Chemin accueillant, matinal, porté àcroire l’incroyable, l’extraordinaire. Où se cacher. Ce jour-là. À cet instant propice. Savoir attendre. Lent apprentissage de l’attente. Puits insondable et banal. L’expérience inaugure une transition. (Hors de l’habitude, dont on ne retient ni la beauté première ni l’enchantement.) L’équation n’est jamais simple. Butin toujours disponible, toujours imprévu.


Image Philippe De Jonckheere, Faux raccord, photographie numérique, le Bouchet de la Lauze, 2006

12 mars 2009
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