Une histoire des visions et instructions I [six pas]

Maya Andersson, Peintures. Exposition à la Chapelle Saint-Loup, 9-15 juin 2012
Le site de Maya Andersson

Emmanuel Hocquard, AVANT. Une Grammaire de Tanger - épilogue
cipM, avril 2012

Le cipM réunit dans un coffret quatre publications d’Emmanuel Hocquard dans la collection « Le Refuge en Méditerranée » :
…¢ Une grammaire de Tanger, janvier 2008, réédition avril 2012.
…¢ Les babouches vertes, avril 2009.
…¢ Les Coquelicots, avril 2011.
…¢ Avant, avril 2012.
Il comporte en plus un hors série des ’ ’ ’ Cahiers du Refuge ’ ’ ’,
Terrasse à la kasbah, écrit par Emmanuel Hocquard, lors de sa résidence à Tanger.

Soutien au cipM

Appel
Lettre ouverte d’Emmanuel Ponsart

« Faire jouer un mot, c’est le faire entrer, non dans une phrase mais dans un agencement. » (Emmanuel Hocquard, Les Coquelicots, Une Grammaire de Tanger III, “La Règle du jeu”, cipM, 2011.)

Il incombe au peintre de paysages de trouver les formes géophysiques et les ruptures de couleurs des territoires parce que les principes des choses échappent à notre vue. (Lucrèce)
Avant de regarder le tableau et de voir la peinture, il incombe au poème d’affranchir les regards de toute discrimination visuelle et de mettre “ Une histoire des visions et instructions” en mouvement.

Avant d’entrer dans Les Conditions de lumière des peintures, je lis les poèmes et les yeux de ma bouche s’emplissent de leurs mots et de leur agencement.

La tableau est en suspens. Entre espaces indéterminés et lieux nommés, des phrases vont se fondre sur la surface peinte. Une liste est accueillante à la lumière : un ciel de Paros, un barrage d’Assouan, un matin à Forel, un lac de Vassivière, un petit pan de mur rose dans la vallée du Lot, un puzzle forestier à Bernifal, une bande de terre à Mérilheu ...

Le monde est le monde qui arrive dans le tableau.
La couleur est la couleur qui arrive dans la peinture.

Le catapoème prend forme en parties mêlées de six pas et six mots.
« Ce qui coule entre elles, le récit proprement dit, les sépare et les rapproche. » (Emmanuel Hocquard, AVANT, ouvrage cité, “La disparition du détroit”.)
Chacune des parties renvoie sans distinction aux peintures de Maya Andersson exposées à la Chapelle Saint-Loup de Saint-Loubès et au récit de ces peintures écrit par l’artiste dans la « Correspondance e-mail 4 » (février 2011-mars 2012).
Dans ce livre « réside l’avant ».

Chaque peinture « est une histoire vraie ». « Comme si une histoire pouvait être autrement que vraie ! » (Emmanuel Hocquard, AVANT, ouvrage cité, “L’annuaire téléphonique”. )


Maya Andersson, Le Lot, huile sur toile, 2012, 130 x 150 cm


Premier pas/le mot montagne

Comme je suis debout dans la marche
la montagne se montre à moi
et me donne une connaissance plus profonde de la montagne.

Elle m’appelle et elle me dit
« le mot a le sens d’un autre dans le tableau. »

La terre plisse la vallée en vert pomme
en haut/ le premier éclat rougit une bande de terre
ainsi une taupinière surgit dans une prairie.

une ligne [de fuite] change [de suite] tous les plans
le pas dévie à sens inverse

Il n’y a plus que la surface des couleurs,
montagne à mon corps défendant.

La lumière entre par un torrent de pierres à Mérilheu,
AVANT. Sert à marquer une priorité de temps.

Une préposition garde-t-elle la mémoire de la montagne ?

Je fixe mon désir sur un renfoncement.


Deuxième pas/le mot faille

Comme je fixe mon désir sur un renfoncement
une faille se montre à moi
et me donne une connaissance plus profonde de la faille.

Elle m’appelle et elle me dit
« la phrase a le sens d’une autre dans le paysage. »

L’aplat crevasse l’apparence en falbala
en bas/ le deuxième éclat se dote d’un ton de lèvres
ainsi un dard surgit sous un tas de pierres.

une histoire [de scorpions] change une histoire [de mimosas]
le souvenir dévie à contresens

Il n’y a plus que la surface des contraires,
faille à mon corps défendant.

La lumière entre par une étoffe d’Assouan.
AVANT. Sert à marquer une priorité de rapport.

Une préposition garde-t-elle la mémoire d’une faille ?

J’entrevois un moment dans la brume.


Troisième pas/le mot nuage

Comme j’entrevois un moment dans la brume
un nuage plein d’eau se montre à moi
et me donne une connaissance plus profonde du nuage.

Il m’appelle et il me dit
« la vue a le sens d’une autre dans le monastère. »

Le poème découpe les paroles en fragments
devant/ le troisième éclat soulève des halots
ainsi un chemin surgit dans une étoffe.

une couleur [de paroi] change une couleur [de tesson]
le fond dévie la forme à contre ton

Il n’y a plus que la surface de l’instant,
nuage à mon corps défendant.

La lumière entre par une Grammaire de Tanger,

AVANT. Sert à marquer une priorité d’agent.

Une préposition garde-t-elle la mémoire du nuage ?

Je me dépouille du déterminant de l’action.


Quatrième pas/le mot question

Comme je me dépouille du déterminant de l’action
une question se montre à moi
et me donne une connaissance plus profonde de la question.

Elle m’appelle et elle me dit
« Le tableau a le sens d’un autre dans l’écriture. »

La proportion pose la table en regard
un jour avant/le quatrième éclat jette un suspens
ainsi quelque chose surgit dans une grammaire.

une partie [de champ] change une partie [de peinture]
le petit pan de mur rose dévie à dents de scie

Il n’y a plus que la surface du plan,
question à mon corps défendant.

La lumière entre par une vallée du Lot,
AVANT. Sert à marquer une priorité de source.

Une préposition garde-t-elle la mémoire d’une question ?

Je fais petit ruisseau grande rivière.


Cinquième pas/le mot ru

Comme je fais petit ruisseau grande rivière
le ru se montre à moi
et me donne une connaissance plus profonde du ru

Il m’appelle et il me dit
« le silence a le sens d’un autre dans le plan. »

L’audible encadre la portion de couleur en plein
au milieu / le cinquième éclat parle de ce que c’est que voir ce jour-là
ainsi un cours d’eau surgit dans le dessin.

un format [de tableau] change un format [de plateau]
l’étendue dévie la source à contre-courant

Il n’y a plus que la surface des sillons,
ru à mon corps défendant.

La lumière entre par le Lac de Vassivière,
AVANT. Sert à marquer une priorité d’amont.

Une préposition garde-t-elle la mémoire d’un ru ?

J’entends quelque chose dans l’instant.


Sixième pas/le mot livre

Comme j’entends quelque chose dans l’instant
le livre se montre à moi
et me donne une connaissance plus profonde du livre.

Il m’appelle et il me dit
« les colchiques ont le sens des pierres dans le jaune éclatant. »

Les instructions transforment le bout du monde en promesses
après la vie / le sixième éclat agit avant le sens
ainsi une force cosmique surgit dans le creux d’une source.

une grotte [de quatre cents mille siècles d’art] change une grotte [d’Agios Nikolaos]
une bourrasque dévie une porte à sortir de ses gonds

Il n’y a plus qu’une surface de peinture blanche,
livre à mon corps défendant.

La lumière entre par Bernifal,
AVANT. Sert à marquer une priorité d’égarement.

Une préposition garde-t-elle la mémoire d’un livre ?

Je lis qu’il écrit qu’elle dit qu’avant elle mangeait le vent.

Maya Andersson, Lac de Vassivière, huile sur toile, 2012, 120 x 150 cm

6 juin 2012
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