Détruire la lecture
Les bibliothèques et médiathèques de la Ville de Paris offrent une réserve de lectures fabuleuse. On peut y emprunter gratuitement plus de vingt livres à la fois, des dvd, des magazines, des livres de cuisine et dans celles qui sont ouvertes le dimanche, le public ne désemplit pas ; jeunes et moins jeunes viennent y faire leurs devoirs, une sieste, y prendre le frais en lisant le Parisien. Certaines ont leur spécialité, d’autres des espaces extérieurs, toutes proposent des rencontres, des concerts, des expositions. Les nounous s’y croisent et les lectrices et lecteurs finissent par en connaître les fonds. Les bibliothèques sont partout et en accès libre, un luxe que nous oublions de mesurer.
Il y a pourtant une donne à laquelle aucune d’entre elles n’échappe : le volume. Les livres doivent être mis en rayon. Les nombreuses sorties mensuelles demandent une acquisition de nouveautés sans cesse renouvelée. Les ouvrages arrivent après commande, repartent lorsque empruntés et reviennent pour repartir, dans un mouvement continu de gestes répétés. Mais tous, et quels qu’ils soient, occupent de la place et l’espace n’est pas élastique.
Un procédé radical pour libérer l’espace, que les maisons d’édition partagent, est celui du pilon. Un livre trop ancien ou trop peu emprunté, en trop mauvais état donc à racheter ou faire racheter, permettent d’écrémer petit à petit en ouvrant la voie pour d’autres ouvrages — plus récents et plus convoités. Envoyer un livre au pilon signifie le détruire (ou le remettre en circulation à moindre coût malgré l’interdiction) et la destruction d’un livre glace le sang. Porteuse de trop d’images, d’effrayantes dérives. Mon cœur s’est donc serré lorsqu’une bibliothécaire m’a tendu cet exemplaire de Pourquoi lire ? dont elle estimait que la légère, très légère tache sur la page de garde l’empêchait de retourner en rayon. Treize bonnes raisons de lire, dont deux magnifiques méditations sur la lecture du paysage par Esther Kinsky et sur les marges du Talmud par Joëlle Zask, envoyées au pilon.
Pourquoi lire. 13 bonnes raisons (au moins)
Collectif
Annie Ernaux, Philippe Garnier, Jürgen Habermas, Eva Illouz, Frédéric Joly, Esther Kinsky, Sibylle Lewitscharoff, Nicolas Mahler, Oliver Nachtwey, Katja Petrowskaya, Hartmut Rosa, Clemens J. Setz et Joëlle Zask.
Traduit de l’anglais et de l’allemand par
Barbara Fontaine, Frédéric Joly, Stéphanie Lux, Aurélie Marquer, François et Régine Mathieu, Amélie Petit et Raphaëlle Vaillant
Premier Parallèle éd.
Publié le 21 janvier 2021
240 p. — EAN : 9782850610639