Anne Pauly et Claire Ferçak, histoires de vie et de mort
Il y a quelques mois, Anne Pauly publiait son premier roman "Avant que j’oublie" aux éditons Verdier.
Ce mois-ci, c’est Claire Ferçak qui fait paraître "Ce qui est nommé reste en vie" chez Verticales.
La mort et la vie sont au coude à coude dans ces deux livres.
Anne Pauly a choisi ouvertement de parler de son père, "mon vieux père carcasse", géant unijambiste que l’alcool rendit tyrannique et que l’amour des mots relie irrémédiablement à sa fille, devenue écrivain. Ce père vient de mourir d’un cancer dans un hôpital de banlieue.
Claire Ferçak orchestre paroles des malades atteints d’une tumeur au cerveau et paroles des accompagnants, les "aidants", dans un célèbre hôpital parisien, la Pitié-Salpêtrière. Derrière l’anonymat de ces "aidants" qui hantent les chambres et les couloirs d’hôpitaux, on ressent une perte intime qu’elle a décidé de ne pas nommer.
Violence de la maladie, et solitude des agonisants.
Violence de l’accompagnement et solitude de celles et ceux qui restent, impuissants et pour la première fois peut-être en souffrance d’amour. Car aimer ne sauve pas celles et ceux que l’on aime. La mort n’est jamais aussi près et aussi loin qu’en ces jours où on voit se défaire la vie des proches. Jamais on ne la hait autant, jamais elle n’inspire autant de chagrin, de méfiance, voire de superstition. La mort prend chair et de cette chair-là on tremble, on ne veut pas.
Les deux écrivaines ont choisi de ne pas dramatiser les situations intenables et de toute façon indramatisables - tant on reste au seuil de la réalité des mourants.
Leur humour est pudeur, leur drôlerie n’est jamais feinte ni forcée, elle est le fait même de la vie.
Anne Pauly ouvre son récit sur le jour de la mort, la préparation des obsèques, les textes à choisir, plus tard ce seront les affaires à trier. Du quotidien, du trivial. La vie marche tout de suite sur la mort, qu’on le veuille ou non. C’est la transgression suprême, nécessaire, donc acceptable. Et puis Anne elle-même a une forte personnalité. Dans ce Paris en proie aux manifs haineuses du mariage pour tous, elle ne se laisse pas impressionner par les bobos de gauche frileuses et policées : "les mous, les mesurés, les polis et les naïfs me sortaient par les yeux".
"Avant que j’oublie" n’est pas le récit d’une transfuge de classe, mais ancre la puissance de sa narration dans la beauté de l’héritage d’un milieu modeste, rural, ouvert, franc et sans peur.
Claire Ferçak fait alterner les paroles des aidants et celles des malades qu’elle a récoltées dans les chambres du service de neurologie. Ces malades qui "perdent la tête" sont capables - dans le méli-mélo de leur mémoire - de la drôlerie la plus inattendue que le tragique de leur situation ne peut pas méconnaître. Le nom même de la tumeur "glioblastome" a "une sorte de rondeur, presque amusante selon la manière – articulation, vitesse – dont vous le dites"
Ce qui frappe, chez l’une comme chez l’autre, c’est la générosité de leur écriture, non pas une grandeur d’âme dont on n’a que faire et qui serait une hypocrisie envers leur "sujet", mais un engagement fort dans le récit de ce qui résiste : la violence de la mort et la violence de l’acceptation, la cruauté des pensées les plus intimes, la dureté du monde médical – bien que Claire Ferçak ait eu un dialogue remarquable avec un professeur de La Pitié -, la douleur, la solitude que l’amour ne peut plus entamer, l’irréparable de la condition humaine. Morts et vivants sont toujours en miroir, ces deux romans nous le rappellent avec beaucoup d’humanité.
"De façon générale, à part l’amitié, l’amour et peut-être la musique et la littérature, toutes les tentatives pour camoufler le vide et la violence sur lesquels toute chose reposait me semblaient obscène, péremptoires" écrit Anne Pauly.
Enfin, il y a le sentiment de la beauté. Claire Ferçak en donne une image qui ne s’oublie pas : parce que l’infirmière découpe les chemises de nuit des mourants pour que ce soit plus facile, "vous continuez à acheter de nouvelles et belles chemises de nuit que vous avez découpées vous-même".
Anne Pauly fait surgir une lettre magnifique de douceur de Juliette, amie d’école du père, restée dans l’ombre, ignorée de tous, présence aimante au fil du temps.
La beauté, sans quoi la vie ne peut pas se tenir droite aux côtés de la mort.
Anne Pauly, Avant que j’oublie, éditions Verdier
Claire Ferçak, Ce qui est nommé reste en vie, éditions Verticales.