Sous le néflier, roman de Jacques Serena
Quelques heures après la parution de cet article, Jacques Serena lira au cours d’une soirée organisée par Remue.net un extrait de Sous le néflier : venez nombreux !
Il avait lu Darnal lors de la première Nuit remue en juin 2006.
Le néflier produit des nèfles qui sont des fruits bruns qui se consomment en général blettes. Après récolte au mois d’octobre, la nèfle se mange un à deux mois après conservation dans un local frais. Ces fruits laissent dans la bouche un goût sur.
Le titre du dernier roman de Jacques Serena paru en septembre 2007 aux éditions de Minuit est trop botanique pour être simple et il n’a rien d’un lieu commun comme le serait Sous le marronnier, Sous le chêne, Sous le cerisier, Sous le cocotier – arbres sous lesquels il n’est pas étonnant de s’arrêter, de se reposer. Pas de repos ici pour un narrateur sortant tout juste d’une visite chez le chirurgien qui vient de l’opérer de la bouche, comprend-on, et lui donne un sévère avertissement : il faut « changer absolument », « changer ou crever », accepter de mieux se nourrir ( et pas seulement de coquillettes, de thon bon marché), de ne pas parler à tout vent, et de mieux embrasser.
La nèfle est bien insignifiante au sens où « être payé des nèfles » c’est être payé bien peu. Pourtant, dit le proverbe qui incite à la patience, « avec la paille et le temps mûrissent les nèfles et les glands ».
Il y a ces deux mouvements dans le récit de Jacques Serena : c’est la représentation d’une parole en flots continus qui ne vaut pas deux nèfles tant elle n’atteint pas son but et c’est la démonstration pourtant patiente que l’amour n’est pas dans les mots, quand bien même des « experts » écrivent des livres sur la passion, répète le narrateur.
Ce narrateur est un rat, disent ceux qui le côtoient, radin, qui mange au plus économique, saucisses, boîte de maïs et pâtes, qui réutilise les sachets de thé, qui compte mentalement les litres d’eau enfuis et le montant de la note d’électricité quand sa femme et ses filles prennent une douche, et qui pourtant constitue sa pelote. Et c’est la rupture, et la vie en solitaire dans un studio de célibataire.
Un matin, il se voit dans le reflet dans la fenêtre « en train de finir un fond de coquillettes au thon dans [son] bol avec [ses] doigts » : « Pris conscience de mon regard qui ne regardait rien, du retroussis de mes lèvres sur mes dents. Pris conscience chez moi d’une solitude élémentaire, animale ». C’est le deuxième avertissement. Il décide de s’offrir un gâteau : la boulangère lui explique que la pâtisserie qu’il choisit ne se vend que par douzaine en assortiment. Il lui faudra encore un peu de temps pour les acheter, ces gâteaux, il avalera en solitaire ce qui « moralement » revenait à sa femme et ses filles : « Je mâchais de l’amoralité, me sentais libre. Prêt pour accueillir du doux chaos. Qui était à ce prix, je le sentais. Qui venait quand il devenait nécessaire au salut ».
Inutile de raconter le roman : la nèfle vient à maturité, à la fois délicieuse et un peu sure, et il ne s’agira pas de décider si ce narrateur (un écrivain, qui fait des lectures dans des bibliothèques) est un type bien ou pas, son long monologue accompagne dans un rythme impatient le patient changement recommandé à la première page. On avait du mal à y croire, les mots en logorrhée ne permettaient guère de l’espérer, ce sont pourtant eux qui le démontrent.
Sur Remue.net :
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