Sylvie Gracia, Mes clandestines, un roman d’aventures
Mes clandestines de Sylvie Gracia a paru aux éditions Jacqueline Chambon.
Des femmes. De toutes générations. Elles gravitent autour de la narratrice, alias l’écrivaine, Sylvie Gracia. Ou plutôt c’est l’écrivaine qui gravite autour d’elles. À la recherche des « images de soi que l’on ne voit jamais ». Cette phrase qu’elle applique au moment de la jouissance sexuelle, est une métaphore de Mes clandestines. « C’est le visage qu’il faut regarder » pendant l’amour, dit-elle. Alors Sylvie regarde. Les femmes. Puisqu’il s’agit de soi, d’elle. Une façon de revisiter le portrait, de l’actualiser à travers elles, Camille, Clémence, Mathilde, Tamina et quelques autres.
Sylvie Gracia prend des photos, il en était question dans son précédent roman, Le Livre des visages. Observer, saisir, livrer. La photo montre, et c’est tout. Dans ce tout, il y a tout, et rien encore. Il faut regarder à nouveau pour voir. La photographie ne s’arrête pas à la / au photographe, elle se déploie dans le regard des regardeurs. Et le regard n’est pas seulement des yeux, mais de l’imaginaire, de la mémoire, du corps, du désir.
Écrire emprunte à ce deuxième temps de la photographie. Écrire, c’est regarder une deuxième fois. C’est là que ça commence, que ça s’ouvre. Les pupilles se dilatent dans l’acte d’écrire. Et ce qu’on voit, on le voit avec une acuité de détails, dont la beauté égale la cruauté.
Ce n’est pas ce qu’on voit en vivant, on va trop vite, et puis vivre c’est être, ce n’est pas regarder. L’écriture est une activité clandestine par excellence. Les femmes du livre de Sylvie Gracia sont « ses » clandestines. Celles par qui elle se situe dans le monde. Depuis l’enfance jusqu’aujourd’hui. Depuis la mère jusqu’à ses filles. De la part solaire à la part noire. Entre pudeur et exhibition. Toutes « ses » femmes. Toutes « mes » femmes. Soi tout entière. Jamais tout entière. Regarder, ce n’est pas posséder. Ce n’est pas vivre non plus. Écrire vient après. Suspendre l’emportement du vivre, s’y arrêter, s’y enfouir, s’y cacher, s’y dévoiler. Mes clandestines raconte une vie, des vies. Des époques, du révolu, du récent. L’excitant dans l’écriture est qu’on s’y joue de la chronologie, comme on s’y joue de la réalité. Et que l’image qui se dessine est peut-être la seule forme de vérité à laquelle on accède.
À sa naissance, le portrait en peinture a été ce jeu du faux-(res)semblant. Un miroir, une image, un rêve de soi, pour soi, plus que pour les autres. Avec la photographie, est-ce qu’on a cru en finir avec l’approximation, la ressemblance ? Est-ce qu’on saurait qui on est ? Est-ce qu’on tiendrait là, entière, entier, dans une photographie ? Non bien sûr.
Si on devait se reconnaître absolument, tout se figerait. On disparaîtrait, l’image deviendrait noire.
L’écriture sait tout cela, depuis toujours. Elle n’est pas une image, elle en fabrique, à l’infini. La littérature est une métaphore. C’est la différence avec l’image. Mais peut-être que la photographie n’est pas autre chose ?
S’approcher toujours plus près, avec plus de justesse, de rigueur, d’économie, « l’écriture comme un couteau », dit Frédéric-Yves Jeannet d’Annie Ernaux, dont la lumière et la liberté de transfuge brillent sur Mes clandestines.
Il faut avoir un peu vécu, un peu écrit pour se rapprocher. Sylvie Gracia est à ce moment de l’écriture et de la vie qui lui permet d’embrasser sans enfermer ni clore. Les femmes de sa - de ma - génération comprendront en lisant. Certaines de ses « héroïnes » aussi. Les autres, plus jeunes, verront dans ce vertige du temps une aventure. Et c’est bien cela qui nous est donné à lire, un roman d’aventures. Pas un roman sentimental, pas un roman historique, pas un roman de génération. Un roman d’aventures contemporain. Franchissant les cultures, les âges, les genres, les catégories – de l’Aveyron à la capitale, des culturelles aux populaires, des anonymes aux célèbres, en se mélangeant s’il vous plaît !
Sylvie Gracia a trouvé comment renouveler le genre en l’explosant. Elle a son propre traitement des qualités inhérentes au roman d’aventures, la multiplication des personnages et le goût des péripéties, autrement nommées désir, mort, sexe, identité, à partir d’une question, plus drôle que tragique : « Comment fait-on pour naître d’une femme et devenir une autre femme ? »
Sylvie Gracia prend des photos, il en était question dans son précédent roman, Le Livre des visages. Observer, saisir, livrer. La photo montre, et c’est tout. Dans ce tout, il y a tout, et rien encore. Il faut regarder à nouveau pour voir. La photographie ne s’arrête pas à la / au photographe, elle se déploie dans le regard des regardeurs. Et le regard n’est pas seulement des yeux, mais de l’imaginaire, de la mémoire, du corps, du désir.
Écrire emprunte à ce deuxième temps de la photographie. Écrire, c’est regarder une deuxième fois. C’est là que ça commence, que ça s’ouvre. Les pupilles se dilatent dans l’acte d’écrire. Et ce qu’on voit, on le voit avec une acuité de détails, dont la beauté égale la cruauté.
Ce n’est pas ce qu’on voit en vivant, on va trop vite, et puis vivre c’est être, ce n’est pas regarder. L’écriture est une activité clandestine par excellence. Les femmes du livre de Sylvie Gracia sont « ses » clandestines. Celles par qui elle se situe dans le monde. Depuis l’enfance jusqu’aujourd’hui. Depuis la mère jusqu’à ses filles. De la part solaire à la part noire. Entre pudeur et exhibition. Toutes « ses » femmes. Toutes « mes » femmes. Soi tout entière. Jamais tout entière. Regarder, ce n’est pas posséder. Ce n’est pas vivre non plus. Écrire vient après. Suspendre l’emportement du vivre, s’y arrêter, s’y enfouir, s’y cacher, s’y dévoiler. Mes clandestines raconte une vie, des vies. Des époques, du révolu, du récent. L’excitant dans l’écriture est qu’on s’y joue de la chronologie, comme on s’y joue de la réalité. Et que l’image qui se dessine est peut-être la seule forme de vérité à laquelle on accède.
À sa naissance, le portrait en peinture a été ce jeu du faux-(res)semblant. Un miroir, une image, un rêve de soi, pour soi, plus que pour les autres. Avec la photographie, est-ce qu’on a cru en finir avec l’approximation, la ressemblance ? Est-ce qu’on saurait qui on est ? Est-ce qu’on tiendrait là, entière, entier, dans une photographie ? Non bien sûr.
Si on devait se reconnaître absolument, tout se figerait. On disparaîtrait, l’image deviendrait noire.
L’écriture sait tout cela, depuis toujours. Elle n’est pas une image, elle en fabrique, à l’infini. La littérature est une métaphore. C’est la différence avec l’image. Mais peut-être que la photographie n’est pas autre chose ?
S’approcher toujours plus près, avec plus de justesse, de rigueur, d’économie, « l’écriture comme un couteau », dit Frédéric-Yves Jeannet d’Annie Ernaux, dont la lumière et la liberté de transfuge brillent sur Mes clandestines.
Il faut avoir un peu vécu, un peu écrit pour se rapprocher. Sylvie Gracia est à ce moment de l’écriture et de la vie qui lui permet d’embrasser sans enfermer ni clore. Les femmes de sa - de ma - génération comprendront en lisant. Certaines de ses « héroïnes » aussi. Les autres, plus jeunes, verront dans ce vertige du temps une aventure. Et c’est bien cela qui nous est donné à lire, un roman d’aventures. Pas un roman sentimental, pas un roman historique, pas un roman de génération. Un roman d’aventures contemporain. Franchissant les cultures, les âges, les genres, les catégories – de l’Aveyron à la capitale, des culturelles aux populaires, des anonymes aux célèbres, en se mélangeant s’il vous plaît !
Sylvie Gracia a trouvé comment renouveler le genre en l’explosant. Elle a son propre traitement des qualités inhérentes au roman d’aventures, la multiplication des personnages et le goût des péripéties, autrement nommées désir, mort, sexe, identité, à partir d’une question, plus drôle que tragique : « Comment fait-on pour naître d’une femme et devenir une autre femme ? »
19 avril 2015