Benoît Artige | Figures libres, Giuseppe Verdi
Les journaux lui enseignaient ce qu’il fallait savoir de lui, quel était son rapport au pouvoir, aux femmes, à l’ambition ; il y découvrait des phrases qu’on lui prêtait comme celles d’un tout autre homme que lui, bien plus décidé, arrogant, débarrassé à jamais de la tyrannie du doute. On avait fait de sa vie un roman feuilleton, à la fois brillant et un peu vulgaire – et dans ce “on”, il fallait bien qu’il s’inclût ; même inconsciemment, il avait participé à cette mascarade : l’irrésistible ascension, les années passées à sillonner une circonscription rurale pour gagner ses galons, les succès et les échecs électoraux, la traversée du désert et le retour inespéré sur le devant de la scène, les amours (mariages et divorce compris), les amitiés et les trahisons, enfin la chute qu’il redoutait, mais dont il savait qu’elle adviendrait tôt ou tard et qu’il dissimulerait habilement sous une soi-disant volonté de se retirer de la vie politique dont personne ne serait dupe. Et ensuite tout irait très vite : une gloire aussi vite effacée qu’advenue, l’oubli malgré quelques fidélités ténues et un “monsieur le ministre” resté accroché à son nom comme une décoration à la boutonnière, de hauts faits d’armes périmés que rappellerait une succincte nécrologie préparée de longue date – on réserve toujours le gras des mots aux vivants. Cela le peinait peu : ainsi vont les destinées qui s’attachent trop à l’immédiateté du pouvoir ; il en acceptait le prix, tout en songeant, du haut de son orgueil et dans l’angoisse d’un effacement total, à ce qui aurait pu rendre cette existence immortelle malgré tout. Par exemple, un rêve inavoué et impossible : devenir le sujet principal de l’un de ces opéras qu’il affectionnait tant de Giuseppe Verdi pour leur concentré de drames, de tourments et de passions et pour cet art que le maestro avait d’y exposer, tout en le magnifiant, le néant des grandeurs de ce monde.